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23 avril 2019

Règlement médicament (6). Acheter en ligne sera possible dans toute l'Europe, sauf… sur prescription

par Eric Vandaële

Temps de lecture  10 min

Logo européen des sites légaux de vente en ligne de médicaments humains
Comme pour les sites de ventes en ligne des médicaments humains, un logo européen de ce type devra être apposé sur les sites légaux de vente en ligne des médicaments vétérinaires. Ce logo cliquable permet d'accéder à un site officiel de l'État membre avec la liste des sites légaux de vente en ligne hébergés dans ce pays.
Logo européen des sites légaux de vente en ligne de médicaments humains
Comme pour les sites de ventes en ligne des médicaments humains, un logo européen de ce type devra être apposé sur les sites légaux de vente en ligne des médicaments vétérinaires. Ce logo cliquable permet d'accéder à un site officiel de l'État membre avec la liste des sites légaux de vente en ligne hébergés dans ce pays.
 

Sur les ventes en ligne et les cyberpharmacies, l'ambition du nouveau règlement européen « médicament vétérinaire » (n° 2019/6) est bien moindre que le souhaitait la Commission européenne. Les eurodéputés et les autorités nationales n'ont pas suivi Bruxelles sur ce point important.

Article 104 applicable le 28 janvier 2022

Un seul article — certes d'une page et demie à lui seul — encadre ces ventes en ligne dans le règlement européen « médicament vétérinaire » (n° 2019/6) qui entrera en application dans l'Union européenne le 28 janvier 2022 (voir LeFil du 8 janvier 2019). Ce seul article — l'article 104 – est l'objet de ce sixième Fil de notre série sur ce nouveau règlement « médicament vétérinaire » après ceux consacrés à la prescription (voir les Fils du 21 février et du 25 février), à la distribution en gros (LeFil du 12 mars 2019), aux imporations parallèles (LeFil du 26 mars 2019) et aux ayants-droits (LeFil du 9 avril 2019)

Quel est l'objectif avec les ventes en ligne ? La disponibilité et la concurrence

Initialement, la Commission européenne avait mis beaucoup d'espoirs dans les ventes en ligne de médicaments vétérinaires soumis ou non à prescription pour augmenter leur disponibilité en Europe.

Les vétérinaires se plaignaient d'un manque de médicaments disponibles dans leurs pays. Les industriels se plaignaient aussi des coûts d'entrée pour des tout petits marchés. Certains pays de l'Europe, comme Malte, ne représentent même pas les ventes d'un gros département français.

Selon la Commission, une distribution au détail par des sites de ventes en ligne bien sécurisés devait créer des « opportunités de développement », « accroître la concurrence dans la vente au détail et, par conséquent, réduire les prix de vente au détail au bénéfice des éleveurs et des propriétaires d'animaux de compagnie ».

Les petits laboratoires pharmaceutiques européens y auraient été aussi très favorables pour développer les ventes de leurs médicaments en Europe. Car, dans l'esprit de la Commission, il était évident que les sites sécurisés pourraient vendre au détail les médicaments (sur ou sans ordonnance) dans toute l'Union Européenne. Certains États membres développent déjà ces cyberpharmacies, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas qui autorisent les ventes en ligne de médicaments sur prescription.

Au Royaume-Uni, la part de marché des cyberpharmacies, estimée entre 2 et 5 % en 2005, serait, en 2014, de 8,6 % sur l'ensemble du marché, mais seulement de 1,4 % pour les médicaments sur prescription.

Quels sont les freins aux ventes en ligne des médicaments ? La prescription

Le Conseil européen, où sont représentées les autorités nationales, et les eurodéputés du Parlement ont très fortement restreint les ambitions de la Commission dans la version finale publiée le 7 janvier dernier.

En s'appuyant sur la jurisprudence répétée de la Cour de Justice de l'Union européenne, ils ont restreint les ventes en ligne aux seuls médicaments dits « sans ordonnance ». Car cette classification devrait correspondre à des médicaments sans risque grave, y compris en cas de mésusage. À l'inverse, l'obligation d'une prescription préalable est donc jugée comme le déterminant clef de la dangerosité d'un médicament. Leurs ventes en lignes ne peuvent pas être permises dans toute l'Union européenne même si certains États membres peuvent continuer à les autoriser, mais seulement sur leur territoire.

