titre_lefil
Elanco & Proplan

12 novembre 2019

Patate chaude. L'exécutif demande à l'Anses quels biocides interdire de vente en libre-service

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

Le vendeur de biocides devra se faire hara-kiri
Pour les biocides interdits de vente en libre-service — sans doute certains insecticides d'environnement —, le vendeur devra les conserver sous clef, sans en faire de publicité, et dissuader le client qui en demanderait de les utiliser compte tenu des risques et de l'existence d'alternatives moins risquées. Bref, le vendeur devra se faire hara-kiri. Source illustration : skyrock.com
Le vendeur de biocides devra se faire hara-kiri
Pour les biocides interdits de vente en libre-service — sans doute certains insecticides d'environnement —, le vendeur devra les conserver sous clef, sans en faire de publicité, et dissuader le client qui en demanderait de les utiliser compte tenu des risques et de l'existence d'alternatives moins risquées. Bref, le vendeur devra se faire hara-kiri. Source illustration : skyrock.com
 

Doit-on ou pas interdire les insecticides toxiques — comme les antipuces de l'habitat — de vente en libre-service auprès du public ? Ainsi que les gammes Baygon° ou les autres produits biocides anti-guêpes, anti-fourmis, anti-araignées, anti-souris ou anti-rats ?

L'an dernier, les parlementaires le souhaitaient clairement en adoptant de la loi Egalim du 30 octobre 2018 qui prévoit que « certaines catégories de produits biocides, listées par décret, ne peuvent être cédées directement en libre-service à des utilisateurs non professionnels (grand public) » (art. L. 522-5-2 du code de l'environnement). Dans leurs exposés, les parlementaires visaient clairement les biocides rodenticides (TP14) et insecticides (TP18). Leurs ventes restaient possibles dans tous les circuits mais avec une information préalable dissuasive des clients qui en réclameraient encore.

Le gouvernement avait souhaité garder la main sur la liste des biocides interdits de vente en libre-service. Mal lui en a pris. Car, depuis un an, le gouvernement n'arrive pas à trouver un consensus sur cette liste de produits biocides à interdire de vente en libre-service pour les particuliers. Alors que ces ventes sans conseil représentent l'essentiel des ventes de gammes contre les insectes volants ou rampants.

Le projet de décret visait les insecticides et les rodendicides

Au printemps, le ministère de l'écologie a mis en consultation publique un projet de décret qui prévoyait que cette interdiction de vente en libre-service s'applique aux biocides insecticides (TP18) et rodenticides (TP14), tout comme pour les interdictions de remises et de publicité applicables pour ces produits depuis le 1er octobre dernier (voir LeFil du 30 septembre 2019). Mais l'interdiction de la vente en libre-service de ces biocides semble susciter encore davantage de problèmes. Dans de nombreux cas, notamment dans la grande distribution, l'interdiction de vente en libre-service reviendrait à en interdire toutes les ventes et ainsi à rendre, si ce n'est indisponible, tout du moins peu disponibles au grand public des produits qu'il a largement l'habitude d'utiliser en été pour lutter contre les insectes. Car peu de vendeurs auront envie de donner des conseils négatifs sur des produits stockés sous clef, voire, selon la loi, à faire en sorte que le client, convaincu de la toxicité de ces produits, soit dissuadé d'en acheter.

Le gouvernement choisit de… ne pas choisir

Devant ce dilemme, le ministère de l'écologie en charge des produits biocides a choisi… de ne pas choisir. Il demande à l'Anses son avis préalable sur la liste précise des produits biocides par substance active ou par type d'usage qu'il conviendrait de préciser non plus dans un nouveau décret, mais dans un arrêté qu'il est beaucoup plus facile de prendre, de modifier ou d'abroger.

C'est tout le sens du décret que le ministre de l'écologie a fait publier au Journal officiel du 16 octobre 2019. Courage. Lançons la patate chaude à l'Anses. Ce qui reporte d'autant cette interdiction de vente en libre-service.

Les résistances, les intoxications et les mauvais usages

Attendu depuis presque un an, ce décret esquisse les trois catégories de produits biocides qui devraient être inscrites dans cet arrêté (article R. 522-16-3 du code de l'environnement) :

  1. « Les biocides pour lesquels des données permettent d'établir ou de suspecter une apparition de résistances », ce qui devrait sans doute correspondre à certains insecticides (TP18), voire (?) à des désinfectants,
  2. « Les biocides pour lesquels des cas d'intoxication involontaire sont signalés » ce qui devrait probablement inclure au moins les rodenticides antivitamine K (TP14),
  3. Les biocides fréquemment mal utilisés par rapport à des précautions « visant à préserver la santé humaine ou l'environnement » figurant dans les notices des produits (ou les AMM biocides).

