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5 juin 2018

Bien-être animal. Les mauvais traitements, l'affaire Lactalis, le bio… devant le Sénat après le vote des députés de la loi alimentation

par Eric Vandaële

Temps de lecture  7 min

Les steaks de soja ne seront plus des steaks
Le projet de loi interdit d'appeler « steak » un produit à base de soja. Mais il obligera aussi les cantines de plus de 200 couverts à proposer des menus végétariens.
Les steaks de soja ne seront plus des steaks
Le projet de loi interdit d'appeler « steak » un produit à base de soja. Mais il obligera aussi les cantines de plus de 200 couverts à proposer des menus végétariens.
 

Les députés ont adopté le 30 mai dernier le projet de loi « alimentation » défendue par le ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert. Hier, lundi 4 juin, un premier Fil a rapporté la position ferme de ce ministre pour défendre « les excellents résultats des vétérinaires sur le plan EcoAntibio » et ainsi s'opposer aux députés « irresponsables », de droite ou de gauche, qui proposaient un découplage prescription-délivrance (voir LeFil du 4 juin). Ce premier Fil signalait aussi l'interdiction des remises sur la vente des biocides et le retour, à terme, des publicités pour les vaccins dans la presse agricole.

Ce second Fil présente les mesures débattues dans ce projet de loi sur le bien-être animal, les leçons de l'affaire Lactalis et quelques dispositions en faveur d'alimentation « saine et durable » avec plus de produits bio et moins de plastiques alimentaires.

Des sanctions doublées sur le bien-être animal

Le débat sur le bien-être animal de ce projet de loi a abouti à rejeter beaucoup de mesures et accepter des compromis sur quelques-unes (article 13 et suivants du projet de loi).

Les plafonds des sanctions pénales prévues au code rural pour réprimer les actes de maltraitances par des professionnels seront doublés (art. 13) pour atteindre jusqu'à un an de prison et 15 000 € d'amende (art. L. 215-11). Jusqu'à présent, les mauvais traitements animaux étaient réprimés dans le code rural par, au maximum, six mois de prison et 7 500 euros d'amende, lorsqu'ils étaient commis par un éleveur ou un autre professionnel : animalerie, fourrière, refuge, chenils, éducateur d'animaux de compagnie… Le projet de loi prévoit de sanctionner des mêmes peines les mauvais traitements commis en abattoirs ou lors du transport d'animaux vivants. Et, dans de telles affaires, les associations de protection animale pourront désormais se porter partie civile contre ces professionnels (art. 2-13 du code de procédure pénale). Jusqu'à présent, ces associations de protection animale ne peuvent se porter partie civile que sur des actes de cruauté animale, d'abandon ou de mauvais traitements animaux réprimés dans le Code pénal.

La fin des poules pondeuses en cages

Les acteurs de la filière ponte se sont engagés volontairement à mettre fin progressivement à l'élevage des poules pondeuses en cage. Le projet de loi en prend acte et interdit la mise en place de poules pondeuses en cages dans un bâtiment neuf ou réaménagé (art 13 A du projet de loi). Mais les députés ont rejeté les amendements visant à interdire la vente des œufs de poules élevées en cages.

Dans un délai de 18 mois après la promulgation de la loi (soit début 2020), le gouvernement devra présenter « les évolutions souhaitées et les réalisations concrètes » en matière de bien-être animal dans chaque filière (art. 13 bis).

Une « sensibilisation au bien être animal » fera désormais partie de l'enseignement agricole (art 13 quater du projet de loi modifiant art. L 811-1 du code rural).

Une vidéo dans des abattoirs volontaires

Dans chaque abattoir, son exploitant devra désigner un responsable « bien être animal » chargé de veiller au respect des mesures de protection animale (art. 13 ter). Chaque abattoir devra établir une procédure de signalement par son personnel ou des collaborateurs extérieurs (art. L. 654-3-1 et -2 du code rural)

Un amendement permet aux abattoirs de mettre en place, sur une base volontaire (et non pas contraignante), des dispositifs de vidéosurveillance des postes de saignée et de mise à mort, afin de contrôler le respect des procédures de protection animale. Ce dispositif vidéo ne serait introduit qu'à titre expérimental pour une durée de deux ans et devrait faire l'objet d'un décret d'application (art. 13 quater A). Mais il a été refusé de rendre obligatoire le contrôle vidéo en abattoir ou de mettre en place un label de type « abattu sous contrôle vidéo ».

À titre expérimental sur une durée de quatre ans, les députés ont souhaité permettre le développement d'unités d'abattoirs mobiles afin de limiter le transport d'animaux vivants vers un abattoir, notamment dans les zones où les abattoirs sont éloignés des lieux d'élevage (art. 13 quinquies).

