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17 juillet 2018

Remises sur les aliments et les biocides : députés et sénateurs se déchirent sur la loi alimentation

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

À la rentrée parlementaire, le texte repassera pour une seconde lecture devant les députés et les sénateurs. Puis, ce seront les députés qui auront le mot de la fin.
À la rentrée parlementaire, le texte repassera pour une seconde lecture devant les députés et les sénateurs. Puis, ce seront les députés qui auront le mot de la fin.
 

Les députés et les sénateurs réunis en commission mixte paritaire (CMP) ont échoué, le 10 juillet dernier, à se mettre d'accord sur le projet de loi « alimentation » adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 30 mai 2018 (voir les Fils des 4 et 5 juin) et par le Sénat le 2 juillet (voir le Fil du 5 juillet 2018).

Cela ne constitue pas une surprise. La majorité Les Républicains du Sénat avait fortement modifié le projet de loi sur des mesures-phares voulues par le gouvernement. Le projet de loi était tellement éloigné de celui voté par les députés En Marche que les rares sénateurs de la majorité présidentielle s'étaient abstenus lors du vote sur l'ensemble du texte au palais du Luxembourg.

Le projet de loi étant déclaré en procédure accélérée — l'ancienne procédure d'urgence —, une Commission mixte paritaire composée de sept députés et sept sénateurs a été immédiatement chargée de trouver un consensus entre les deux chambres. Peine perdue. La commission n'a pu que constater les désaccords.

Le dernier mot aux députés

Dans ce cas, la procédure parlementaire accélérée prévoit encore trois lectures au total dans les deux chambres. Une seconde lecture aura lieu d'abord à l'Assemblée nationale, puis au Sénat sans revenir sur les dispositions déjà adoptées dans les mêmes termes par les deux chambres. Puis, le dernier mot reviendra aux députés pour une lecture définitive sans possibilité d'amender le texte, mais seulement pour accepter ou rejeter les derniers amendements votés par le Sénat.

À ce jour, l'agenda de l'Assemblée nationale d'ici au 1er août, date prévue pour la fin de session, est déjà complet. Ce texte n'avancera sans doute pas durant l'été mais seulement à partir de la rentrée parlementaire prévue le 3 septembre.

Deux dispositions importantes impactant les vétérinaires et la santé animale sont encore en suspens :

  • D'une part, sur l'interdiction des remises sur les biocides,
  • D'autre part, sur une limitation des promotions sur le prix au consommateur sur les aliments, y compris ceux destinés aux animaux de compagnie.

Quand les biocides deviennent des pesticides…

Le gouvernement, s'inspirant de l'interdiction des remises sur les antibiotiques vétérinaires adoptée avec la loi d'avenir d'octobre 2014, a inscrit dans ce projet de loi l'interdiction de toute remise, rabais, ristourne ou de tout avantage commercial lors de la revente en gros ou des produits de phytopharmacie (art 14). Les recettes d'EcoAntibio devaient être appliquées au plan EcoPhyto, alors que les agriculteurs peinent à réduire significativement l'usage de ces produits.

À l'Assemblée nationale, les députés En Marche ont souhaité étendre cette interdiction de toute forme de remise commerciale à la revente en gros ou au détail des biocides (art 14 bis). Car les biocides et les produits de phytopharmacie ont quelques points communs. Ces deux catégories de produits sont considérées comme des pesticides. Ils partagent souvent les mêmes substances actives toxiques ou « écotoxiques », notamment parmi les insecticides. Cette mesure n'est évidemment pas comprise par les vétérinaires qui voient dans les biocides, principalement des désinfectants, des outils indispensables à la mise en place des mesures de biosécurité et de prévention des maladies infectieuses : des désinfectants indispensables pour réduire le recours aux antibiotiques.

Le Sénat plus sensible aux territoires ruraux

Plus sensible aux enjeux des territoires ruraux, le Sénat, dominé par Les Républicains et l'Union centriste, a supprimé ces interdictions aussi bien pour les biocides que pour les produits de phytopharmacie. Les sénateurs ne pensent pas qu'il faille dupliquer les recettes du plan EcoAntibio pour faire baisser la consommation des produits de phytopharmacie (Ecophyto) ou des biocides. Ils doutent même de l'efficacité de cette mesure dans le succès du plan EcoAntibio.

