titre_lefil
Elanco & Proplan

14 novembre 2025

Il y a 10 000 ans, les humains avaient déjà des chiens de races différentes

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Variabilité de la taille du crâne (indice calculé à partir d'une analyse morphométrique) de canidés de différentes origines géographiques et temporelles (Evin et coll., 2025).
Variabilité de la taille du crâne (indice calculé à partir d'une analyse morphométrique) de canidés de différentes origines géographiques et temporelles (Evin et coll., 2025).
 

Finalement, la notion de race canine n'est pas si récente. Une étude anatomique de restes anciens de crânes de canidés montre que la diversité des tailles et aspects des chiens – en un mot, d'apparences sélectionnées par l'humain – ne remonte pas à l'époque victorienne, mais à plusieurs millénaires en arrière. La morphologie de ces “races” anciennes n'est pas disponible aujourd'hui, et – évidemment, elles ne ressemblaient pas forcément aux races actuelles.

Entre chiens et loups

Une large équipe internationale (plus de 40 auteurs d'une trentaine d'institutions scientifiques) vient de publier les résultats d'une étude morphométrique inédite par son ampleur : les crânes de 643 canidés datant d'entre 50 000 ans en arrière jusqu'à aujourd'hui ont été analysés avec des outils de géométrie tridimensionnelle. Ces dates anciennes ne sont pas nouvelles en elles-mêmes : la présence d'un chien (identifié comme tel sur la base des critères morphologiques) avec un humain (sépulture commune, dans ce qui est aujourd'hui l'Allemagne) est attestée pour l'Europe 15 000 ans en arrière. Et les plus anciens restes confirmés comme canins par analyse paléogénétique datent de 10 900 ans en arrière (dans le nord-ouest de la Russie). Mais ici, l'originalité de l'approche est d'avoir inclus d'autres espèces dans l'analyse. Car deux difficultés se présentent aux archéozoologues : le fait que les restes osseux sont souvent partiels, et que la distinction entre chiens et loups sur la seule base de la morphologie osseuse n'est pas aisée. Des restes vieux de 35 000 ans avaient été attribués au chien par l'analyse morphologique, mais ont tous été depuis classés comme des loups par la génétique.

De - 50 000 à l'ère actuelle

La méthode d'analyse utilisée par ces nombreux auteurs est « capable d'identifier et de quantifier des modifications morphologiques à petite échelle ». Elle a été appliquée aux crânes de loups modernes – les seuls dont l'attribution à cette espèce est indéniable – de différentes origines géographiques (22 d'Asie, 22 d'Europe, 26 d'Amérique du nord et 10 d'Asie). Ont aussi été inclus les crânes de 158 chiens « modernes », parmi lesquels 47 races actuelles étaient représentées (en plus des croisés). À cela, ils ont ajouté :

  • 17 spécimens du pléistocène tardif (-50 000 à -12 700 ans par rapport à la période actuelle),
  • et 374 spécimens de l'holocène (-11 700 ans) provenant de différents sites archéologiques – correspondant au début du néolithique.

À l'holocène, ce ne sont pas (que) des loups

À la fois les loups modernes et les spécimens du pléistocène ont une taille de crâne plus importante que les autres catégories (sujets de l'holocène et chiens modernes). Pour ce qui est de la diversité des tailles de crâne en revanche, les chiens de l'époque moderne restent les mieux représentés. La surprise des chercheurs vient du fait qu'une variété à peine inférieure apparaît pour les sujets de l'holocène (voir l'illustration principale), qui ont en outre la taille moyenne de crâne la plus faible des populations étudiées. Les canidés du pléistocène ont une forme de crâne différente de celle des loups modernes, mais en sont proches. Alors que leur forme de crâne est statistiquement différente de celle des canidés de l'holocène (et des chiens modernes). Il n'y a pas de différence significative pour la forme du crâne entre canidés de l'holocène et chiens modernes, bien que chez les premiers « il y ait certains traits morphologiques uniques qui ne sont pas représentés chez la population de chiens modernes » prise en référence. Les auteurs calculent ensuite un indicateur de distance morphologique pour chaque crâne de l'étude par rapport à un “crâne moyen” de loup moderne. Tous les canidés du pléistocène (et logiquement tous les loups modernes) sont proches de ce modèle. En revanche, 81 canidés de l'holocène et 70 chiens modernes en sont éloignés (et donc plus proches d'un chien moyen hypothétique). Pour tenter de statuer sur les crânes restants, les auteurs ont réalisé une analyse discriminante par rapport à une référence “chien moderne” (domestique) et “loup moderne” (sauvage). Dans cette analyse, 281 canidés de l'holocène sont identifiés comme “chiens”. En revanche, tous ceux du pléistocène sont identifiés comme “loups”.

Pas de morphologies extrêmes

Dans cette même analyse, les trois crânes les plus anciens rattachés aux chiens sont ceux du site du nord-ouest de la Russie (entre -11 145 et -10 724 ans). Ces spécimens ont justement été confirmés génétiquement comme des chiens. En Asie, le sujet le plus ancien (- 7 400 ans) considéré comme chien par cette méthode est localisé en Russie orientale (au nord de l'actuelle Mongolie). En Amérique du nord, il s'agit de restes identifiés dans l'actuel Illinois et datés entre -8 650 et -8 250 ans. Les auteurs ne résistent pas à rechercher, par modélisation, quand a eu lieu le « shift » entre loup et chien… Ils observent que :

  • la réduction de la taille du crâne est détectable pour la première fois entre 9 700 et 8 700 ans en arrière, pouvant indiquer la domestication (ces dates sont conformes à celles proposées dans d'autres études), sans exclure qu'elle puisse avoir commencé au pléistocène (mais aucun crâne ne vient confirmer cette hypothèse),
  • une augmentation de la variance de cette taille devient perceptible entre 7 700 et 6 700 ans en arrière, pouvant indiquer une pression de sélection pour des morphotypes différents de chiens,
  • et qu'une plus grande variabilité de la forme du crâne apparaît entre 8 200 et 7 200 ans en arrière, bien qu'aucun brachycéphale ni dolichocéphale (morphologie des barzoïs) ne figure dans les crânes de l'holocène.

Pour les auteurs, cela « suggère que les pressions de la sélection induite par l'humain, conjuguées à l'évolution des conditions climatiques et à la disponibilité des ressources alimentaires, étaient suffisamment fortes pour conduire à l'apparition de morphologies diverses des millénaires avant la définition des races modernes ».