Lapins en cage, « fermes usines », gavage des oies…

Mais de nombreux autres amendements de bien-être animal ont été débattus et rejetés. Les députés ont refusé :

  • D'interdire l'abattage rituel sans étourdissement,
  • D'interdire l'abattage des vaches au dernier tiers de gestation,
  • De mettre en place un service d'abattage d'urgence pour les animaux accidentés,
  • D'interdire l'élevage de lapins en cage,
  • De rendre obligatoire le sexage des poussins in ovo par spectrométrie afin d'éviter la destruction par broyage des poussins mâles en filière ponte (ou des oisillons femelles en filière foie gras),
  • D'interdire les « fermes-usines » (sans précision sur la définition de ce terme),
  • De permettre de produire du foie gras sans gavage,
  • De s'intéresser à terme aux conditions d'élevage et d'abattage des poissons.

Les leçons de l'affaire Lactalis

Le projet de loi tire les leçons de l'affaire Lactalis et de manque d'informations de ce groupe industriel auprès des autorités. L'article L. 201-7 du Code rural impose déjà de signaler aux autorités un résultat d'analyse sur un aliment susceptible de présenter un « danger sanitaire de première catégorie ». Mais la Salmonella Agona ne faisait pas de ces maladies réglementées. Le projet de loi prévoit donc désormais la communication aux autorités de tout risque pour la santé humaine et animale, pas seulement sur un « danger sanitaire de première catégorie » (art 11 quindecies). Ce signalement sera aussi obligatoire si ce résultat d'analyse révèle ce risque, non pas sur l'aliment lui-même, mais dans son environnement (locaux, équipements…), ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Le non-respect de cette obligation de communication sur un risque potentiel pourra être puni par, au maximum, une amende de 150 000 € et/ou 6 mois de prison.

15 % bio en surfaces et 50 % dans les cantines

Les députés ont aussi fixé dans la loi un objectif de 15 % des surfaces agricoles en « bio » pour le 31 décembre 2022 (art. 11 undecies).

À partir du 1er janvier 2022, les repas servis dans une restauration collective publique (cantines scolaires ou universitaires, repas servis dans les hôpitaux, les prisons…) devront comprendre au moins 50 % (en valeur) de produits « bio » ou issus d'un « label » (art. 11). Avant la fin de l'année 2020, il sera décidé d'étendre ou non cette obligation à la restauration collective des entreprises privées (art 11 quinquies).

Les restaurants du secteur public servant plus de 200 couverts par jour seront aussi tenus de présenter des protéines végétales en alternative aux protéines animales sur la base d'un plan pluriannuel. Les bouteilles plastiques seront interdites dans la restauration collective au plus tard le 1er janvier 2020. Les contenants alimentaires en plastique pourront aussi être bannis de ces restaurants à la demande des collectivités territoriales (art. 11 ter).

La fin des « steaks de soja »

Les dénominations associées à des denrées d'origine animale (steak, jambon, saucisse…) ne pourront plus être utilisées pour des denrées avec une part significative d'origine végétale, sous peine d'une amende de 50 000 € pour une personne physique ou de 300 000 € pour une personne morale (art. 11 sexies). La liste des locutions réservées aux produits animaux sera fixée par arrêté.

Au 1er janvier 2023, les denrées d'origine animale devront être étiquetées avec les mentions suivantes : « nourri aux OGM » (si c'est le cas), le « mode d'élevage », « l'origine géographique ». Pour les fruits et légumes, il sera indiqué le nombre de traitements phytosanitaires.

L'usage du terme « équitable » sera aussi réservé aux produits conformes à la définition légale du commerce équitable.

La sagesse du Sénat, le dernier mot aux députés

Les députés « en marche » de la majorité présidentielle ont permis de faire enfler ce projet de loi de mesures qui étaient conformes à l'avis du gouvernement. Au Sénat, les choses seront sans doute différentes qu'à l'Assemblée. Car la droite (Les Républicains et UDI) y est très majoritaire avec 224 sénateurs, soit les deux tiers des 348 sièges. Les sénateurs « en marche » ne sont que… 21 (6 % des sièges). Davantage de négociations seront sans doute à envisager. Les sénateurs sont considérés comme des vieux sages rompus à l'art du compromis.

Au final, après l'examen par le Sénat, une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, sera chargée de trouver des rédactions qui conviennent le mieux aux deux chambres. Et, si cela n'était pas le cas, ce sont les députés qui auront le dernier mot.

La promulgation de ce texte pourra alors être attendue dès cet été, ou plus probablement à l'automne 2018.