Le Sénat a aussi supprimé toutes les autres mesures restrictives relatives aux biocides, comme l'encadrement de la publicité grand public ou l'interdiction de la vente en libre-service de certains biocides insecticides. Les sénateurs ont également beaucoup assoupli le découplage strict entre les activités de conseil et de vente de produits de phytopharmacie que souhaitait le gouvernement (art. 15).

Pas trop de promotions sur les aliments et les petfoods

Sur un autre sujet, pour enrayer la spirale des prix bas sur les aliments, le gouvernement souhaitait encadrer provisoirement pendant deux ans, par la voie d'une ordonnance législative, les prix-planchers et les promotions sur la revente au détail aux consommateurs des denrées alimentaires destinées à la consommation humaine. Les aliments pour animaux étaient explicitement exclus (art. 9).

Sur ce point, les députés et les sénateurs sont tombés d'accord contre le gouvernement pour intégrer dans cet encadrement la revente au détail des aliments pour animaux de compagnie, y compris les ventes réalisées par les animaleries, les vétérinaires, les sites internet… Cela inclut aussi les petfoods que les comprimés, les pâtes, les gélules, les solutions orales, les produits de phytothérapie classés par leurs fabricants comme des aliments complémentaires pour animaux de compagnie.

Le point de divergence entre les députés et les sénateurs porte sur l'ordonnance législative prévu pour cet encadrement. Le Sénat ne fait pas confiance au gouvernement. Il a donc introduit directement dans la loi les mesures que le ministre de l'agriculture voulait négocier ultérieurement avec les professionnels, avec une application prévue entre le 1er mars 2019 et 28 février 2021.

Une marge obligatoire de 10 % sur la revente au détail

Sur ces deux ans, le seuil de revente à perte devrait être relevé de 10 % pour les ventes aux consommateurs (et non aux grossistes). En d'autres termes, pendant deux ans, le détaillant sera dans l'obligation d'appliquer une marge minimale de 10 % par rapport à son prix d'achat net, toutes remises déduites. Si le prix d'achat est, toutes remises déduites (y compris les remises de fin d'année), de 100, le nouveau seuil de revente de perte n'est pas de 100 mais de 110. Dans la mesure où les vétérinaires prennent une marge supérieure à 10 % sur la revente des aliments, cette mesure ne devrait pas avoir d'impact sur leurs pratiques commerciales.

Seconde mesure : « les avantages promotionnels de toute nature, à caractère instantané ou différé [les primes de fidélité], financés par le distributeur ou le fournisseur, ne peuvent dépasser 34 % du prix de vente au consommateur ni 25 % du volume annuel des produits faisant l'objet d'un contrat commercial avec un fournisseur ». Une disposition complexe qui mérite quelques explications.

Sur la limitation à 34 % du prix de revente : si le prix de revente catalogue d'un aliment est de 150, une promotion ne peut pas conduire à vendre cet aliment en dessous de 100, ce qui correspond au maximum à une opération de type 2+1 : un sac gratuit pour deux achetés. Ces promotions élevées, supérieures à 34 %, sont rares, voire quasi-inexistantes, lors de la revente au client final des aliments par un vétérinaire ou par une animalerie. Les promotions constatées lors de cette revente, par exemple sur des sites internet, sont au maximum de l'ordre de 20 ou 25 %, rarement plus. Cette mesure ne devrait donc pas avoir un impact significatif sur les promotions des ventes par les vétérinaires, les animaleries ou d'autres circuits.

