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23 août 2021

Les GIE en 2022 ? Les remises restant permises, les GIE ne sont pas condamnés à devenir des grossistes

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

Se méfier des prix trop bas et d'une mauvaise réputation
Sélectionner des fournisseurs de bonne réputation. Se méfier des prix trop bas de médicament. Un nouveau règlement européen fixe des bonnes pratiques de distribution des médicaments qui ne favorisent pas les bons coups à bas prix ! Illustration. Blog-qhse.com
Se méfier des prix trop bas et d'une mauvaise réputation
Sélectionner des fournisseurs de bonne réputation. Se méfier des prix trop bas de médicament. Un nouveau règlement européen fixe des bonnes pratiques de distribution des médicaments qui ne favorisent pas les bons coups à bas prix ! Illustration. Blog-qhse.com
 

Dans quelques mois, le 28 janvier 2022 exactement, le nouveau règlement européen « médicament vétérinaire » 2019/6 entrera en application en France comme partout dans l'Union européenne (UE27). Il modifiera nécessairement les pratiques, notamment sur la prescription — les antibiotiques surtout —, mais peu, très peu, sur la distribution au détail par les vétérinaires. Sur ce dernier point, le règlement est clair et ne change rien : « les règles de la vente au détail de médicaments vétérinaires sont déterminées par le droit national » (article 103, §1).

Mais, pour la distribution en gros et les achats en centrales, les questions des praticiens sont nombreuses. « Qu'est-ce qui va changer sur le prix des médicaments en centrales ? Les centrales vont-elles acheter des médicaments moins chers en Europe ? Ne faut-il pas mieux favoriser des ventes directes ? Les GIE, qui aujourd'hui négocient nos achats auprès des laboratoires, sont-ils condamnés à disparaître ? Ou à devenir des distributeurs en gros ? Pourront-ils, eux aussi, s'approvisionner en Europe là où les médicaments seraient [paraît-il] vendus les moins chers ? ».

Et, en filigrane, transpire une peur quasi existentielle. « Ne sommes-nous menacés de disparition si nous sommes concurrencés sur le prix de médicaments ou sur le niveau des remises ? ».

Beaucoup de questions, de fantasmes, de fake news et d'inquiétudes

À quelques mois de cette échéance, les questions, les fantasmes, voire les « fake news » sont nombreux et génèrent des inquiétudes sans doute très exagérées.

Car il devrait toujours être exigé que le médicament vendu ou utilisé en France soit, sauf dans le cas de cascade, un médicament « français », c'est-à-dire, avec une AMM valable sur le sol français, étiqueté non seulement en français mais selon le droit français.

Même si ce règlement permet des achats en gros dans toute l'UE, même si les étiquetages multilingues (et multi-états) sont simplifiés, il y a évidemment peu de chances que l'on retrouve chez un distributeur en gros en Lituanie, en Pologne ou en Bulgarie de grandes quantités de médicaments « français » qui pourraient facilement être introduits dans l'hexagone.

En outre, ces pays manquent déjà aussi cruellement de médicaments pour satisfaire leurs propres besoins. Les pénuries, les ruptures ne sont malheureusement pas une spécificité hexagonale. La France est le premier marché européen pour le médicament vétérinaire. Les volumes nécessaires pour combler le marché français ne peuvent donc évidemment pas être pris auprès de distributeurs intervenant sur des marchés beaucoup plus petits et déjà, trop souvent, dans des situations tendues pour éviter les pénuries sur leur propre marché local.

Remises arrière déduites, les prix français parmi les plus bas d'Europe

Enfin, peut-être surtout, le système des « remises arrière », mises en place à un niveau inégalé en France depuis une vingtaine d'années, conduit à ce que le vétérinaire achète en triple net, « toutes remises déduites », les médicaments à un prix parmi les plus bas d'Europe. Cette règle n'est évidemment pas absolue. Et il est toujours possible de trouver quelques médicaments moins chers dans d'autres pays d'Europe qu'en France. Les antibiotiques, pour lesquels les remises sont interdites en France, font partie des exceptions à ce constat.

À l'inverse, les prix « catalogue » des médicaments des distributeurs en gros d'autres pays d'Europe, ceux d'Espagne par exemple, sont souvent moins chers qu'en France. Mais, une fois les remises arrière déduites, c'est beaucoup plus rarement le cas.

Les cadeaux seront interdits dans toute l'UE, mais pas les remises.

Le règlement européen n'interdit pas le maintien en France des remises arrière ni des GIE chargés de les négocier.

En miroir du dispositif anti-cadeaux en vigueur en France, le nouveau règlement 2019/6 indique bien, à l'article 121, qu'« aucun cadeau ni avantage pécuniaire ou en nature ne peut être fourni, offert ou promis aux vétérinaires prescripteurs ni aux ayants droit à moins qu'ils ne soient peu coûteux et pertinents au regard de la pratique de la prescription ou de la délivrance des médicaments ». Il sera donc toujours possible de recevoir un stylo ou bloc-notes en cadeaux. Par conséquent, ni les prescripteurs, ni les ayants droit « ne peuvent solliciter ou accepter de telles incitations interdites ».

Toutefois, cela « ne fait pas obstacle à ce que l'hospitalité soit offerte à l'occasion d'événements purement professionnels et scientifiques, et toujours strictement limitée à ces objectifs ». En d'autres termes, il est toujours possible de vous inviter au restaurant pour une réunion professionnelle, mais sans que cela soit complété par une partie de golf ou une soirée de gala à l'opéra.

