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20 octobre 2020

Prévention du cannibalisme chez la chienne parturiente. La carbétocine candidate avec un protocole fastidieux

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Les auteurs de cette étude sur la prévention des comportements maternels anormaux chez la chienne ont utilisé le berger d'Anatolie en raison de l'incidence élevée du cannibalisme maternel dans cette race cliché : Bebekve, wikimedia).
Les auteurs de cette étude sur la prévention des comportements maternels anormaux chez la chienne ont utilisé le berger d'Anatolie en raison de l'incidence élevée du cannibalisme maternel dans cette race cliché : Bebekve, wikimedia).
 

Les bergers d'Anatolie (Kangal) présentent à une fréquence plus élevée que les autres races de chiens du cannibalisme maternel. Aussi, des cliniciens de la faculté vétérinaire d'Ankara (Turquie) ont-ils essayé de prévenir ce trouble du comportement, en testant un analogue de l'ocytocine, la carbétocine.

Comportement maternel

Leur hypothèse de départ repose sur une publication de 2018 de leur propre équipe, associée à des biologistes portugais et montrant que les chiennes sujettes à ce comportement anormal ont une concentration sérique en ocytocine déprimée. De même, l'ocytocine a un rôle démontré dans le comportement maternel et l'induction de l'attachement chez les mammifères – humains compris (voir par exemple cette synthèse).

Demi-vie

La carbétocine, un analogue de synthèse de l'ocytocine, est utilisée en obstétrique humaine – et, en médecine vétérinaire, chez les truies et les vaches. Les médicaments vétérinaires autorisés à base de carbétocine (Reprocine°, Hypophysin° LA) ne sont donc pas officiellement approuvés chez la chienne dans l'UE. Les études de pharmacodynamie sur la carbétocine ne sont pas légion. Mais celles disponibles montrent qu'elle a une demi-vie de 6 à 10 fois plus longue que l'ocytocine chez la femme. Chez la vache et la cochette, elle a une demi-vie maximale de 0,85 h (administration IM ou IV), mais il n'y a pas de publication fournissant cette valeur chez la chienne. A l'inverse, la demi-vie de l'ocytocine est décrite chez le chien, dans une publication de 1974, qui l'évaluait à « 60 à 90 secondes ». C'est en raison de cette demi-vie plus brève que le choix des auteurs s'est porté sur la carbétocine, « nécessitant des injections moins fréquentes ». Enfin, ils signalent que « différentes études mentionnent que l'ocytocine peut provoquer une arythmie cardiaque », alors que « la carbétocine est en général considérée comme sûre » aux doses utilisées en gynécologie. Ils ont donc assuré un suivi échocardiographique des chiennes incluses dans leur étude.

Enregistrements

Dix-neuf chiennes ont été incluses ; toutes étaient de race kangal et toutes avaient déjà présenté du cannibalisme à toutes leurs mises bas antérieures (de 1 à 5). Elles ont fait l'objet d'une surveillance continue (vidéo) la semaine précédant la mise-bas, puis sur les 10 jours de l'étude. Pour chacune, l'administration de la carbétocine a été réalisée « par un vétérinaire, dès après la naissance et toutes les 6 heures pendant 10 jours, par voie intramusculaire ». La dose utilisée a été fixée à 0,6 µg/kg sur les premières 48 h post-partum « du fait du risque de prolapsus utérin », puis portée à 1,2 µg/kg pour le reste de la durée du protocole. Un holter était posé à la mère 15 minutes avant l'injection, pour enregistrement du tracé ECG. Chaque chienne a été familiarisée à cette procédure et à l'opérateur vétérinaire avant le début de l'étude.

Pas d'anomalie

« Aucune des mères n'a présenté de comportement maternel anormal comme l'agression des chiots ou leur évitement », révèle l'analyse des vidéos (et la consultation des éleveurs). Celle-ci a porté sur trois séquences quotidiennes de 15 minutes, prises au hasard (une le matin, une l'après-midi et une en soirée) pour chaque chienne et sur les 10 jours. Les interactions de la mère avec sa portée ont été notées selon un éthogramme. Aucun chiot n'est mort sur la période du fait du comportement de sa mère. Quant à l'ECG, « il n'y a pas eu de différence significative dans les enregistrements pour les chiennes avant et après l'administration » de carbétocine. Au bilan et malgré l'absence de lot témoin, les auteurs concluent que « l'usage de la carbétocine inhibe les comportements maternels anormaux chez les chiennes ayant un historique ce cannibalisme maternel ».

Ethique

Malgré les limitations de leur étude, les auteurs concluent que, « au vu du taux de succès élevé (100 %) et de l'absence d'effets indésirables détectés, il peut être proposé que la carbétocine est un bon candidat pour le traitement des comportements maternels anormaux chez le chien ». Au plan éthique, disposer d'un traitement préventif du cannibalisme maternel risque de modifier les recommandations d'élevage des bergers d'Anatolie. « Les éleveurs se voient actuellement conseiller de ne pas mettre à la reproduction les chiennes ayant ce comportement maternel ». Toutefois, ces lignées « montrent justement de bonnes performances de travail (garde du bétail) et ont un bon tempérament – cette anomalie mise à part ». La pratique actuelle est donc « source d'une chute de revenu pour les éleveurs », qui pourraient être tentés, face à un traitement efficace, à l'abandonner. Ce que redoutent les auteurs car pour « la plupart des particuliers ayant une chienne [de cette race] de compagnie qui présenterait ce comportement anomal, [ils] pense[raie]nt que leur animal est dangereux, et l'abandonnent ou le font euthanasier ».