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Elanco & Proplan

16 juin 2020

Trois voies pour la thérapeutique de la péritonite infectieuse féline

par Vincent Dedet

Temps de lecture  8 min

Des données sur l'activité in vitro de plusieurs composés (dont des antipaludéens) contre le virus de la PIF ont été publiées sur les trois dernières semaines. Un seul de ces composés (le GS-441524) est utilisé dans des essais cliniques.
Des données sur l'activité in vitro de plusieurs composés (dont des antipaludéens) contre le virus de la PIF ont été publiées sur les trois dernières semaines. Un seul de ces composés (le GS-441524) est utilisé dans des essais cliniques.
 

Deux articles scientifiques viennent d'être publiés qui explorent, à leur tour, l'effet potentiel de composés proches de la chloroquine sur un coronavirus… Mais il s'agit du virus plus purement félin de la péritonite infectieuse (PIF) et non de celui de la Covid-19. Un troisième article fournit des résultats complémentaires à ceux présentés en 2019 sur un antiviral initalement développé contre le virus du SARS (de 2003), et qui est utilisé en essai clinique contre la PIF aux USA.

Déçus en 2013…

Les travaux in vitro ont été conduits par une équipe de virologistes et chimistes japonais (faculté vétérinaire de l'université Kitasato, à Aomori), qui avait déjà exploré l'effet de la chloroquine sur le virus de la PIF dès 2013. A l'époque, ces auteurs avaient travaillé in vitro avec de la chloroquine (CQ) sur des cellules embryonnaires de chat et sur des monocytes (cellules progénitrices des macrophages) extraites de chats EOPS. Dans les deux lignées, ils avaient obtenu un effet antiviral (réduction de la réplication), mais plus marqué lorsque la CQ était présente dans le milieu de culture avant le virus. Ils avaient alors jugé ces résultats suffisants pour passer à l'in vivo, sur des chats EOPS inoculés avec le virus (voie orale) :

  • soit traités à 10 mg/kg de CQ tous les 3 jours par voie sous-cutanée (n=4), en commençant trois jours avant l'inoculation et jusque 21 jours post-inoculation (PI) ;
  • soit recevant un placebo (même volume, même voie) de J-3 à J9 PI, puis de la CQ (même volume, même voie, même fréquence) de J12 à J21 (n=3) ;
  • soit recevant un placebo (même volume, même voie, même fréquence) de J-3 à J21 (n=2).

Si des différences numériques en faveur des groupes traités avec la CQ sont apparues pour plusieurs paramètres, aucune différence significative n'avait été observée entre groupes pour aucun paramètre et tous les chats inoculés sont morts d'infection clinique, avec une durée moyenne de survie allant de 34,3 à 21 jours pour les premier et dernier groupes.

Avec l'interféron oméga

Le feuilleton médiatique sur l'hydroxychloroquine (HCQ) lancé par la Covid-19 a sans doute remonté le dossier correspondant sur le bureau de ces virologues vétérinaires car ils viennent de publier un nouvel essai, in vitro seulement cette fois. Ils associent CQ ou HCQ et interféron oméga félin recombinant (la spécialité autorisée au Japon) contre le virus de la PIF (sérotype I ou II) dans la même lignée de cellules embryonnaires félines que précédemment. Ils montrent que la cytotoxicité de la HCQ est plus limitée que celle de la CQ, pour un effet antiviral comparable. Ils ont donc utilisé la HCQ (100 µM) en association avec l'IFN-omega (104 UI/ml), toujours en culture. Ils observent, lorsque les deux composés sont présents dans le milieu avant le virus  :

  • qu'après une heure de contact, il y a arrêt total de la réplication virale pour deux souches de sérotype I, quasi-total pour une 3e souche de sérotype I (p<0,01), mais qu'il n'y a qu'un effet limité sur la seule souche de sérotype II testée (p<0,05) ;
  • qu'après 24 h de contact, il y a arrêt total de la réplication virale pour les souches des deux sérotypes (p<0,01).

Lorsque les composés sont placés dans le milieu de culture 1 h après le virus, l'effet reste significatif sur la réplication (p<0,01) pour les trois souches de sérotype I testées (pas de résultat présenté pour le sérotype II). Ces auteurs estiment à nouveau que leurs éléments devraient justifier le passage à une expérimentation in vivo, mais ne permettent en rien de présumer de son succès. Ils estiment également nécessaire de réaliser une étude de pharmacocinétique/pharmacodynamie de l'hydroxychloroquine et de l'IFN-omega chez le chat.

