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Elanco & Proplan

19 mars 2025

Apprendre à dire « Non » pour mieux s'affirmer et se respecter

par Pierre Mathevet

Temps de lecture  7 min

Oser dire « non » est loin d'être une évidence pour une majorité d'entre nous (cliché Pierre Mathevet).
Oser dire « non » est loin d'être une évidence pour une majorité d'entre nous (cliché Pierre Mathevet).
 

Dire « Non » est particulièrement difficile pour de nombreuses personnes dans la vie courante. Cela semble d'autant plus difficile qu'il existe un rapport hiérarchique (comment dire non à son supérieur qui vous demande de faire une tâche qui ne vous incombe pas ?) ou d'autorité (comment dire non à sa mère de 80 ans qui vous supplie de venir le weekend prochain alors que vous avez prévu une soirée entre amis ?), ou encore dans une relation commerciale (comment dire non à un très bon client qui vous demande un geste commercial ?). En fait, il s'agit d'une interprétation un peu rapide, qui pousse à considérer les facteurs liés à la relation humaine comme responsables de cette difficulté.

Ce qui est frappant, c'est que nous pouvons, dans ces mêmes relations interpersonnelles, retrouver la même difficulté en changeant de personnage : comment dire non en tant que dirigeant d'une clinique vétérinaire à un salarié engagé et volontaire qui demande une journée de congés alors que vous êtes déjà en sous-effectif ? Comment dire non à votre enfant qui vous demande pour la 10e fois de reprendre un bonbon ? Comment dire non à un vendeur insistant mais très sympathique et doué pour vous donner des arguments convaincants à propos d'une chose dont vous n'avez pas vraiment besoin ?

Visiblement, les raisons de cette difficulté à exprimer le non se tiennent ailleurs.

Les raisons de la difficulté à dire « Non »

La première raison est la peur : la peur de ne plus être aimé ou apprécié, la peur d'être perçu comme une personne agressive ou antipathique, la peur de décevoir et de casser la relation, la peur d'être jugé, pire même d'être rejeté, la peur de déclencher une bagarre ou de faire des vagues dans l'organisation. À chacun ses peurs, qui prennent naissance dans son panel personnel de croyances. Les mécanismes de nos peurs sont fortement ancrés en chacun de nous. Les peurs sont toujours légitimes pour celle ou celui qui les vit ; il est illusoire de penser qu'il est possible de les évacuer facilement d'un revers de main. Notre comportement est relié à nos peurs comme le sparadrap pour le capitaine Haddock : bien difficile de s'en débrasser ! Le besoin d'appartenance à un groupe et le besoin d'être aimé font en effet partie des besoins fondamentaux de tout être humain. Donc les peurs d'être rejeté ou viré d'une part, et celles de ne plus être considéré ou apprécié d'autre part, ont toutes de fortes justifications personnelles.

Ensuite, l'affirmation de soi, la capacité à exprimer ce que l'on pense vraiment, est sous la dépendance de deux facteurs essentiels. Elle ne peut exister que si nous avons de l'estime de soi (notre estimation, notre évaluation de la personne que nous sommes et notre aptitude à l'apprécier) et de la confiance en soi (notre sentiment de ce que nous sommes capable de faire). L'assertivité est cette capacité à dire oui quand on veut dire oui et à dire non quand on veut dire non. L'affirmation de soi traduit la capacité à entrer en relation équilibrée avec ses congénères, sans soumission et sans agressivité. Un manque d'assertivité peut donc être généré par une faible confiance en soi et/ou une faible estime de soi. À chacun d'identifier le niveau bloquant pour travailler sur ses fondamentaux. La timidité se traduit par une difficulté à entrer en relation et génère une grande difficulté à dire non.

Le cercle vicieux induit par la difficulté à dire « Non »

Cette difficulté pousse alors à accepter régulièrement certaines demandes (de rendez-vous, d'aide, de changement de planning…) plus ou moins clairement formulées, que nous ne désirons pas. Chaque fois que nous disons oui alors que nous souhaitions dire non, rétrospectivement, nous nous en voulons à nous-mêmes. Nous nous jugeons très négativement, ce qui a comme conséquence de diminuer notre estime de soi, puis notre confiance en soi. Le cercle vicieux est en route : peu d'estime de soi, donc difficulté à s'affirmer, donc impossible de dire non alors que cela aurait été souhaité, donc diminution de l'estime de soi… Cela nous met en position de soumission, d'accepter les décisions des autres, de devenir petit à petit transparent au sein d'une organisation.

Et à l'inverse, bien souvent nous culpabilisons lorsqu'enfin nous sommes parvenus à dire non et à nous affirmer. Les peurs ressurgissent, notre cerveau imagine les réactions négatives de la personne qui nous a sollicité et que nous avons éconduit. Notre petite voix intérieure se réveille : est-ce que le client n'est pas vexé et va aller voir ailleurs car nous n'avons pas accordé le geste qu'il espérait ? Dans quel état d'esprit est notre patron si nous n'avons pas souhaité prendre une mission supplémentaire urgente ? Ne vont-ils pas se venger ? Bref, encore davantage de peurs même totalement imaginaires, donc moins de confiance en soi d'avoir eu la bonne attitude, donc difficile de s'affirmer la prochaine fois.

