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9 avril 2019

Règlement médicament (5). Pas de découplage dans les ventes au détail mais d'importants détails changent

par Eric Vandaële

Temps de lecture  7 min

Le déconditionnement des comprimés à l'unité
Pour le conserver, la France devra encadrer le déconditionnement des comprimés à l'unité. Le règlement européen prévoit au minimum de joindre aux médicaments déconditionnés une notice et de préciser le numéro de lot et la date de péremption. Photo allodocteurs.fr
Le déconditionnement des comprimés à l'unité
Pour le conserver, la France devra encadrer le déconditionnement des comprimés à l'unité. Le règlement européen prévoit au minimum de joindre aux médicaments déconditionnés une notice et de préciser le numéro de lot et la date de péremption. Photo allodocteurs.fr
 

Ce cinquième Fil de notre série sur le nouveau règlement européen « médicament vétérinaire » (n° 2019/6) porte sur la délivrance au détail telle qu'elle devra s'appliquer à compter du 28 janvier 2022 (voir LeFil du 8 janvier 2019). C'est l'article 103 de ce règlement. Et, en apparence, rien ne change. En apparence seulement. Car beaucoup de détails importants sont modifiés.

Ce chapitre pourrait être résumé avec la première phrase de cet article : « les règles de vente au détail de médicaments vétérinaires sont déterminées par le droit national, sauf disposition contraire du présent règlement » [art. 103 § 1].

Qui pourra vendre au détail des médicaments ? Les mêmes ayants droit

Sur ce point, l'un des plus difficiles à harmoniser dans l'Union européenne, rien ne change. Chaque État membre fait ce qu'il veut. Aucune harmonisation n'est à l'ordre du jour. « Les personnes pour le commerce au détail des médicaments vétérinaires » — les ayants droit — y sont autorisées selon le droit national propre à chaque État membre, sans aucune contrainte particulière en application de ce règlement [art. 103].

Ce règlement ne réserve donc pas le commerce des médicaments vétérinaires aux seuls pharmaciens. Ce règlement ne sera donc pas celui du découplage tant redouté prescription-délivrance. Durant les dix ans de préparation et d'examen de ce nouveau règlement médicament vétérinaire, l'idée d'une vente réservée aux seuls pharmaciens n'a jamais été sérieusement envisagée.

D'ailleurs, dans l'Union européenne, 22 pays sur 28 pratiquent le couplage prescription-délivrance sans que cela apparaisse problématique en termes de conflits d'intérêts. À l'inverse, l'Espagne et l'Italie qui pratiquent toujours le découplage, sont parmi ceux qui présentent les consommations d'antibiotiques les plus élevées d'Europe.

La France ne sera donc pas dans l'obligation de modifier les différentes catégories d'ayants droit telles qu'elles existent aujourd'hui.

  • Les pharmaciens peuvent tenir officine ouverte mais ne peuvent délivrer les médicaments classés sur prescription que sur présentation d'une ordonnance papier ou électronique,
  • Les vétérinaires sans qu'ils aient de tenir officine ouverte, limite donc leur exercice de la pharmacie qu'aux seuls animaux admis en consultation et aux seuls élevages pour lesquels ils assurent le « suivi sanitaire permanent » matérialisé par le bilan sanitaire annuel d'élevage, le protocole de soins, les soins réguliers, notamment d'urgence, et au moins une visite de suivi entre deux visites.
  • Les groupements agréés, principalement les coopératives, pourront continuer à mettre en place des PSE (plans sanitaires d'élevages) comprenant principalement des vaccins, des antiparasitaires et des médicaments de la fonction de la reproduction.
  • Les topiques antiparasitaires externes (APE) sans prescription préalable pourront continuer à être vendus dans tous les circuits, animaleries, grandes surfaces, boutiques en ligne…

Un propriétaire pourra-t-il acheter dans un autre pays ? Oui mais…

Ce règlement ne cesse de rappeler que l'ordonnance prescrite par un vétérinaire est « valable dans toute l'Union européenne ». Cela signifie donc qu'elle peut servir à la délivrance au détail dans tous les pays de l'UE, même si les ventes en lignes intracommunautaires seront, en pratique, restreintes aux seuls médicaments sans ordonnance (un prochain Fil sera consacré à la vente en ligne de médicaments vétérinaire par les ayants droit).

  • « Les ordonnances sont reconnues dans toute l'Union européenne » précise l'article 105.
  • « Le médicament prescrit est délivré conformément au droit national applicable » ajoute le même article, sans préciser si ce droit national applicable est celui du pays où a lieu la vente, ou celui, dans le cas où il serait différent, de celui « de destination où sont élevés les animaux ».

Néanmoins, les médicaments vendus pour être utilisés en France devraient disposer d'une AMM valable en France, sauf dans le cas particulier de la cascade, en l'absence d'un médicament disponible avec une AMM valable en France.

Il n'est donc pas interdit à un détaillant basé en Espagne et autorisé selon les règles du droit espagnol, d'acheter à un grossiste français des médicaments qui ont une AMM valable en France, puis de les revendre au détail à des clients français, sur prescription le cas échéant. L'ayant droit s'approvisionne en seulement auprès d'un distributeur en gros autorisé dans l'UE (ce qui inclut aussi les fabricants).

