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18 novembre 2022

La discrimination salariale représentait 9,3 % entre jeunes vétérinaires hommes et femmes, en 2021

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Dispersion (boîtes à moustaches) des salaires mensuels des 250 répondants à une enquête de 2021 auprès des seuls praticiens salariés. Les deux astérisques marquent une différence statistiquement significative (p<0,05). (Berrada et coll., 2022).
Dispersion (boîtes à moustaches) des salaires mensuels des 250 répondants à une enquête de 2021 auprès des seuls praticiens salariés. Les deux astérisques marquent une différence statistiquement significative (p<0,05). (Berrada et coll., 2022).
 

+ 9,3 % en faveur des hommes. Les deux modèles statistiques utilisés par l'équipe d'épidémiologistes et d'économistes de la santé de l'ENVT et du Cirad ne font pas que converger : ils trouvent exactement le même chiffre. Chez les jeunes vétérinaires (< 40 ans) salariés, les hommes ont un salaire en moyenne de 12,3 % plus élevé que les femmes, mais le différentiel qui ne peut pas être expliqué autrement que par une discrimination de genre représente 9,3 % d'écart. Avec un calcul effectué toutes choses (âge, années d'exercice…) égales par ailleurs.

250 répondants

Les auteurs ont travaillé à partir des résultats d'une enquête anonyme en ligne, réalisée fin 2021 par le SNVEL ; ils viennent de publier leurs résultats dans une revue à comité de lecture en anglais. Ce questionnaire s'adressait aux praticiens salariés (toutes espèces animales représentées). Il permettait de préciser les années d'exercice, les salaires et leurs composantes (en cabinet indépendant, de grande ou petite taille, dans des chaînes, etc.), la perception du travail, les « difficultés rencontrées »… Les répondants étaient classés en cinq niveaux : 1 (jeune diplômé), 2 (< 2 ans d'expérience), 3 (2 à 4 ans), 4 (> 4 ans) et 5 (spécialiste). Les participants qui exerçaient en libéral ont été exclus : l'analyse porte sur un total de 250 répondants. Aucun n'était dans sa première année d'exercice et 61 % avaient plus de 4 ans d'exercice, mais 58 % moins de 8 ans d'exercice (deux spécialistes ayant répondu, ils ont été exclus des calculs). La grande majorité des réponses provenaient de femmes (84,7 %, contre 76,6 % dans la même cohorte d'âge pour les statistiques nationales), en cohérence avec les âges des répondants (84,3 % avaient < 39 ans).

Par sexe et par années d'expérience

La moyenne des salaires mensuels était de 2 771,04 €, avec un éventail allant de 1 058,24 à 4 571,00 € et en moyenne un salaire de 12,3 % plus élevé (p<0,001, voir le graphique principal). Autrement dit « les hommes ont plus de chances de recevoir un salaire > 3 500 € que les femmes ». Les auteurs observent aussi une progressivité du salaire en début de carrière, avec une augmentation significative entre les niveaux 2 et 4 (mais pas entre les niveaux 2 et 3, ni 3 et 4). Comme il n'y avait pas de répondants fraîchement diplômés, le salaire moyen de démarrage n'est pas évoqué (voir le graphique ci-dessous). Mais les auteurs retiennent que, « lorsqu'un vétérinaire avait plus de 4 ans d'expérience, il était plus probable qu'il ait un salaire > 3 000 € ». Bien qu'une proportion plus importante de femmes que d'hommes se situent dans le niveau 4, le différentiel de salaire persiste au global. Le fait d'avoir entre une et 12 interventions lors d'astreinte de weekend sur l'année augmente le salaire de 11,3 % (p<0,01), par rapport à un salarié sans astreinte de weekend. Mais cette augmentation n'est que de 7 % si le nombre d'interventions est de 13 ou plus. Et avoir 1 ou 2 appels par semaine sur des astreintes, augmente le salaire de 8,5 % (p<0,05), mais l'augmentation n'est pas significative au-delà.

Dispersion (boîtes à moustaches) des salaires mensuels des 250 répondants à l'enquête du SNVEL de 2021, selon les années d'expérience en début d'exercice.** p<0,01  **** p<0,001. NS : non significatif. (Berrada et coll., 2022).

 

Les astreintes…

Les hommes effectuaient plus d'astreintes que les femmes, le weekend (71,8 vs 57,4 %) et la semaine (66,7 vs 49,6 %, respectivement). Cependant, près de la moitié de la totalité des répondants n'avaient pas d'astreintes en semaine (48,6 %), et un peu moins (40,3 %) en weekend. Pour les auteurs, l'écart de salaire observé dans ces données peut être rattaché à deux aspects : les hommes font plus d'astreintes que le femmes et les hommes répondants étaient plus âgés en moyenne que les femmes (mais pas plus nombreux dans cette tranche d'âge). Pour aller plus loin dans l'analyse, ils ont utilisé des modèles statistiques permettant de comparer les salariés des deux sexes « toutes autres choses égales par ailleurs » (régression linéaire et décomposition de Blinder-Oaxaca). Ainsi, avec le premier modèle, les hommes ont un salaire de 9,3 % supérieur aux femmes (p<0,01). Le second modèle permet d'appréhender la partie de la variance qui ne peut pas être attribuée à une cause connue. Et cette partie est de… 9,3 %. Autrement dit : « cela suggère que, lorsque toutes les caractéristiques sont les mêmes pour les hommes et les femmes, le différentiel [de salaire] n'est pas réduit ».

… mais pas que

L'origine de cette différence est donc « soit une discrimination du marché du travail vétérinaire à l'encontre des femmes [comme le suggère le résultat du premier modèle], soit liée à des caractéristiques non observables chez les hommes, qui sont valorisées par les employeurs ou par le choix des femmes ». Parmi les possibilités, les auteurs citent « la capacité à travailler selon des horaires inhabituels, avoir l'esprit entrepreneurial, attitudes favorisant la prise de risque ou d'autres facteurs ». À l'appui de cette hypothèse, ils signalent que, lorsque le praticien n'est pas salarié, le différentiel de revenus persiste entre les sexes, ce qui limite la possibilité d'attribuer à l'employeur cette discrimination sur le sexe.

Il reste que ce travail repose sur un faible nombre de réponses, mais le différentiel de salaire mesuré est comparable avec celui des données Insee exposées dans un Fil récent, où pour 2019, le revenu des praticiens salariés était de 36 600 €/an pour les femmes et de 40 000 €/ an pour les hommes (soit 8,5 % d'écart). Et il est le premier à présenter les facteurs principaux influençant les salaires des jeunes vétérinaires.