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16 mars 2023

La cotinine, marqueur validé du tabagisme passif du chien

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Concentrations de cotinine, principal métaboliste de la nicotine, dans le sérum et les poils de chiens exposés et non exposés au tabagisme de leur(s) maître(s). Groppetti et coll., 2023.
Concentrations de cotinine, principal métaboliste de la nicotine, dans le sérum et les poils de chiens exposés et non exposés au tabagisme de leur(s) maître(s). Groppetti et coll., 2023.
 

« La cotinine est un marqueur précieux du tabagisme passif, y compris chez les chiens. Bien que les propriétaires ne perçoivent pas le tabagisme passif comme un risque pour leurs chiens, une plus grande sensibilisation est recommandée, en particulier au regard des chiennes gestantes », indiquent des biochimistes et épidémiologistes de la faculté vétérinaire de Milan (Italie). Cette cotinine, métabolite primaire de la nicotine, est déjà utilisée en médecine humaine comme marqueur du tabagisme (actif comme passif). Son dosage est possible dans le sang, la salive, l'urine et les cheveux.  Ces auteurs vétérinaires viennent de valider le recours à un Elisa du commerce (développé pour l'humaine) pour la doser chez le chien.

Étude préliminaire

Pour cette « première étude évaluant la concentration de cotinine chez les chiens exposés à la fumée de tabac ambiant », les auteurs ont recruté les chiens parmi ceux en bonne santé venus en consultation vaccinale à la faculté vétérinaire de Milan. Les critères d'inclusion (outre le consentement du maître) étaient que les animaux ne soient pas sous traitement médicamenteux et que le maître remplisse un questionnaire sur l'environnement de son animal – précisant en particulier le statut tabagique des personnes du domicile (vapoteuses exclues). Trente-deux chiens ont été recrutés, le recrutement se faisant progressivement et s'arrêtant quand 16 chiens exposés au tabagisme (au moins une cigarette fumée à l'intérieur par jour) et 16 autres non exposés étaient obtenus. Dans les deux groupes, il y avait 6 femelles et 10 mâles. Les auteurs ont réalisé une gradation semi-quantitative de l'exposition : + (1 cigarette/j), ++ (jusque 10 cigarettes/j) et +++ (> 10 cigarettes/j). Il n'y avait qu'un seul chien dans le groupe faiblement exposé et 10 dans le groupe le plus exposé.

Elisa du commerce

Pour chacun des chiens, l'emplacement sur la patte avant où allait être réalisée la prise de sang a été rasé, et les poils récoltés (enveloppe papier), puis la prise de sang effectuée. Les analyses ont été réalisées sur 100 mg de poils (double rinçage à l'eau distillée, séchage et broyage, puis extraction par un tampon spécifique). Le dosage de la cotinine en Elisa (trousse du commerce, USA) était réalisé à partir de la solution tampon après son contact avec le prélèvement (50 µl). Pour l'Elisa, la même quantité de sérum a été utilisée (sans dilution). La courbe analytique permet de quantifier la concentration en cotinine de chaque prélèvement (de 50 à 617 pg/ml). Les auteurs détectent de la cotinine dans la totalité des prélèvements, quelle qu'en soit la nature ou le niveau d'exposition du chien.

Distinction de l'exposition

Sans surprise (puisque c'est le cas en humaine), l'analyse permet de distinguer de manière hautement significative les chiens exposés au tabagisme de ceux qui ne le sont pas (p<0,001, voir l'illustration principale). Cela permet aux auteurs de proposer des valeurs seuil :

  • de 2,78 ng/ml pour le sérum,
  • et de 1,13 ng/ml dans les poils.

Les auteurs ont également évalué les différences de résultats pour le sexe, l'âge, le poids des animaux ainsi que leur niveau d'exposition. Il n'y avait pas de différence manifeste, à l'exception du sexe. Dans le groupe exposé, il n'y a pas de différence significative de la concentration sérique en cotinine selon le sexe. En revanche la concentration était significativement supérieure dans les poils des femelles par rapport à ceux des mâles (7,3 vs. 2,7 ng/ml, p<0,001), possiblement en lien avec une différence sexuelle de vitesse de croissance des poils. Dans le groupe non exposé, pour les deux matrices, les femelles présentaient une concentration en cotinine inférieure à celle des mâles (p<0,01).

Prélever sérum ou poils

En médecine humaine, le dosage de la cotinine est réalisé en routine sur un prélèvement urinaire. Pour l'ensemble des chiens, les concentrations en cotinine mesurées dans le sérum et dans les poils étaient fortement (p=0,001) et positivement corrélées. Elles se répartissent de la même façon dans le sérum (0,5 à 15,4 ng/ml) et les poils (0,5 à 15,0 ng/ml). Toutefois, la concentration moyenne est plus élevée dans le premiers (4,6 vs. 2,7 ng/ml). Les auteurs ne préconisent pas de prélèvement type, mais soulignent que le dosage dans les poils pourrait permettre d'accéder à une exposition chronique. Il est également moins invasif, plus aisé à réaliser et le stockage du prélèvement (à l'obscurité dans un endroit sec) peut se faire à température ambiante.

Risque de cancer…

 « Compte tenu de l'espérance de vie relativement courte des chiens [au regard des humains], les effets nocifs du tabagisme passif chez les animaux de compagnie peuvent constituer une sonnette d'alarme pour les maîtres ». Car en médecine humaine, « les maladies infectieuses, la résistance aux antimicrobiens, les allergies, l'intolérance alimentaire et les tumeurs ont été liées à l'exposition à la fumée qui interfère avec le système immunitaire et introduit des mutations dans les gènes suppresseurs de tumeurs ».

… et l'arthrose ?

Ces éléments sont à mettre en relation avec la publication récente de l'exploitation d'une cohorte prospective en médecine humaine, aux USA, où le statut de fumeur a été trouvé associée de manière significativement positive au développement de l'arthrite. Ces personnes ont été suivies pour leur santé de 1999 à 2018. Les personnes présentant ou non de l'arthrite ont été subdivisées selon leur statut tabagique : fumeur, ancien fumeur et non fumeur. « Le taux de fumeurs et d'anciens fumeurs dans le groupe atteint d'arthrose (53,0 %) était significativement plus élevé que dans le groupe non atteint d'arthrite (42,5 % ; p < 0,001) ». En régression multivariée, qui corrige pour de nombreuses comorbidités, l'association entre tabagisme et arthrite était également significative, les personnes ayant déjà fumé présentant 38 % plus à risques d'arthrite que celles n'ayant jamais fumé (p<0,01). Il n'est pas encore possible d'imputer le développement de l'arthrose au tabagisme : les auteurs de cette étude ne proposent pas de mécanisme moléculaire particulier. Mais s'il s'agit d'un facteur prédisposant ou aggravant, outre les risques de cancers – déjà connus pour les animaux de compagnie – en lien avec le tabagisme passif, il est possible que ce dernier représente à son tour un facteur de risque de survenue et/ou d'entretien de l'arthrose des chiens (ou des chats). « Il n'y a pas d'exposition inoffensive à la fumée du tabac », rappellent les auteurs de l'étude italienne.