Les « Non » pathologiques

Par ailleurs, il n'est pas concevable de toujours dire non ou de le dire très souvent, pour des raisons purement égoïstes. Certains comportements peuvent pousser à dire facilement non, mais suivant des logiques pathologiques, égocentrées.

La raison peut être de se faire désirer, de pousser l'autre à insister pour parvenir à nous convaincre. Derrière cette attitude, l'envie de prouver et surtout de se prouver que nous avons de la valeur, une certaine puissance dans la relation à l'autre. Cette attitude dans une équipe se traduit par une augmentation des confrontations, une perte de temps dans les discussions, un retard dans les décisions, des jeux de pouvoir bien visibles dans les organisations, les réunions d'équipe ou d'associés.

Dire non peut également être un comportement pour éviter ou se défaire de la relation à l'autre. Sans incidence si exprimé avec modération, le non peut devenir permanent et sans explications. Dans ce cas, il signifie que nous ne souhaitons pas dépendre du désir de relation de notre interlocuteur. Il s'agit souvent d'un non réflexe, défensif, d'une réponse sans aucune réflexion. Il est ainsi potentiellement le révélateur d'une faible estime de soi, d'une peur d'être en interaction.

Dire non peut également témoigner, dans certains rares cas, d'un négativisme maladif, d'un côté « enfant rebelle » et contestataire, voire d'une paranoïa. Dans ce cas ultime, ce comportement pathologique est à identifier et à fuir.

Apprendre à dire « Non »

Pourquoi apprendre à dire non plus facilement ?

D'abord car être assertif, c'est apprendre à se respecter, à ne pas faire passer l'autre avant soi. Nous avons tous le droit au refus : dire non à bon escient est indispensable pour améliorer son estime de soi et sa confiance en soi. C'est un acte de respect de soi qui préserve notre temps, notre énergie et nos valeurs.

Ensuite, dans une réunion d'équipe, oser dire non et l'expliquer permet d'obtenir de la considération. Utilisé de manière constructive, cela permet d'augmenter la collaboration, de trouver des solutions partagées motivantes.

Enfin, faire respecter un cadre est essentiel pour un dirigeant ou un manager. Impossible d'être garant de l'homéostasie de l'équipe, du sentiment d'équité sans être capable de dire non à bon escient pour faire respecter les règles. C'est toute la différence entre un management sympathique, voire laxiste, et un management empathique, centré sur les personnes et juste. Dans le premier cas, la paix facile immédiate porte en elle les germes des tensions futures. Imaginez un match avec un arbitre sans sifflet ou un code de la route sans gendarme. Le no limit n'est pas réaliste, il ne peut en aucun cas être une solution. Apprendre à dire non est donc une nécessité.

Comment dire « Non » plus facilement

La première étape pour y parvenir, comme dans tout changement, est la prise de conscience : comprendre les mécanismes qui nous conduisent à adopter le comportement de ne pas oser dire non. Quelles sont nos peurs ? Quels sont nos besoins non comblés ? De quoi avons-nous besoin pour améliorer notre assertivité ? Quelles sont les raisons d'une éventuelle faible estime de soi ?

Ensuite, il nous faut braver nos propres peurs, car bien souvent infondées mais paralysantes. Être en conscience que dire oui tout le temps devient, parfois, une habitude sociale... mais à quel prix ? Plus nous disons oui à tout, plus nous sommes transparents et moins nous existons, plus les autres demandent et font moins d'efforts, autogénérant ainsi notre propre sentiment d'injustice.

Puis, pour contrer le sentiment que nous ne pouvons pas dire non dans une situation particulière, il convient de récapituler intérieurement toutes les fois où nous avons déjà dit oui. Comptabiliser tous les oui déjà énoncés ouvre la porte à dire non pour une fois.

Intégrer que dire non une fois n'est pas le dire toujours. Un non n'est pas un affront personnel, il n'est pas nécessaire de s'excuser d'avoir dit non. En revanche, donner les explications de ce refus permet à notre interlocuteur d'interpréter correctement notre décision… et peut-être de la comprendre. Les explications ne sont pas des justifications culpabilisantes mais des raisons personnelles et objectives. Elles sont un élément fondamental de la communication et la compréhension mutuelle, bien souvent manquant. Les composantes paraverbales et non verbales revêtent ici une importance considérable pour obtenir l'ouverture de son interlocuteur. Le non d'un ton sec et cassant risque de générer un retour compliqué et nous inciter donc à ne pas recommencer, alors qu'un non courtois, s'appuyant sur une ou deux explications rationnelles, personnelles, permet à notre interlocuteur de nous comprendre et d'accepter plus facilement notre refus.

Enfin, pour montrer sa bonne foi et prouver son envie de ne pas être bloquant, il est conseillé de proposer une alternative, d'offrir une ouverture. Cela montre l'envie de collaborer tout en respectant ses propres limites. Cela peut exiger de se préparer un minimum avant de dire non : « Non, je suis désolé, mais nous ne pouvons pas vous accorder la prime souhaitée car les résultats financiers de l'entreprise sont largement en dessous de ceux de l'année dernière. Par contre, nous espérons une amélioration rapide des résultats et nous nous engageons à réétudier votre demande dans 6 mois ». Cette démarche permet de transformer les non négatifs en non positifs, à condition d'être sincère.