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23 mai 2023

Covid et petits ruminants domestiques : l'infection naturelle est prouvée ; l'impact épidémiologique reste anodin

par Jean-Jacques Pravieux

Temps de lecture  5 min

Une étude sérologique conduite dans 24 élevages de petits ruminants en Italie, dans deux provinces de Campanie, n'a pas identifié de circulation active du SARS-CoV-2 dans ces espèces. Un seul sujet a séroconverti, selon la méthode d'analyse de référence (cliché : Jean-Jacques Pravieux).
Une étude sérologique conduite dans 24 élevages de petits ruminants en Italie, dans deux provinces de Campanie, n'a pas identifié de circulation active du SARS-CoV-2 dans ces espèces. Un seul sujet a séroconverti, selon la méthode d'analyse de référence (cliché : Jean-Jacques Pravieux).
 

Les petits ruminants ne seront pas les boucs-émissaires du SARS-CoV-2 (Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2). L'agent responsable du COVID-19, isolé pour la première fois en Chine en décembre 2019, est surtout connu pour la sévère pandémie qu'il a déclenché chez l'Homme, et pour son large spectre d'espèces animales sauvages ou domestiques. Il est essentiel de connaître les espèces susceptibles de jouer un rôle épidémiologique dans la transmission de ce coronavirus zoonotique. L'infection naturelle des petits ruminants domestiques vient d'être mise en évidence pour la première fois à l'occasion d'une enquête sérologique italienne.

Théoriquement capable d'infecter tous les vertébrés

Depuis que le virus a été isolé sur deux chiens à Hong Kong, plusieurs études ont été menées afin de caractériser son tropisme et déterminer ses hôtes possibles. Ces éléments dépendent de la capacité du virus à se lier à son récepteur chez l'hôte, l'angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2). Or la structure de l'ACE2 est relativement constante chez l'ensemble des vertébrés. Plusieurs espèces animales sont effectivement sensibles au SARS-CoV-2 : jusqu'à maintenant 676 cas d'infections animales naturelles ont été identifiés. Ils se sont produits auprès d'animaux de compagnie (NAC compris), de faune sauvage captive en lien avec une exposition à des humains infectés, ou de faune sauvage non captive, en lien probable à une exposition avec des effluents humains non traités. Ils sont répartis dans 36 pays et concernent 23 espèces différentes : chats, chiens, visons, loutres, furets de compagnie, lions, tigres, pumas, léopards des neiges, gorilles, cerfs de Virginie, hyène tachetée, lynx, hippopotames, hamsters, ouistitis (voir la liste ici)… La plupart des infections animales sont asymptomatiques et lorsqu'il y a des signes cliniques, ils restent en général discrets à modérés. Cependant quelques espèces sont particulièrement sensibles. C'est le cas du cerf de Virginie, qui peut présenter des symptômes sévères, et de la mortalité est même observée chez le vison ainsi que chez certains félidés sauvages captifs. Il est redouté par les épidémiologistes de la santé publique que des espèces sauvages puissent jouer un rôle de réservoir du virus, représentant ensuite un risque de retour vers l'humain. Cette implication épidémiologique a déjà été reconnue pour le cerf de Virginie, la loutre eurasienne et plus récemment le vison d'élevage.

Infections animales sous estimées, investigations en cours

Du fait de l'absence de symptômes ou de leur discrétion dans la plupart des espèces, la fréquence des infections animales naturelles est certainement sous-estimée. Lors d'infections expérimentales ou naturelles, plusieurs études ont conclue à un portage de courte durée, associé à une faible charge virale. D'où l'intérêt des études sérologiques pour mettre en évidence le passage du virus dans les différentes espèces. Les investigations sur la sensibilité des ruminants domestiques restent encore très limitées. Cependant il a été montré que l'ACE2 des bovins et des ovins présente une bonne affinité pour le SARS-CoV-2. De plus, caprins et ovins présentent des similitudes génétiques avec l'humain concernant ce récepteur. Ces deux espèces sont donc de bons candidats potentiels pour héberger et diffuser le virus ; d'autant que des travaux in vitro ont démontré que des cellules ovines de tractus respiratoire exprimant ACE2 permettent la réplication du SARS-CoV-2. Malgré ces éléments de suspicion, aucune infection naturelle n'avait été mise en évidence jusque-là dans ces deux espèces. Une enquête sérologique sur des ovins espagnols n'avait pas permis de détecter d'anticorps anti-SARS-CoV-2.

Troupeaux italiens de petits ruminants

Profitant de prélèvements sanguins dans le cadre d'un plan d'éradication de la brucellose, 488 sérums de brebis et 124 de chèvres ont été récoltés dans 24 élevages différents, entre janvier et avril 2022, dans deux provinces de Campanie (Italie). A noter que pendant cette période, la Campanie a connu une forte recrudescence de Covid-19 dans l'espèce humaine. Un test ELISA a été réalisé sur l'ensemble des prélèvements. Vingt-trois animaux ont été détectés positifs. Treize élevages sur vingt-quatre étaient concernés (voir le tableau ci-dessous). Aucune différence de prévalence n'apparaît en fonction du sexe, de l'espèce, de la région ni de l'âge (3 classes : 0-5 ans, 5-10 ans, >10 ans). Les sérums positifs ont été testé en séroneutralisation (test de référence). Un seul sérum s'est révélé positif par ce test, confirmant une infection probable. Les personnes s'occupant des animaux ont été interrogées sur leur éventuelle atteinte par le SARS-CoV-2 pendant la période de l'enquête. Cinq élevages parmi les treize hébergeant au moins un animal séropositif ont connu un cas humain de Covid-19 à cette période-là. Dans l'élevage de l'animal porteurs d'anticorps séroneutralisants, aucun cas humain n'avait été répertorié. Avec près de deux tiers des élevages positifs sans cas humains, la question de la contamination des animaux reste en suspens (la fiabilité de l'Elisa est moindre que celle du test de séroneutralisation).

Répartition des animaux testés positifs en ELISA et prévalence intra élevage (d'après Fusco et coll., 2023).

 

Faible probabilité

Les résultats de terrain obtenus en Italie sont cohérents avec les travaux expérimentaux précédents : après infection expérimentale, aucune excrétion de virus n'avait pu être détectée sur les brebis après écouvillonnage nasal, alors que deux chèvres sur trois s'étaient révélée positives par RT-PCR. Les petits ruminants infectés fabriquent des anticorps anti-SARS-CoV-2, mais pendant un temps court. Et les titres en anticorps séroneutralisant restent faibles. La faible réceptivité au virus, associée à une faible réaction immunitaire, explique, pour cette dernière étude italienne, le faible taux d'animaux positifs et la présence d'un seul cas positif en séroneutralisation (titre bas à 1/20). L'infection naturelle peut donc avoir lieu mais elle semble peu fréquente et surtout sans grandes conséquences.

Ces données sont jugées plutôt rassurantes par les auteurs, qui estiment devoir rester vigilants. Le SARS-CoV-2 peut muter, conduisant à l'émergence de variants dont certains pourraient étendre leur affinité à de nouvelles espèces cibles. Il est essentiel d'étudier la réceptivité des espèces animales vivant à proximité de l'humain et celle des espèces sauvages pouvant jouer un rôle de réservoir. Le dernier variant préoccupant Omicron, qui présente de grandes divergences avec ses prédécesseurs, est suspecté d'être passé de l'homme à la souris, puis d'être revenu à l'homme après de nombreuses mutations.