Méfloquine, c'est sa cousine

C'est justement ce par quoi vient de commencer une équipe australienne (faculté vétérinaire de l'université de Sydney), qui a travaillé sur un autre composé antipaludéen de la même famille : la méfloquine (MFQ). Là encore, les essais in vitro de cette molécule d'humaine sur le virus de la PIF avaient été publiés antérieurement (en 2014) et montraitent une très faible cytotoxicité et une efficacité antivirale à faible dose. La présente étude vise « un traitement potentiel de la PIF », voire « des infections à calicivirus ». Ils ont donc administré à 7 chats adultes en bonne santé de la méfloquine, à la dose de 62,5 mg par voie orale, à quatre reprises (J0, J4, J7 et J10). Ils ont suivi la concentration plasmatique en MFQ (Cmax : 2,71 µg/ml et Tmax : 15 h). Le pic plasmatique est plus élevé quand la MFQ est administrée avec l'aliment, et la demi-vie est de 224,2 h (9,3 j). Lorsqu'elle est administrée en dehors des repas, la méfloquine peut provoquer « des vomissements chez certains chats » (un chat a vomi à la suite de deux administrations et a été retiré de l'étude). Elle s'accompagne d'une « légère augmentation de la concentration en diméthylarginine symétrique sérique (SDMA), mais pas en créatinine ». La concentration en SDMA augmente de manière significative à 168 et 366 h, et atteint alors (pour sa valeur médiane) la valeur supérieure de l'intervalle de référence (14 µg/dl), mais les auteurs hésitent à attribuer cet effet à la méfloquine plutôt qu'à l'anesthésie générale, pratiquée ici pour chaque prise de sang. Aucune modification hématologique n'étant notée. Pour avoir une idée de l'efficacité de la MFQ dans la PIF, « il y a besoin d'un essai clinique », car in vitro, une « inhibition marquée » de la réplication virale est publiée pour 10 µM, soit 3,78 µg/ml. Or la Cmax obtenue ici est inférieure, mais la concentration plasmatique moyenne est plus élevée (4,06 µg/ml) lors d'absorption avec l'aliment. Les auteurs espèrent aussi pouvoir conduire un essai de pharmacocinétique sur des chats atteints de PIF…

Analogue de nucléosides

Enfin, l'équipe de la faculté vétérinaire d'UC Davis (USA) a publié un court rapport sur les résultats du traitement de quatre chats à PIF avec atteinte nerveuse par l'analogue de nucléosides GS-441524. Le bilan favorable d'un premier essai sur 18 chats PIF+ avait été publié l'an passé par cette équipe (voir LeFil du 15 février 2019). Dans le cas présent, les auteurs rapportent une rémission pour trois des quatre chats, dont deux au-delà d'un an après le début du traitement. Ils précisent que le composé « n'est pas disponible pour une utilisation routinière en clinique ».

  • Le premier cas est un chaton qui à 8 mois avait été présenté avec un long historique de léthargie et une ataxie progressive des membres postérieurs depuis un mois. Il était négatif pour le FeLV et le FIV (mais PIF+). Traité « quotidiennement avec 5 mg/kg de GS-441524 (voie sous-cutanée) pendant 14 semaines », son état s'est rapidement amélioré au point qu'il pouvait « sauter sur une surface haute 4 jours » après la première injection. A la fin du traitement, son examen neurologique était normal et il avait repris plus de 2 kg.« Il reste cliniquement normal au moment de la rédaction du manuscrit, 528 j après le début du traitement » ;
  • le second cas est un jeune chat (1 an) présentant une uvéite depuis 3 mois et une léthargie importante depuis la semaine précédant la consultation, avec épilepsie, myoclonies, ataxie progressive des membres postérieurs. L'examen neurologique a identifié d'autres signes ; il a été trouvé FIV+ et traité (même protocole). Ses signes neurologiques « se sont remarquablement améliorés dans les 48 h suivantes » et avaient disparu 3 semaines plus tard (traitement maintenu sur 14 semaines). « Il reste cliniquement normal au moment de la rédaction du manuscrit, 516 j après le début du traitement » ;
  • le troisième cas est une femelle de 18 mois présentant une pathologie oculaire depuis 3 mois, une léthargie croissante depuis 3 semaines et une ataxie progressive des postérieurs depuis les jours précédant la consultation. Elle avait reçu un collyre à base de prednisolone sur les 5 jours précédant la consultation. Elle était paraparétique, sans clignement à la menace, avec anisocorie et hyperesthésie. Confirmée PIF+ (et FeLV-, FIV-), elle a été traitée (15 semaines). Après deux mois, l'uvéite avait quasiment disparu, mais sa paraparésie ne s'était que légèrement améliorée. Elle s'était bien améliorée à la fin du traitement, mais a rechuté dans les 24 h suivant son arrêt. Un nouveau cycle de 14 semaines a été réalisé, au terme duquel la chatte a à nouveau rechuté et a été euthanasiée ;
  • le dernier cas de cette série est un chaton de 7 mois léthargique depuis 3 semaines et avec une ataxie progressive sur les deux dernières semaines. Ses réaction posturales étaient réduites pour les membres postérieurs et il présentait une anisocorie. Là encore, trouvé PIF+, le chaton a été traité avec l'analogue nucléosidique, sur 4 semaines (avec corticoïdes en collyre sur les trois premières semaines). Après un mois, son affection oculaire était améliorée, mais pas son ataxie, et il n'avait pas repris de poids bien que plus actif. Forts de l'expérience du cas précédent, les auteurs ont donc augmenté le dosage à 8 mg/kg, pour les 10 semaines restantes (et 1 mg/kg/j de prednisolone sur deux semaines). Son état s'est amélioré dans les 48 h suivant ce nouveau dosage, et l'examen neurologie réalisé une semaine après la fin du traitement n'a pas révélé d'anomalie. « Il reste cliniquement normal au moment de la rédaction du manuscrit, 354 j après le début du traitement ».

Cette dernière publication porte à 22 le nombre de cas de PIF pour lesquels les données relatives à un traitement par le GS-441524 sont publiées. Les auteurs concluent que « des études pharmacocinétiques chez des chats sains et infectés, présentant une barrière hémato-encéphalique intacte ou endommagée seront nécessaires pour mieux définir la posologie optimale du GS-441524 chez les chats présentant une forme neurologique de PIF ».