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5 juillet 2018

La loi alimentation plafonne les remises sur les petfoods et les autres aliments pendant deux ans

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Une spirale des prix à la baisse
Le Sénat veut interdire pendant deux ans des promotions comme celles proposées par Intermarché sur des pots de Nutella à -70 % ou les croquettes Canaillou à -50 % (un acheté, un gratuit).
Une spirale des prix à la baisse
Le Sénat veut interdire pendant deux ans des promotions comme celles proposées par Intermarché sur des pots de Nutella à -70 % ou les croquettes Canaillou à -50 % (un acheté, un gratuit).
 

Comment enrayer une spirale des prix des aliments à la baisse qui nuit au revenu des agriculteurs ? Une question complexe mais une réponse simple donnée dans la loi alimentation qui vient d'être adoptée au Sénat dans la nuit du 2 au 3 juillet (voir les Fils du 4 et 5 juin 2018).

Selon cette loi, il suffirait d'obliger les distributeurs à prendre une marge — au moins 10 % — et d'interdire les promotions à prix trop bas lors de la revente des aliments aux consommateurs. Car c'est la grande distribution qui semple à l'origine d'une spirale des prix à la baisse en multipliant les prix cassés — rappelez-vous de l'affaire des pots de Nutella vendus à -70 % par Intermarché — et les pressions sur les prix d'achat qu'elles font, in fine, subir sur les producteurs.

Article 9 : des denrées aux petfoods

L'article 9 du projet de loi alimentation pour « l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire » reprend cette idée évoquée lors des états généraux de l'alimentation. Le gouvernement voulait légiférer là-dessus par ordonnance dans un délai de 4 mois après la publication de la loi. Le but est d'encadrer temporairement, sur une durée de deux ans, les marges et les promotions appliquées dans la vente au détail « des denrées alimentaires revendues en l'état au consommateur ».

Initialement, le gouvernement emploie ce terme de « denrées alimentaires » pour intentionnellement exclure les aliments pour animaux de cet encadrement. Car ce terme de « denrées alimentaires » définit les aliments propres à la consommation humaine.

Les députés ont étendu par amendement ce dispositif aux « denrées alimentaires destinées aux animaux de compagnie ». Cette rédaction est un « non-sens » qui révèle une méconnaissance de la définition de ce terme. Car aucune denrée alimentaire n'est destinée aux animaux de compagnie. Même s'il n'est évidemment pas interdit d'acheter du jambon ou du riz pour son chien. Néanmoins, l'intention des députés est bien d'inclure dans le dispositif les petfoods et les autres aliments pour chiens, chats ou NAC, qu'ils soient complets ou complémentaires. Car, pour les députés, les fabricants de ces aliments exerceraient aussi une pression d'achats à la baisse de matières premières d'origine animale ou végétale auprès des agriculteurs.

Le Sénat relève de 10 % le seuil de revente à perte

Le Sénat a adopté une version encore plus complexe que celle des députés. Contre l'avis du gouvernement, les sénateurs ont mis dans la loi l'encadrement qui était prévu pour être négocié dans une ordonnance législative. Cet encadrement serait applicable à compter du 1er mars 2019 pour deux ans, soit jusqu'au 1er mars 2021.

Les sénateurs ont relevé de 10 % le seuil habituel de revente à perte pour obliger, lors de la revente en l'état aux consommateurs, les distributeurs à prendre une marge minimale de 10 % sur « les denrées alimentaires, y compris celles destinées aux animaux de compagnie ». Le non-sens de la rédaction des députés est conservé. Cette mesure est controversée. Car, à court terme, elle ne profite ni au consommateur, qui devrait voir le prix de certains aliments augmenter, ni directement aux agriculteurs. Mais elle ne peut profiter qu'aux distributeurs qui deviennent dans l'obligation de faire une marge minimale de 10 % que paiera in fine le consommateur. Paradoxalement, les principaux responsables de la spirale des prix à la baisse se retrouvent comme les premiers bénéficiaires directs de la mesure. Le pari — mais ce n'est qu'un pari — est que les agriculteurs en profitent aussi à moyen terme, par l'arrêt d'une pression à la baisse sur les prix d'achat de leurs produits agricoles.

