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4 juin 2018

Projet de loi fourre-tout. Les députés interdisent les remises sur les biocides, rejettent le découplage, débattent du bien-être animal…

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

Face aux députés, Stéphane Travert défend les vétérinaires
Le 29 mai vers 19 heures, devant les députés de droite ou de gauche qui prônaient un découplage, le ministre de l'agriculture a salué « les résultats exceptionnels du plan EcoAntibio1 obtenus grâce aux vétérinaires » avec 37 % de réduction globale pour un objectif à -25 %. Il s'est opposé avec vigueur contre cette mesure qu'il juge « irresponsable ». Source : Assemblée nationale.
Face aux députés, Stéphane Travert défend les vétérinaires
Le 29 mai vers 19 heures, devant les députés de droite ou de gauche qui prônaient un découplage, le ministre de l'agriculture a salué « les résultats exceptionnels du plan EcoAntibio1 obtenus grâce aux vétérinaires » avec 37 % de réduction globale pour un objectif à -25 %. Il s'est opposé avec vigueur contre cette mesure qu'il juge « irresponsable ». Source : Assemblée nationale.
 

À chaque gouvernement, tous les trois à cinq ans, un projet de loi « fourre-tout » sur l'agriculture et l'alimentation est débattu devant le Parlement. Les 96 articles de la loi d'avenir de l'agriculture du 13 octobre 2014 défendue par Stéphane Le Fol sont à peine digérés que, Stéphane Travert, son successeur à l'hôtel de Villeroy, le siège de son ministère, présente devant le Parlement son projet de loi alimentation baptisé pour « l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable ». Le projet de loi découle des états généraux de l'alimentation de l'automne 2017. Il avait donc d'abord pour objectif de défendre des revenus décents aux agriculteurs face aux acheteurs qui tirent les prix des produits agricoles vers le bas. Le projet de loi initial, déposé le 1er février 2018, ne comportait que 17 articles sur moins de vingt pages avec pas ou peu de dispositions en santé animale. Les deux tiers des articles portaient sur les relations commerciales entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs…

Projet de loi attrape-tout pour les lobbies

Mais, finalement sans grande surprise, il est vite devenu un projet de loi attrape-tout pour les lobbies, comme pour les députés ou le gouvernement, pour y défendre toutes sortes de mesures en lien, de près ou de loin, avec l'alimentation. À l'issue du vote des députés, le nombre d'articles de projet de loi a été multiplié par six avec 95 articles au total. Les trois quarts d'entre eux (70) ne portent plus sur l'équilibre des relations commerciales mais sur l'agriculture en général, le développement durable, le gaspillage alimentaire et, bien entendu, aussi… le bien-être et la santé animale. Bref, un catalogue de mesures diverses sans grande cohérence entre elles.

Promulgation attendue pour l'été ou l'automne 2018

Adopté le 30 mai par les députés après huit jours de débats, ce projet de loi est maintenant entre les mains des sénateurs qui devraient commencer son examen en commission à partir du 6 juin, puis en séance publique à partir du 26 juin. Les points de divergence entre les députés et les sénateurs seront ensuite examinés en commission mixte paritaire (CMP), ce qui laisse augurer d'une publication de la loi dans sa version finale au plus tôt durant l'été, au plus tard à l'automne.

Un découplage promu à droite, défendu à gauche

Rédigés par l'association de consommateurs UFC-Que-Choisir, quatre amendements identiques visaient à interdire à la fois la délivrance des médicaments par les vétérinaires (découplage) et l'usage chez les animaux des antibiotiques critiques pour la médecine humaine (fluoroquinolones et céphalosporines de dernières générations). Un autre amendement voulait seulement interdire l'usage des antibiotiques critiques en médecine vétérinaire.

La plupart des signataires des quatre amendements favorables au « découplage » étaient des députés de droite du groupe Les Républicains. Mais les députés de la France insoumise étaient les plus acharnés à défendre ce découplage en répétant inlassablement les arguments de l'association de consommateurs. Ces amendements ont tous été rejetés lors du vote ou retirés avant le vote.

Les vétérinaires : un exemple pour la médecine humaine

Le gouvernement et le rapporteur du projet de loi étaient évidemment opposés à ces amendements en émettant des avis défavorables. Ils en ont profité pour saluer les résultats du plan EcoAntibio1 obtenus « grâce aux vétérinaires » avec une réduction de 37 % pour un objectif fixé à -25 %. « Si la médecine humaine avait pris exemple sur la médecine vétérinaire, nous aurions certainement moins de problèmes de résistance aujourd'hui » argumente le rapporteur qui accuse aussi « les pharmaciens d'agir en chevalier blanc » alors qu' « ils n'ont pas de leçon de morale à donner en matière de ventes d'antibiotiques ». L'affaire a finalement été expédiée en quelques minutes.

