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29 octobre 2018

Vaccins censurés. Le Conseil constitutionnel retoque la publicité éleveurs et un quart de la loi fourre-tout Egalim

par Eric Vandaële

Temps de lecture  5 min

Les cavaliers législatifs sont démasqués
La cavalerie législative est traquée par le Conseil constitutionnel. La loi alimentation restera dans les annales avec 23 articles censurés sur 98. Un charcutage de la loi qui s'apparente à un carnage. Photo: lexpress.fr
Les cavaliers législatifs sont démasqués
La cavalerie législative est traquée par le Conseil constitutionnel. La loi alimentation restera dans les annales avec 23 articles censurés sur 98. Un charcutage de la loi qui s'apparente à un carnage. Photo: lexpress.fr
 

« Cavalier législatif ». C'est sur ce motif que, le 25 octobre, le Conseil constitutionnel a censuré 23 des 98 articles de la loi « alimentation » (ou Egalim) adoptée le 2 octobre par les députés (voir LeFil du 4 octobre 2018). Le recours avait été déposé par les sénateurs qui avaient rejeté en totalité cette loi à une large majorité des voix (85 %) des sénateurs de droite comme de gauche (voir LeFil du 9 octobre 2018).

La pratique inconstitutionnelle du « cavalier législatif » consiste à introduire par des amendements des mesures sans lien avec l'objet initial du projet de la loi.

De la loi « fourre-tout » aux mesures « attrape-tout »

Lors de son dépôt, le 1er février 2018, le projet de loi alimentation ne comprenait que 17 articles. La loi votée par les députés en compte 98. Presque 6 fois plus ! Le projet de loi était donc effectivement devenu une loi agricole « fourre-tout » pour le gouvernement comme pour les parlementaires, parfois sous l'influence des lobbies. Elle a largement servi de support législatif pour faire passer des mesures en sommeil ou « dans l'air du temps ».

Mais, ce n'est pas une surprise, le Conseil constitutionnel n'aime pas du tout ces projets de loi dont l'objet est apparemment limité et qui se mettent ensuite à gonfler en quelques mois par le jeu d'amendements « attrape-tout ».

Pour les vieux sages du Palais Royal, le siège du Conseil constitutionnel, 23 des 81 nouveaux articles introduits par des amendements, soit 30 % de ces nouveaux articles, ne sont pas en lien, même indirect, avec l'objet de la loi :

  • D'une part, « l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire » et,
  • D'autre part « une alimentation saine, durable et accessible à tous ».

Ces 23 articles sont donc déclarés « non conformes à la Constitution » non sur le fond, mais du fait qu'ils découlent de ces cavaliers législatifs.

Une vieille promesse du plan EcoAntibio encore retoquée

La principale mesure vétérinaire retoquée par le Conseil constitutionnel est une vieille promesse de 2011 du premier plan EcoAntibio visant à promouvoir les vaccins comme une alternative aux antibiotiques. C'est la seconde fois qu'elle est retoquée par une haute juridiction contre l'avis du gouvernement. La mesure 31 du plan EcoAntibio1 prévoyait en effet d'autoriser la publicité des vaccins auprès des éleveurs par décret. Sauf que ce point du décret a été retoqué une première fois en 2015 par le Conseil d'État. Car cette mesure était contraire à la réglementation européenne qui interdit la publicité auprès des éleveurs et du grand public de tous les médicaments sur prescription (art. 85 de la directive 2001/82).

Avec le projet de loi Egalim, un amendement du gouvernement visait à inscrire, non par décret, mais dans la loi, cette ouverture de la publicité à destination des éleveurs pour les vaccins dans la presse agricole. Mais le Conseil constitutionnel n'y a pas vu de lien, même indirect, avec une « alimentation saine ». L'article 87 qui en découle est donc « non conforme » à la Constitution.

Mais « rien n'est perdu » pour autant. Le nouveau règlement européen « médicament vétérinaire », adopté le 25 octobre par les eurodéputés, interdit toujours la publicité à destination des éleveurs pour des médicaments sur prescription (voir LeFil du 25 octobre 2018). Mais, par dérogation, les États membres qui le souhaitent pourront permettre la publicité à destination des éleveurs seulement pour des vaccins et des médicaments immunologiques. Toutefois, cette dérogation ne sera applicable que fin 2021 ou début 2022. Soit plus de dix ans après la promesse faite en 2011 avec la préparation du premier plan EcoAntibio !

Le gouvernement dispose donc d'un nouveau délai de trois ans pour réintroduire cette mesure d'application volontaire dans un autre projet de loi.

Le steak de soja équitable est conservé

Les autres dispositions censurées portent, entre autres, sur les points suivants.

  • « Steak de soja » (art. 31). Les dénominations associées à des denrées d'origine animale (steak, jambon, saucisse…) pourront continuer à être utilisées pour des denrées d'origine végétale.
  • Commerce « équitable » (art. 42). L'usage du terme « équitable » ne sera pas réservé aux produits conformes à la définition légale du commerce équitable.
  • Miels (art. 43). L'étiquetage d'un mélange de miels récoltés dans plusieurs pays ne devra pas obligatoirement mentionner tous les pays de récolte.
  • Huîtres (art. 32). L'origine des naissains d'huîtres (écloseries ou pleine mer) ne sera pas une mention obligatoire.
  • Pour les ventes en ligne de denrées alimentaires (art 34), la lisibilité des mentions d'étiquetage obligatoire ne sera pas encadrée sur le site de vente en ligne. En particulier, la lisibilité des mentions figurant sur le scan d'un packaging mis en ligne restera difficile à apprécier.

En revanche, aucune des mesures sur le bien-être animal n'a été retoquée par les sages du Conseil constitutionnel

Principales mesures vétérinaires de la loi Egalim et délais d'application

 

Pas de remises sur [certains] biocides et moins de promo sur les aliments

Les deux autres mesures qui impactent l'exercice vétérinaire ont été confirmées.

  • À compter du 1er janvier 2019, les remises seront interdites sur l'achat et la vente de certains biocides dont la liste sera fixée par décret. Les désinfectants vétérinaires, promus dans le plan EcoAntibio, pourraient être exclus de cette interdiction. À l'inverse, les insecticides sont dans l'œil du cyclone.
  • Les promotions sur la revente au consommateur des aliments seront plafonnées par une ordonnance législative pendant deux ans, en 2019 et 2020. Le mot « gratuit », de type « 10 % gratuit » deviendra aussi interdit pour promouvoir la vente des aliments.

Une promulgation imminente

Désormais, le président de la République dispose d'un délai de 15 jours, soit au maximum jusqu'au 10 novembre, pour promulguer les 75 articles restants de cette loi.

La loi s'appliquera dès le lendemain de sa publication au Journal officiel sauf disposition contraire prévue par la loi. Certaines mesures nécessiteront aussi la publication d'une ordonnance ou d'un décret pour pouvoir concrètement être mise en œuvre.