Pas plus d'un sac gratuit pour deux achetés

Le sénat a aussi voulu plafonner directement dans la loi les promotions de toutes natures sur les aliments, qu'elles soient décidées par le fournisseur ou par le distributeur. Car rappelez-vous en janvier dernier, Intermarché a provoqué des émeutes en proposant des pots de Nutella avec une remise de 70 %. Un scandale ! Sans déclencher de telles émeutes, Intermarché a aussi proposé un sac de croquettes gratuit pour un acheté, soit une remise de 50 %.

Pour éviter de telles pratiques, les sénateurs ont plafonné ces promotions sur ces « produits alimentaires, y compris ceux destinés aux animaux de compagnie ». La rédaction est ici sans ambiguïté pour inclure les petfoods et les autres aliments pour animaux de compagnie. Cela inclut aussi les « nutraceutiques » et autres produits thérapeutiques « borderline » reclassés en aliments complémentaires par leurs fabricants pour, le plus souvent, éviter d'être soumis aux exigences « AMM » des médicaments vétérinaires. Le texte adopte par le Sénat est le suivant.

« Les promotions de toute nature, à caractère instantané ou différé [par exemple par un bon de réduction reporté sur un achat ultérieur], financés par le distributeur ou par le fournisseur, ne peuvent pas dépasser 34 % du prix de vente au consommateur ni 25 % du volume annuel des ventes ».

« Le non-respect de cette disposition serait puni d'une amende administrative plafonnée à 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale ».

Les promotions de plus de 34 % du prix de revente aux consommateurs sont plutôt rares. En revanche, il est plus fréquent de constater des promotions permanentes plus faibles de 5, 10 ou 20 %. La loi devrait limiter ces promotions, même faibles, à un quart des volumes annuels vendus.

Les remises aux vétérinaires non plafonnées

La loi plafonne les promotions des aliments seulement lors de revente en l'état aux consommateurs, donc par les distributeurs, les sites de vente en ligne, les animaleries ou les cliniques vétérinaires. Les remises accordées en amont ne sont pas visées, car elles ne visent pas la revente en l'état aux consommateurs. En d'autres termes, les remises accordées aux cliniques vétérinaires sur les petfoods et les aliments complémentaires pourront continuer même si elles s'appliquent à plus de 25 % de volume acheté ou si elles dépassent 34 % du prix catalogue. Toutefois, ces remises diminuent le seuil de revente à perte, y compris lorsqu'elles sont touchées seulement en fin d'année. Elles peuvent donc être répercutées toute l'année sur le prix de revente au consommateur par les animaleries ou les sites de vente en ligne aux consommateurs.

Le Sénat rétablit les remises sur les biocides

Le Sénat a supprimé toutes les mesures relatives aux biocides que les députés avaient ajoutées dans l‘article 14 bis. Il a notamment supprimé l'interdiction des remises, rabais, ristournes sur la vente de ces biocides, ainsi que tout encadrement de la publicité grand public ou de la vente en libre-service de certains biocides.

En miroir, le Sénat a aussi supprimé l'interdiction des remises sur les produits de phytopharmacie qui figurait pourtant comme une mesure phare de ce projet de loi (art 14). Et il a assoupli le découplage prévu entre les activités de conseil et de vente de ces produits phytopharmaceutiques (art. 15). Pour en alléger le surcoût pour l'agriculteur, un seul conseil pourrait être valable pour plusieurs années…

La publicité pour les vaccins dans la presse élevage

Le Sénat a adopté un amendement du gouvernement visant à permettre, dans des conditions qui devront être fixées par décret, la publicité dans la presse agricole pour les vaccins à destination des éleveurs professionnels (art. L. 5141-16 9°) modifié). Favorable sur le principe à cette mesure, la rapporteure du Sénat était toutefois très dubitative sur cet amendement dont elle a souligné qu'il était contraire au droit européen. En effet, l'article 85 de la directive européenne 2001/82 « interdit la publicité auprès du public faite à l'égard des médicaments vétérinaires qui ne peuvent être délivrés que sur prescription vétérinaire » (ce qui inclut donc les vaccins).

