titre_lefil
Elanco & Proplan

24 septembre 2025

Et la santé mentale des dirigeants, on en parle ?

par Pierre Mathevet

Temps de lecture  4 min

Même si les chefs d'entreprise sont souvent pointés du doigt, peu de salariés souhaiteraient supporter leur stress et leur charge mentale (cliché Pierre Mathevet)
Même si les chefs d'entreprise sont souvent pointés du doigt, peu de salariés souhaiteraient supporter leur stress et leur charge mentale (cliché Pierre Mathevet)
 

Deux études viennent de se pencher sur la santé physique ainsi que la santé mentale des dirigeants de TPE, PME et ETI, dont font généralement partie les cabinets et cliniques vétérinaires.

Ces sujets demeurent encore tabous dans le monde de l'entreprise et dans le monde économique. Pourtant, diriger une entreprise est une lourde charge, et 82 % des dirigeants souffrent de maux physiques ou psychologiques, d'après le dernier baromètre de la Fondation d'entreprise MMA des Entrepreneurs du Futur, mené en France en mai 2025. Ce chiffre est en augmentation pour la première fois depuis la crise sanitaire du Covid, avec une progression de 11 points en un an.

Proposant un focus spécifique sur la santé mentale, il apparaît que 32 % des dirigeants déclarent une mauvaise ou passable santé mentale, soit 8 points de plus qu'en 2024. Il est grand temps de prendre conscience de ces difficultés, et de mettre en place des actions correctives.

Un stress très important et une récupération insuffisante

Selon les résultats de l'autre étude, menée en novembre et décembre 2024 par l'Institut Choiseul, 75 % des dirigeants d'entreprises, grandes ou petites, déclarent vivre du stress au moins une fois par semaine. Pire, 36 % des dirigeants le vivent chaque jour. Ce dernier taux est d'autant plus élevé que l'entreprise est de petite taille : 43,4 % pour les dirigeants des entreprises de moins de 50 salariés contre 29,2 % pour celles de plus de 500 salariés. À 90 %, les dirigeants déclarent aussi ressentir du stress (toujours ou parfois) même pendant leurs périodes de repos.

La principale source de stress est la charge de travail. Puis viennent la gestion des ressources humaines (RH : recrutement, gestion des équipes, licenciements) et la pression des résultats financiers. La durée de travail hebdomadaire moyenne est de 51 à 60 heures pour 40,3 % des dirigeants, et elle dépasse 60 heures pour 29,3 % d'entre eux. Les résultats sont globalement similaires dans les deux études : 18 % des répondants disent travailler plus de 65 heures par semaine dans l'étude MMA.

À cette charge s'ajoute une récupération physique et mentale insuffisante. Ainsi, 44 % des dirigeants déclarent un sommeil insuffisant tout le temps ou très souvent, et 64 % considèrent que leur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle n'est pas idéal. L'origine des troubles du sommeil est attribuée à la surcharge de travail pour près d'un dirigeant sur deux. Puis sont incriminées l'incertitude économique (pour 40 % des dirigeants), la perte des clients (29 %) et les problématiques RH (27 %).

Les conséquences de l'aspect tabou

La santé mentale est un sujet largement tabou, peu abordé dans les cercles de dirigeants. La crainte du jugement par ses pairs, la culture de la performance, l'isolement des dirigeants freinent les prises de parole pour l'évoquer. Pourtant, les dirigeants ont conscience de son enjeu : ils sont 9 sur 10 à reconnaître que leur santé mentale a un impact direct sur la performance de leur entreprise. Mais finalement, peu passent vraiment à l'action : 2 dirigeants sur 3 pensent que consulter un « psy » est mal vu, et 38 % n'osent jamais parler de leurs difficultés. Seuls 20 % des dirigeants sont accompagnés par un professionnel, qui permet pourtant de sortir de sa solitude et partager sa charge mentale.

De même, un tiers des répondants a renoncé, malgré la nécessité, à aller voir un médecin dans les 12 derniers mois : dans 68 % des cas par manque de temps et dans 34 % pour privilégier l'activité de l'entreprise. Pour eux, l'entreprise passe avant leur propre santé. Malheureusement, cela peut conduire à des comportements déviants : 54 % consomment régulièrement de l'alcool, 21 % fument, 5 % consomment des anxiolytiques, et même 2 % reconnaissent utiliser des drogues illégales.

Une situation grave, mais pas désespérée !

Les sources de stress sont bien identifiées – délégation difficile, pression financière, conflits RH… –, mais elles ne donnent que rarement lieu à des mesures de prévention adaptées (accompagnement du dirigeant, déconnexion…).

Nombre de leviers d'action existent ; ils reposent par exemple à l'échelle individuelle sur :

  • Apprendre à repérer les signaux d'alerte personnels de la fatigue et du surcroit de travail (irritabilité, énervement, addictions et/ou augmentation des consommations habituelles, mauvaise qualité de sommeil…), afin de mieux préserver son équilibre vie personnelle/vie professionnelle ; 
  • Réintroduire des temps de respiration et de déconnexion dans la semaine, pratiquer une activité physique ;
  • Ne pas hésiter à consulter un professionnel de l'accompagnement en cas de surcharge émotionnelle.

À l'échelle de l'entreprise, il est envisageable de :

  • Instituer des programmes de soutien psychologique, accessibles facilement et confidentiels, ouverts à tous, y compris aux dirigeants ;
  • Mieux répartir les responsabilités pour éviter l'isolement décisionnel ;
  • Intégrer explicitement la santé mentale dans la gouvernance de l'entreprise au même titre que les indicateurs financiers (KPI) ou les résultats de la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ;
  • Former les cadres, voire l'ensemble des salariés, à la prévention des risques psychosociaux et à l'écoute active.

Enfin, à l'échelle de la société, il serait utile de :

  • Déstigmatiser la santé mentale des dirigeants à travers des campagnes nationales ou des témoignages de personnalités ;
  • Développer la mise en place de dispositifs de relais (intérim de direction, binômes de dirigeants, congés préventifs) ;
  • Renforcer l'offre de formation, de prévention et de repérage, en particulier dans les TPE et chez les indépendants ;
  • Créer un accès facilité à des structures d'écoute spécialisées, animées par des professionnels formés à l'univers de l'entreprise.

À l'heure où la santé mentale est déclarée « grande cause nationale » en France, il est bon de ne pas oublier celle des dirigeants d'entreprise, en particulier pour les plus petites d'entre elles, dans lesquelles la répartition de la charge décisionnelle et émotionnelle est souvent très difficile. Cela passe par briser le tabou autour de ce sujet, et oser parler de vulnérabilité et de résilience, à tous les niveaux dans l'entreprise.