Une ordonnance pourra-elle servir plusieurs fois ? Sans doute pas

Sans le dire explicitement, le renouvellement de la délivrance à partir d'une même ordonnance semble interdit s'il s'agit de prolonger un traitement au-delà de la durée prescrite initialement ou de renouveler un traitement qui a « bien marché » par le passé. Les quantités prescrites (et donc délivrées) sont limitées au « traitement en question » [art. 105, §6].

La vente des comprimés à l'unité sera-t-elle permise ? Oui si la France le veut

Dans le cadre exclusif de la délivrance au détail par un ayant droit, le déconditionnement au détail (« les changements de conditionnements ou de présentations ») est permis de longue date par la réglementation européenne et ne nécessite pas l'autorisation de fabrication qui est exigée pour les industriels.

Le règlement prévoit toujours cette possibilité mais la réserve aux seuls États membres qui le décideraient ainsi pour les ventes au détail directes ou en ligne [art. 88 §2 et 3]. Dans ce cas, le règlement demande de joindre aux médicaments déconditionnés la notice et de préciser le numéro de lot et la date de péremption.

Aujourd'hui, le droit français est silencieux sur ce déconditionnement au détail. Cela ne l'interdit donc pas. Le nouveau règlement prévoit explicitement que c'est aux États membres de « décider » de permettre le déconditionnement au détail. Cela laisse donc entendre qu'il deviendrait interdit dans les États membres qui ne le décident pas ainsi. Ce qui est finalement le cas de la France aujourd'hui. Il conviendra donc probablement de prendre des dispositions en droit national pour que les vétérinaires français puissent conserver cette pratique au-delà du 28 janvier 2022.

Un vétérinaire pourra-t-il se dépanner auprès d'un autre vétérinaire ? Oui si…

Aujourd'hui, les cessions de médicaments entre ayants droit sont interdites entre vétérinaires ayants droit. Un vétérinaire n'a pas le statut de grossiste qui lui permettrait d'approvisionner un autre ayant droit, comme un autre vétérinaire ou un site de vente en ligne pour des antiparasitaires externes

Le règlement confirme cette règle générale. Un ayant droit ne se fournit en médicaments qu'auprès des fabricants ou des grossistes européens autorisés. Mais le règlement prévoit une exception. Un ayant droit peut aussi se « fournir en petites quantités » des médicaments vétérinaires auprès d'un autre ayant droit [art. 99 § 4] si… l'État membre est volontaire et en décide ainsi.

Si la France le souhaite, elle pourrait donc autoriser des dépannages entre ayants droit « en petites quantités ». À défaut, cette ouverture restera fermée en France.

Le registre ou ordonnancier sera-t-il modifié ? Oui. Il inclut les achats et…

Le Conseil et le Parlement européen ont restreint l'obligation des ayants droit de tenir un registre (ou ordonnancier) aux seuls médicaments vétérinaires soumis à prescription, comme c'est aujourd'hui le cas en France. Le projet initial avait prévu de généraliser le registre à tous les achats et les ventes de médicaments soumis ou non à prescription.

Mais « les États membres peuvent, s'ils le jugent nécessaire, étendre cette obligation aux médicaments non soumis à prescription »Ce registre des délivrances deviendra aussi un registre des achats auprès des grossistes.

La conservation du registre est limitée à cinq ans (au lieu de dix ans actuellement en France). Les informations à consigner dans le registre sont les suivantes [art. 103 §3] :

  • Date de la transaction qu'il s'agisse d'un achat ou d'une vente,
  • Nom, numéro d'AMM et numéro de lot du médicament reçu ou délivré,
  • Quantité reçue ou délivrée,
  • Nom et adresse du fournisseur en cas d'achat ou du destinataire en cas de vente,
  • Nom et coordonnées du vétérinaire prescripteur avec, le cas échéant, une copie de l'ordonnance correspondante. En France, la copie de l'ordonnance n'est pas exigée.

D'autres exigences seront-elles imposées ? Oui, un inventaire annuel du stock

L'ayant droit, comme le distributeur en gros, est tenu de vérifier précisément son stock une fois par an et de consigner les écarts éventuels dans le registre conservé 5 ans [art. 103 § 5]. Cette exigence ne porte donc que sur les médicaments classés sur ordonnance.

En France, il n'y a pas aujourd'hui une telle obligation comptable sauf pour les stupéfiants.

Les États peuvent-ils prendre des mesures plus strictes ? Oui… sur prescription

« Les États membres peuvent », s'ils le souhaitent, imposer des exigences nationales supplémentaires à celles prévues par ce règlement européen si :

  • « Elles sont motivées par la protection de la santé publique ou animale ou de l'environnement,
  • Elles sont proportionnées au risque et non discriminatoires. » [art. 103 §6].

Ce type de formulation laisse entendre que seuls les médicaments classés sur prescription pourraient faire l'objet de restrictions nationales supplémentaires qui seraient motivées par un risque pour la santé publique ou animale.