Permettre la publicité pour des vaccins auprès des éleveurs était une mesure prévue dans le plan EcoAntibio1 dès novembre 2011. Le projet de décret « publicité » de juin 2015 prévoyait de permettre ces publicités pour les vaccins. Mais le Conseil d'État avait alors demandé de retirer cette ouverture car elle était contraire à la directive 2001/82 sur le médicament vétérinaire.

Il s'agit donc désormais d'anticiper l'application prévue fin 2021 du nouveau règlement européen « médicament vétérinaire » (voir LeFil du 19 juin 2018). Dans sa version finale en cours d'adoption, il permettra, par dérogation, aux États membres qui le souhaiteraient, d'autoriser la publicité pour les médicaments immunologiques auprès des éleveurs.

Cette disposition ayant été votée dans le projet de loi dans les mêmes termes par les députés et les sénateurs (art. 14 undecies), elle ne devrait pas être discutée ni remise en cause avant la promulgation dans la loi.

Une vidéo-expérimentation dans les abattoirs volontaires

Sur le bien-être animal (art. 13 et suivants), les sénateurs ont très peu modifié le projet de loi adopté par les députés à l'exception de l'interdiction des poules pondeuses en cages restreintes à des bâtiments neufs.

  • Sanctions pénales doublées (art 13). Les mauvais traitements aux animaux commis par des professionnels (éleveurs, transporteurs, refuges, chenils, animaleries…) pourront être réprimés par, au maximum, un an de prison et/ou une amende 15 000 € (art. L. 215-11 du code rural). Dans de telles affaires, les associations de protection animale pourront aussi désormais se porter partie civile contre ces professionnels.
  • Interdiction des poules pondeuses en cages. Suite à l'abandon volontaire et progressif des poules pondeuses en cages par la filière, le projet de loi interdit ce mode d'élevage en France dans des bâtiments neufs (art 13 bis A). Il n'interdit pas la vente d'œufs de poules pondeuses élevées en cage.
  • Abattoirs (art. 13 ter, 13 quater A, 13, quinquies). Dans chaque abattoir, un responsable « bien être animal » sera désigné. Les signalements seront encouragés. Et, si l'abattoir est volontaire, il pourra mettre en place à titre expérimental, un dispositif de contrôle vidéo (art. 13 quater A). Des abattoirs mobiles pourront être développés à titre expérimental (art. 13 quinquies).
  • Formation (art. 13 quater). La « sensibilisation au bien être animal » fera partie de l'enseignement agricole.

Les leçons de l'affaire Lactalis

Les sénateurs ont introduit la possibilité pour les députés ou les sénateurs de saisir l'Anses sur toute question relevant de ses missions (art. 11 quater A).

Pour tirer les leçons de Lactalis, un détenteur d'aliment (pour l'homme ou les animaux) sera à l'avenir tenu de signaler tout risque potentiel pour la santé humaine et animale, notamment sur base d'un résultat d'analyse et d'une contre-expertise réalisées sur l'aliment ou dans son environnement. Jusqu'à présent, le signalement obligatoire ne concernait que les dangers sanitaires de 1ère catégorie (les maladies réglementées). Les laboratoires d'analyses seront dans l'obligation de communiquer leurs résultats aux autorités si elles les demandent (art 11 quindecies).

Pas de promulgation avant la rentrée

Quelles sont les prochaines étapes pour ce projet de loi ? Les versions votées par l'Assemblée nationale et par le Sénat divergent sur de nombreux points. En l'absence d'une seconde lecture, une commission mixte paritaire (CMP), composée de 7 députés et 7 sénateurs, doit se réunir, sans doute courant juillet, pour tenter de trouver un consensus sur les très nombreux points de divergence entre les députés et les sénateurs. Puis un vote formel d'adoption aura lieu dans les deux chambres sans nouvel examen.

En l'absence d'accord entre les deux chambres, c'est la version finale votée par l'Assemblée nationale qui sera retenue pour être promulguée par le président de la république. Une saisine éventuelle du Conseil constitutionnel retarderait d'environ un mois cette publication.

Le ministre de l'agriculture vient d'indiquer au Sénat qu'il n'envisage plus la promulgation de cette loi avant le 1er septembre.