Zéro promotion sur plus des trois quarts des ventes d'aliments

La limitation à 25 % du volume annuel est une mesure plus complexe et la plus susceptible d'impacter les ventes d'aliments par les vétérinaires. Pour le moment, il n'est encore pas précisé si le volume annuel sera calculé en euros (du volume acheté ou revendu) ou en unités ou sur la base d'une autre unité de mesure. Néanmoins, il semble probable que le volume annuel sera bien évalué en euros plutôt qu'en kilos ! Ainsi, si le vétérinaire (ou un autre détaillant) achète un volume annuel de 10000 euros d'aliments à un fournisseur, au moins 7500 euros de ces achats, soit au minimum les trois quarts, ne devront faire d'objet d'aucune promotion lors de la revente au détail. Par exemple, si le prix de revente au détail annoncé est de 150, au moins 75 % du volume annuel acheté devra être revendu à ce prix sans promotion, quelle que soit la marge prise par le détaillant. Seulement 25 % de ce volume pourra être revendu avec une promotion, même si elle est faible, du type une remise de 5 % en prime de fidélité. Cette mesure peut donc impacter les vétérinaires s'ils récompensent souvent leurs clients fidèles par des remises de fidélité. Cela aura surtout un impact sur les propriétaires. Car ils sont aujourd'hui inondés par une multitude d'offres promotionnelles quasi-permanentes. Et ils ne le seront sans doute plus demain, en 2019, pendant au moins deux ans.

Consensus pour la promotion des vaccins dans la presse agricole

À l'inverse des biocides et des aliments, plusieurs mesures relatives à la santé ou au bien-être animal ont déjà été adoptées dans les mêmes termes par les deux chambres. Elles ne font plus partie des dispositions qui seront examinées en seconde lecture. Sauf surprise, elles peuvent être considérées comme définitivement adoptées. Elles portent essentiellement sur le bien-être animal et sur la publicité pour des vaccins auprès des éleveurs dans la presse agricole.

Ainsi, après quelques hésitations, les sénateurs ont voté dans les mêmes termes que les députés une mesure permettant d'ouvrir à la presse agricole la publicité pour des vaccins à destination des éleveurs dans des conditions qui seront fixées par décret. Cette publicité est aujourd'hui interdite par le droit européen comme pour tous les médicaments sur prescription (art. 85 de la directive 2001/82). Mais, à terme (fin 2021), le projet de règlement européen sur le médicament vétérinaire permettra, par dérogation, à des États membres d'autoriser la publicité éleveurs pour les médicaments immunologiques (principalement les vaccins). Il s'agit donc d'anticiper l'application volontaire de cette dérogation.

Les sanctions pénales doublées sur le bien-être animal

Les deux chambres ont adopté dans les mêmes termes la plupart des mesures suivantes sur le bien-être animal, à l'exception d'une divergence sur le champ d'application de l'interdiction des poules pondeuses en cages et de quelques modifications rédactionnelles (art. 13 et suivants).

Les sanctions pénales sont doublées (art 13). Les mauvais traitements aux animaux commis par des professionnels (éleveurs, transporteurs, refuges, chenils, animaleries…) pourront être réprimés par, au maximum, un an de prison et/ou une amende 15 000 € (art. L. 215-11 du code rural). Dans de telles affaires, les associations de protection animale pourront aussi désormais se porter partie civile contre ces professionnels.

Suite à l'abandon volontaire et progressif des poules pondeuses en cages par la filière, le projet de loi interdit ce mode d'élevage en France dans des bâtiments neufs (art 13 bis A). Il n'interdit pas la vente d'œufs de poules pondeuses élevées en cage. Le point en discussion porte sur le champ d'application de cette future interdiction : selon le Sénat, seulement pour les bâtiments neufs ou, selon les députés, aussi sur les rénovations de bâtiments anciens.

Les abattoirs mobiles et des vidéos à titre expérimental

Dans chaque abattoir, un responsable « bien être animal » sera désigné (art. 13 ter). Les signalements seront encouragés. Et, si l'abattoir est volontaire, il pourra mettre en place à titre expérimental, un dispositif de contrôle vidéo (art. 13 quater A). Des abattoirs mobiles pourront être développés à titre expérimental (art. 13 quinquies).

La « sensibilisation au bien être animal » fera partie de l'enseignement agricole (art. 13 quater).