Et « en même temps »… le découplage en phytopharmacie

La chronologie des articles faisait qu'un autre découplage, celui sur les produits phytopharmaceutiques, venait en discussion juste après celui sur les médicaments vétérinaires. Le débat s'est alors curieusement inversé. L'opposition de droite comme de gauche soutenait un couplage au nom de la réalité économique et de coût de la mesure. Tandis que le gouvernement prônait la séparation (le découplage) des activités de conseil et de vente des produits phytopharmaceutiques pour tenir une promesse de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron « et, en même temps », les objectifs du plan EcoPhyto. Pour le moment, ce plan n'a pas réussi à faire baisser les usages de produits phytopharmaceutiques.

Le projet de loi prévoit que le gouvernement puisse légiférer par ordonnance dans un délai de six mois après la publication de la loi sur cette séparation des activités de conseil et de vente considérées comme incompatibles. Elles devraient donc être exercées par des sociétés sans lien capitalistique entre elles. En outre, l'ordonnance législative devait aussi fixer un objectif de réduction en phytopharmacie, sans doute de l'ordre de 20 % pour fin 2021 si l'on en croit les députés présents dans l'hémicycle.

L'interdiction de toute remise sur les biocides

Sur le modèle du plan EcoAntibio et de l'interdiction des contrats commerciaux pour les antibiotiques, le projet de loi interdit, pour les biocides et les produits phytopharmaceutiques, « les remises, rabais, ristournes, les unités gratuites [et autre pratique commerciale] » sur la vente en gros ou au détail de ces produits sous peine d'une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 € pour une personne morale et 15 000 € pour une personne physique (art 14 et 14 bis du projet de loi).

Un impact aussi pour les vétérinaires

Cette mesure aura aussi un impact chez les vétérinaires qui bénéficient ou accordent parfois des remises ou unités gratuites sur les biocides. Car l'interdiction de tout avantage commercial s'applique à tous les produits biocides y compris ceux utilisés en santé animale :

  • Les désinfectants des mains des chirurgiens (TP1) et des surfaces inertes ou du matériel (TP2) dans les cliniques vétérinaires,
  • Les désinfectants cutanés de la peau saine des animaux (TP3) comme la chlorhexidine, la plupart des solutions iodées, les gammes d'hygiène cutanée,
  • Les désinfectants des bâtiments et du matériel d'élevage (TP3), y compris les gammes d'hygiène mammaire,
  • Les désinfectants de l'eau de boisson des animaux (TP5),
  • Les insecticides, acaricides (TP18) de l'environnement, notamment ceux des habitations, des écuries, des étables ou les répulsifs (TP19),
  • Les rodenticides (TP14), etc. La liste n'est pas exhaustive.

Cette interdiction de ces pratiques commerciales devrait entrer en vigueur trois mois après la date de publication de la loi au Journal officiel ou au début de l'année 2019.

Publicité pour les vaccins dans la presse agricole

Les députés ont adopté un amendement visant à autoriser la publicité pour les vaccins dans la presse agricole à destination des éleveurs (art. 14 undecies, art. L. 5141-16 9°) modifié). Cette mesure était prévue dans le plan EcoAntibio1. Mais le Conseil d'État avait censuré la disposition qui est contraire à la directive européenne 2001/82 sur le médicament vétérinaire. Cette directive interdit « la publicité auprès du public pour les médicaments vétérinaires qui ne peuvent être délivrés que sur prescription » (art. 85). Le projet de loi anticipe le règlement européen qui restreint toujours la publicité pour les médicaments sur prescription aux seuls vétérinaires et autres ayants droit. Mais, dans le projet en négociation datée du 17 mai 2018, le règlement permettrait aux États membres de déroger à cette interdiction pour les vaccins destinés aux éleveurs professionnels (art. 124 modifié).

Cette loi et le nouveau règlement européen devraient être publiés à moins d'un an d'intervalle fin 2018 ou début 2019. Si ces deux textes ne sont pas amendés d'ici là, le Conseil d'État devrait ensuite, à terme, accepter un décret qui permettrait d'autoriser la publicité pour les vaccins auprès des éleveurs, dans la presse agricole. Car cela ne serait alors plus incompatible avec le droit européen.

Les autres dispositions de ce projet de loi sur le bien-être animal, les leçons de l'affaire Lactalis, une alimentation « saine et durable »… seront présentées dans un prochain Fil.