Les GIE pourront toujours négocier les remises après 2022

Point important : « les mesures ou les pratiques commerciales existant dans des États membres en matière de prix, de marges et de remises ne sont pas affectées par ces interdictions ». En d'autres termes, les contrats commerciaux ne sont pas interdits par cette nouvelle réglementation européenne. En charge de les négocier, l'existence même des GIE n'est donc pas remise en cause. Bien au contraire !

Les GIE ne sont pas considérés comme des acteurs de la chaîne d'approvisionnement des ayants droit. Car ils n'achètent pas, par eux-mêmes, les médicaments, dont ils négocient les conditions commerciales, ni ne les stockent comme le font les dépositaires. Ils n'ont aucun contrôle sur les médicaments qu'ils négocient pour le compte des vétérinaires.

À ce jour, les GIE ne sont donc pas concernés par aucune des obligations associées à cette réglementation pharmaceutique. Certaines autorités en Europe le regrettent parfois. Car elles souhaiteraient encadrer cette activité de courtage afin d'éviter qu'elle ne déstabilise des marchés ou qu'elle puisse être génératrice de problèmes de disponibilité.

À l'occasion de cette réglementation, certains GIE s'interrogent sur leur devenir et leur transformation éventuelle en « distributeurs en gros » afin d'aller acheter des médicaments moins chers en Europe pour les ramener en France. Ce changement important de statut n'est évidemment pas impossible. Mais, il n'est pas obligatoire si l'objectif est seulement d'aller négocier des prix au niveau européen plutôt que dans les filiales françaises.

Surtout, ces GIE devenus grossistes seraient alors soumis exactement aux mêmes exigences (lourdes) que les centrales : une autorisation d'ouverture de l'Agence du médicament vétérinaire, des inspections sur les locaux, les équipements, le personnel, l'obligation de disposer « en permanence » d'un vétérinaire responsable, de produire pour les autorités des rapports annuels d'activité. Ils seraient aussi les responsables de la qualité des médicaments livrés, du stockage, de la livraison, des retours et des rappels de lots… Le respect des bonnes pratiques de distribution en gros serait sous leurs responsabilités… et non sous celles des centrales ou des laboratoires fabricants.

Trop chaud, trop froid ? Des bonnes pratiques obsédées par les températures

D'ailleurs, au milieu de l'été, le 30 juillet dernier, le Journal officiel de l'Union européenne a publié un règlement qui fixe, pour la première fois de manière identique dans l'UE, des bonnes pratiques de distribution en gros des médicaments vétérinaires (BPD). Ce texte d'exécution du règlement 2019/6 s'appliquera donc au 28 janvier 2022.

Sur le fond comme sur la forme, ces BPD ne sont donc pas si différentes de celles applicables en France depuis juillet 2015 par une décision de l'Anses du 24 juin 2015. Une nouvelle fois, à travers ce règlement technique, (presque) tout change pour que (presque) rien ne change sauf… des points de détail qui ont, parfois, une grande importance.

Ces bonnes pratiques de distribution en gros (BPD) sont d'abord des exigences techniques. Elles visent exclusivement à garantir la qualité des médicaments tout au long de la chaîne de la distribution en gros : du fabricant jusqu'aux ayants droit. Elles sont ciblées sur les conditions de stockage (les locaux, les équipements, le personnel) et de transport. Le contrôle des températures et la lutte contre les médicaments falsifiés apparaissent comme deux obsessions de ce règlement.

Se méfier des prix trop bas et d'une mauvaise réputation

Pour le contrôle de températures, il est demandé au distributeur de cartographier la température des locaux de stockage et de placer des sondes aux endroits où les températures sont les plus extrêmes et fluctuantes. En outre, pendant la livraison par le transporteur, le suivi des températures dans les véhicules ou leurs conteneurs reste à sous la responsabilité du distributeur jusqu'à la réception par le client. Et ce client pourra désormais exiger de son fournisseur de lui apporter des garanties sur le respect de la température durant le transport pour chaque livraison.

Pour éviter les médicaments falsifiés, le distributeur en gros devrait sélectionner ses fournisseurs « sur leur réputation, la fiabilité et leurs gammes ». Ce règlement européen demande mêmes aux distributeurs en gros d'être vigilants « sur des prix anormalement bas, des offres inhabituelles ou en quantités inhabituelles » (excessives).

Pas d'obligation européenne à livrer rapidement tous les médicaments

Ce règlement technique ne fixe aucune orientation politique sur la santé animale ou la disponibilité des médicaments. Par exemple, en France, le code de la santé publique (art. R. 5142-51) jusque-là en vigueur exige que le distributeur en gros puisse, en cas d'urgence, livrer en 24 heures sur son territoire de distribution. Le même article exige aussi que le distributeur en gros dispose d'un stock de médicaments d'au moins deux semaines par rapport aux besoins de sa clientèle habituelle.

Cela impose donc aux centrales actuelles de référencer tous les médicaments demandés par les vétérinaires. Cette double obligation répond d'abord des enjeux de santé animale, et non à des exigences pharmaceutiques. Les règlements européens ne reprennent aucune obligation précise dans ce sens-là, ni en termes de délais de livraison, ni en termes de stocks ou d'étendue de gammes.

Toutefois, l'article 101 du règlement précise, d'une manière plus vague, que le grossiste « assure, dans les limites de ses responsabilités, un approvisionnement continu et approprié des ayants droit de manière à couvrir ses besoins en santé animale ».