titre_lefil
logo_elanco

3 septembre 2018

L'enfer des fermes à sang. Ceva, après MSD, stoppe ses achats de PMSG extraite de juments d'Amérique latine

par Eric Vandaële

Temps de lecture  5 min

Dans l'enfer des fermes à sang
Les images ont été filmées en caméra cachée, surtout en Uruguay et en 2015 pour la plupart. Source : Welfarm.
Dans l'enfer des fermes à sang
Les images ont été filmées en caméra cachée, surtout en Uruguay et en 2015 pour la plupart. Source : Welfarm.
 

Ce sont trois ou quatre lettres qui font la polémique : eCG ou anciennement PMSG pour equine chorionic gonadotropin ou pregnant mare serum gonadotrophin. En français, la gonadotrophine chorionique équine pour eCG ou la gonadotrophine sérique de juments gestantes pour l'ancienne dénomination PMSG. Cette glycoprotéine, extraite du sérum de juments gestantes, présente une activité FSH/LH, les deux hormones hypophysaires structurellement proches qui stimulent d'abord la maturation d'un follicule ovarien (FSH), puis déclenchent l'ovulation (avec le fameux pic de LH).

La PMSG fait donc partie de ces traitements incontournables pour la maîtrise de la reproduction. Elle est même irremplaçable chez les brebis et les chèvres, dès lors que les ovulations sont déclenchées pour des inséminations artificielles. En France, les deux principaux laboratoires qui commercialisent ces médicaments à base de PMSG sont MSD avec la gamme ChronoGest° et Ceva avec la gamme concurrente SynchroPart°.

Des « fermes à sang » d'une cruauté insupportable

Mais, voilà déjà depuis plusieurs années qu'une polémique mondiale enfle sur les conditions d'élevage des juments gestantes productrices de PMSG en Amérique latine, particulièrement en Argentine et en Uruguay. Car les pays producteurs de PMSG ne sont pas si nombreux dans le monde. Et, sans être les seuls, l'Argentine et l'Uruguay semblent être les deux principaux pays producteurs de PMSG. Ces deux pays sont en tout cas les seuls au monde qui sont accusés de tolérer de (très) mauvais traitements sur les juments gestantes productrices de PMSG, des actes de cruauté animale qui seraient évidemment interdits et sanctionnés en Europe. Depuis plusieurs années, une association de protection animale, Welfarm, dénonce tout à la fois ces « fermes à sang » d'Amérique latine et leurs clients potentiels : les laboratoires pharmaceutiques européens, tels que le français Ceva, l'espagnol Hipra ou l'allemand IDT. Ces laboratoires s'approvisionneraient, entre autres, auprès du laboratoire argentin Syntex qui exploite des élevages, bons ou mauvais ?, en Argentine et en Uruguay.

À l'appui de ses dires sur les mauvais traitements, Welfarm diffuse des vidéos dont les images sont insupportables : voir cette vidéo sur le site de Welfarm ou celle-ci diffusée le 17 juillet dernier sur site du quotidien Libération. La véracité de ces images ne peut pas être contestée. Elles sont corroborées par des témoignages d'éleveurs ou de vétérinaires locaux. Ces images sont tournées, on s'en doute, en caméra cachée, dans plusieurs « fermes à sang » appartenant à Syntex, ou, en Uruguay, à Biomega, Las Marquesas, La Paloma.

Rouées de coups de bâtons, les juments blessées avortent, les foetus laissés au sol

Les jeunes juments gestantes sont dirigées dans des couloirs de contention à coups de bâtons sur la tête, les flancs ou les parties génitales. En outre, la PMSG n'étant produite qu'en début de gestation, elles sont avortées après trois mois et demi de gestation avant d'être à nouveau saillies. Les images montrent des fœtus gisant sur le sol de parcs à juments, de graves blessures infectées à la jugulaire ou aux membres, des juments cachectiques ou même laissées mortes dans les pâtures.

Selon une autre association de protection animale de Zürich (TSB) qui enquête depuis 2015 sur la souffrance des équidés en Amérique latine, deux de ces fermes à sang en Uruguay (Biomega et Las Marquesas) appartiennent pourtant à des vétérinaires dont l'un serait un professeur d'université.

Puisqu'à l'évidence les autorités sud-américaines semblent impuissantes à sanctionner ces élevages, les associations de protection animale ont choisi de s'attaquer, plutôt avec succès, à leurs clients éventuels : les laboratoires pharmaceutiques MSD, Ceva, IDT, Hipra… Des pétitions demandent à ces laboratoires de s'engager à ne plus s'approvisionner en Amérique latine. Celle lancée en France par Welfarm à destination principalement de Ceva a recueilli près de 55 000 signatures en quelques mois.

Plusieurs médias européens se sont aussi emparés de l'affaire dont, principalement en France, Libération qui en a fait sa « Une » à deux reprises, le 5 octobre 2017 et le 17 juillet 2018. Le quotidien y dénonce « l'inertie coupable des laboratoires français ». La presse spécialisée, lu par les clients éleveurs et utilisateurs de ces médicaments n'est pas en reste dans les accusations portées contre les laboratoires pharmaceutiques. Le 6 octobre 2017, la France Agricole, titre ainsi : « de la Pampa à l'Europe, du sang de jument sur les mains des laboratoires pharmaceutiques ». En France, ces images ont aussi choqué des vétérinaires et des éleveurs.

Le risque malgré tout de l'explosion d'une crise larvée

Le 3 juillet 2018, à l'assemblée générale du Syndicat de l'industrie du médicament vétérinaire, Loïc Dombreval, le seul député vétérinaire de l'Assemblée nationale, s'inquiète de l'explosion possible de cette « crise larvée ». Il en appelle « à la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques dans le choix de leurs fournisseurs ».

Très sensible au bien-être animal, Ceva n'est pas resté indifférent face à de telles vidéos. Le laboratoire a mené « des audits nombreux et répétés auprès de son fournisseur en Amérique latine » pour contrôler qu'il n'était pas impliqué « dans des élevages aux pratiques absolument inacceptables ». Néanmoins, devant « le risque malgré tout » de (dé)couvrir un acte de maltraitance chez son fournisseur que « les nombreux audits n'auraient pas détecté », Ceva a finalement renoncé à toute fourniture de PMSG depuis l'Amérique latine. Le 3 août dernier, le laboratoire annonce donc avoir « décidé de cesser tout approvisionnement en Amérique Latine ».

Ceva n'est pas le seul laboratoire à avoir cédé aux pressions de la société, des médias, et des milliers des signataires des pétitions des associations de protection animale.

MSD y a renoncé le premier. Désormais, la PMSG commercialisée par ce laboratoire est produite en Islande, le berceau de la race des chevaux islandais. Les juments n'y sont pas maltraitées ni avortées une fois les prélèvements de sang réalisés.

Quelques jours avant Ceva, le 17 juillet 2018, le laboratoire allemand IDT a aussi renoncé à acheter sa PMSG en Amérique latine. Mais après quelques manifestations devant son siège social. IDT mentionne qu'il s'approvisionnera désormais auprès de chevaux européens sans autre précision.

Et des femmes prélevées pour leurs urines

Dans la filière porcine, la PMSG est utilisée en association à un autre composé, la hCG, une autre gonadotrophine extraite des urines des femmes enceintes. Rassurez-vous, renseignement pris, l'urine est collectée de femmes qui ne sont pas élevées dans des « fermes à urine » en Amérique latine… Et les femmes prélevées pour leurs urines sont volontaires et, on peut l'espérer, pas maltraitées.