Ces trois catégories sont encore bien trop floues pour considérer, qu'en l'absence de l'arrêté, un distributeur au détail puisse appliquer cette interdiction. Mais, il reste probable que les rodenticides (TP14) et certains insecticides (TP18) seront visés par cette interdiction de vente en libre-service. Le futur arrêté devrait lister les produits concernés de manière précise : par substance active ou par type de produits (TP14 pour les rodenticides, TP18 pour les insecticides etc.).

Un vendeur qui devra dissuader les clients d'acheter

Lorsque cette liste des biocides interdits de vente en libre-service sera publiée avec le nouvel arrêté, ce qui nécessitera encore plusieurs semaines ou plusieurs mois, le distributeur ne pourra plus laisser ces produits sur les rayons en vente libre à des particuliers ou au grand public, mais les conserver sous clé ou des locaux inaccessibles au public.

Pour la vente à des « non professionnels », « les distributeurs fournissent des informations générales :

  1. Sur les risques liés à l'utilisation des produits biocides, notamment sur les dangers, l'exposition, les conditions appropriées de stockage et les consignes à respecter pour la manipulation, l'application et l'élimination sans danger
  2. Ainsi que sur les solutions de substitution présentant un faible risque. »

La dispensation de ces conseils, directement par le distributeur, et non pas seulement par des mentions dans l'étiquetage ou la notice, rend en effet impossible la vente en libre-service où le client prend lui-même le produit en rayon avant un passage en caisse. Mais le vendeur devrait aussi se faire hara-kiri en orientant ces clients vers des solutions à « faible risque »

Un délai pour l'écoulement des stocks en libre-service

En outre, l'arrêté devrait aussi fixer un délai d'écoulement des stocks de biocides vendus en libre-service auprès du grand public. Cela devrait donc éviter une application brutale de la mesure qui nécessiterait de vider les rayons en libre-service du jour au lendemain.

Les produits interdits de vente en libre-service auprès des « non professionnels » pourront néanmoins rester en vente en libre-service auprès des professionnels, notamment ; chez les vétérinaires, auprès des éleveurs.

1500 € d'amendes et le double an cas de récidive

Le décret précise que le non-respect de l'interdiction de vente en libre-service auprès d'utilisateurs non professionnels sera puni d'une contravention de V° classe, soit 1500 € d'amende pour une personne physique, 7500 € pour une personne morale et, en cas de récidive, le double : 3000 € ou 15000 € (article R. 522-25 du code de l'environnement).

Les ventes en ligne ne sont pas des ventes en libre-service

La loi Egalim a voulu interdire à un particulier de prendre directement en rayon des produits biocides dangereux, puis passer en caisse sans la fourniture a minima d'un conseil sur l'usage et les risques. Ces produits dangereux ne pourront donc plus être pris directement dans les rayons en « libre-service ». Mais, ils pourront toujours être stockés sous clé dans une vitrine à la vue du public, ou dans des locaux ou des armoires non directement accessibles au public.

La vente en ligne ou à distance n'est donc pas, semble-t-il, une pratique équivalente à la vente en libre-service. La vente en ligne ne devrait donc pas être interdite par cette loi, mais devrait néanmoins être accompagnée des mêmes conseils préalables à la vente que pour une vente dans en magasin.

Un système de type « boîte à cocher » pourrait ainsi permettre à des sites de vente en ligne de produits biocides de conserver une trace que l'utilisateur non-professionnel a bien été informé des conseils sur l'usage et les risques associés à ces produits.

Les interdictions de remise et de publicité applicables depuis le 1er octobre

Deux autres interdictions, de remise et de publicité (grand public surtout), s'appliquent aux produits biocides insecticides (TP18) et rodenticides (TP14) depuis 1er octobre 2019 (voir LeFil du 30 septembre 2019).

  1. Les remises, rabais, ristournes et de « toute pratique équivalente ou visant à contourner cette interdiction » sont interdites sur toute la chaîne de la distribution en gros ou au détail depuis le 1er octobre. Toutefois les remises prévues dans des contrats signés avant le 1er octobre 2019 peuvent continuer à être appliquées jusqu'à la fin de l'année 2019.
  2. La publicité est interdite sauf auprès des professionnels (vétérinaires, éleveurs…) « sur les points de vente (PLV) et dans les publications professionnelles ». Pour les publicités permises auprès des professionnels, des mentions légales doivent être ajoutées.

Ces trois interdictions (remises, publicité, vente en libre-service) découlent de la loi Egalim du 30 octobre 2018. Les parlementaires ont ainsi voulu compléter le plan Ecophyto de réduction des usages des produits phytopharmaceutiques. Leur objectif est donc aussi de réduire l'usage de certains biocides en laissant le soin au gouvernement de déterminer par décret lesquels.