Qui pourra vendre quoi à qui par Internet ? Des Pays-Bas vers la France

Seuls les ayants droit habilités selon le droit national de l'État membre pourront proposer des sites de vente en ligne avec des médicaments non soumis à ordonnance. Même si l'habilitation est exclusivement nationale, elle est valable pour des ventes en lignes au détail dans toute l'Union européenne [art. 104 § 1]. Une cyberpharmacie hollandaise pourra donc proposer sur un site « francophone » des médicaments sans ordonnance à vos clients, qu'il s'agisse des éleveurs ou des propriétaires d'animaux de compagnie ou de chevaux.

Les cyberpharmacies du Royaume-Uni et des Pays-Bas sont les plus connues pour tenter de se développer (entre autres) sur le marché français. Cela ne sera donc pas interdit pour des médicaments sans ordonnance.

Toutefois, seuls des médicaments autorisés en France, conformes au droit français, c'est-à-dire, étiquetés en langue française selon l'AMM valable en France, pourront être ainsi vendus en France sur le site francophone de la cyberpharmacie hollandaise. Il sera interdit à ces cyberpharmacies de vendre des médicaments hollandais à des clients basés en France. C'est un frein important. Car cela obligera la cyberpharmacie hollandaise ou espagnole qui s'intéressait au marché français à disposer du stock correspondant de médicaments étiquetés en français.

Le règlement prévoit que les États membres peuvent imposer des exigences nationales plus strictes si elles sont justifiées pour des motifs de santé publique [art. 104 § 10]. Mais la jurisprudence constante de la Cour de Justice européenne a toujours permis à un État membre d'interdire les achats en ligne des médicaments sur prescription depuis un autre État membre, mais pas de ceux non soumis à ordonnance. Car pour la Cour européenne, l'absence d'obligation d'ordonnance est le signe que le médicament est sans risque pour la santé publique.

Un véto français pourra-t-il vendre en ligne vers la Hollande ? Un véto non, une pharmacie oui

Si les cyberpharmacies des Pays-Bas peuvent vendre des médicaments sans ordonnance à des clients basés en France, la réciproque est évidemment vraie. Mais en apparence seulement pour les vétérinaires.

Pour les pharmacies de l'hexagone qui peuvent « tenir officine ouverte », leurs sites de vente en ligne pourront en effet s'adresser à des propriétaires d'animaux basés aux Pays-Bas, en Belgique ou en Allemagne…, à supposer toutefois de disposer des médicaments autorisés correspondants bien étiquetés dans la langue de chacun des pays de destination. De même, les multiples sites de ventes en ligne d'antipuces dérogatoires (APE dits en vente libre) pourront depuis la France s'adresser à une clientèle européenne à supposer qu'ils disposent des stocks multilingues de ces APE.

En revanche, en France, les vétérinaires ne tiennent pas officine ouverte. Même en ligne, ils ne peuvent vendre des médicaments que dans le prolongement de leur examen clinique, ou, en productions animales, dans le cadre du suivi sanitaire permanent. Ces contraintes ne sont pas réservées aux médicaments sur prescription. Même un médicament sans ordonnance, un vermifuge exonéré par exemple, ne peut être vendu, en ligne ou au comptoir, qu'à la suite de l'examen clinique de l'animal de compagnie. Ces vermifuges sont dits exonérés de prescription pour permettre aux pharmacies de les revendre sans ordonnance. Mais, ils ne sont pas exonérés de l'examen clinique du vétérinaire pour permettre à la clinique vétérinaire de les revendre sans voir l'animal !

Pour ne pas pénaliser les sites de vente en ligne des cliniques vétérinaires par rapport à ceux des pharmacies, il serait alors nécessaire d'amender le droit national sur la prescription-délivrance à la française ou d'aborder le sujet difficile de la télémédecine. Cela supposerait d'accepter que l'examen des animaux et leurs soins puissent être réalisés par webcam !

Quid des ventes en ligne de médicaments sur prescription ? Interdit sauf…

Le principe est celui de l'interdiction en Europe des ventes en ligne des médicaments sur prescription. C'est la position très prédominante en Europe aujourd'hui qui a été inscrite dans ce règlement européen [art. 104 § 1].

Toutefois, par dérogation, les États membres qui le souhaitent, c'étaient les Pays-Bas et le Royaume-Uni, peuvent permettre, des ventes en ligne de médicaments sur prescription par leurs ayants droit mais avec des conditions strictes [art. 104 § 2 et 3].

  • Les ayants droit, autorisés pour cette vente en ligne, sont établis seulement dans cet État membre. En d'autres termes, il sera interdit à un ayant droit belge ou allemand de proposer des ventes en ligne de médicaments sur prescription en Hollande, même si cela est permis pour un ayant droit basé aux Pays-Bas.
  • Les médicaments sont livrés et destinés à être utilisés sur ce seul territoire (et non dans d'autres États membres). Les cyberpharmacies néerlandaises ne pourront pas vendre en ligne des médicaments sur prescription en France, en Belgique ou en Allemagne…, mais seulement aux Pays-Bas.
  • Et, dans un tel cas, l'État membre concerné, les Pays-Bas, devra aussi veiller au contrôle de ces restrictions, sanctionner les infractions de « ses » cyberpharmacies et, le cas échéant, collaborer avec les autres États membres pour éviter la fourniture en ligne de médicaments sur prescription vers d'autres territoires que la Hollande.

Ces contrôles, éventuellement à la demande d'autres États membres, sont le point le plus important de ce dispositif. Car, aujourd'hui, les autorités françaises ne peuvent pas poursuivre directement les cyberpharmacies vétérinaires basées aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Et, de même, les autorités hollandaises ou britanniques, même alertées par les autorités françaises, ne peuvent pas (ni ne veulent !) poursuivre ces cyberpharmacies qui ne commettent pas d'infractions par rapport à leur droit national britannique ou néerlandais. Le droit français n'est évidemment pas applicable aux Pays-Bas.

Avec ce nouveau règlement, les infractions seront constatées par rapport au droit européen, avec l'obligation de coopérer entre les autorités pour éviter les dérives telles qu'elles peuvent être observées aujourd'hui. C'est donc un grand pas en avant.

Les sites de ventes en ligne devront d'ailleurs être soumis par les États membres au minimum aux mêmes contrôles que les autres ayants droit [art. 104 § 4].

Comment sécuriser les sites légaux de vente en ligne ? Par un logo européen

Les ventes en ligne, c'est un peu comme le loto. 100 % des médicaments falsifiés ou contrefaits sont vendus sur des sites de ventes en ligne ! Mais cela ne signifie pas que 100 % des médicaments des sites de ventes en ligne soient falsifiés.

Néanmoins, ce n'est pas un hasard, si le Royaume-Uni détient le record des contrefaçons retrouvées en Europe. Plus de 30 % des sites de vente en ligne de médicaments contrefaits détectés dans le monde sont hébergés au Royaume-Uni (voir LeFil du 17 mai 2016). Mais le droit britannique est aussi le plus tolérant d'Europe. Des cyberpharmacies ont donc migré vers ce pays pour délivrer des médicaments dans toute l'Europe en s'appuyant sur le droit britannique. Le brexit devrait, en théorie, mettre à terme à cette pratique.

La sécurisation des sites légaux de ventes en ligne, pour les distinguer des sites illégaux, est une préoccupation constante de la Commission européenne pour redonner confiance aux acheteurs potentiels de médicaments et développer ainsi le marché unique du médicament. Dans ce but, le règlement prévoit aussi les exigences suivantes [art. 104, § 5 à 11].

  • Sur un site Web officiel, chaque État membre publiera la liste des ayants droit autorisés pour les ventes en ligne. Ils avertiront aussi que les conditions de prescription et de délivrance peuvent différer d'un État à l'autre mais sans interdire une vente en ligne vers un autre État que le leur [art. 104 § 8].
  • Seuls les ayants droit autorisés à la vente « physique » au détail des médicaments pourraient développer le commerce en ligne des médicaments vétérinaires en Europe [art. 104 § 1]. En d'autres termes, les pures cyberpharmacies ne devraient pas être autorisées.
  • Un logo officiel commun à toute l'UE est affiché sur toutes les pages d'un site Web de commerce en ligne autorisé [art. 104 § 6 et 7]. Ce logo sera fixé par la Commission européenne par un acte d'exécution. Ce dispositif est déjà applicable pour les médicaments humains.
  • Le site Web de ventes en ligne comprend sur toutes ces pages ce logo [art. 104 § 5]. Par un lien hypertexte, il pointe vers le site web des autorités de l'État membre. Ce qui permet de vérifier qu'il figure sur la liste officielle des sites web reconnus par les autorités.
  • Le site Web de ventes en ligne mentionne aussi les coordonnées de l'autorité compétente de l'État dans lequel il est établi. Un lien pointe sur la page officielle de cette autorité nationale relative au commerce en ligne des médicaments vétérinaires.
  • Enfin, l'Agence européenne du médicament publiera aussi sur son site Web des informations sur le logo européen et le commerce en ligne, ainsi que les liens vers les pages internet de chacun des États membres où figurent les listes nationales des sites de vente en ligne autorisés [art. 104 § 9]. Le site web des États membres pointe aussi sur le site de l'agence, ce qui permettra de disposer facilement des listes nationales des sites de vente en ligne autorisés dans l'UE [art. 104 § 11].