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Elanco & Proplan

17 juin 2024

Triple résistance aux antiparasitaires équins : une première en France

par Agnès Faessel

Temps de lecture  5 min

La résistance aux anthelminthique est d'autant plus problématique chez les chevaux de course que les animaux de cette filière sont beaucoup déplacés, pour la reproduction, l'entraînement, les courses ou la vente (cliché Pixabay).
La résistance aux anthelminthique est d'autant plus problématique chez les chevaux de course que les animaux de cette filière sont beaucoup déplacés, pour la reproduction, l'entraînement, les courses ou la vente (cliché Pixabay).
 

C'est une étude menée dans un haras de chevaux de course où l'éleveur suspectait une résistance aux anthelminthiques qui a confirmé une double résistance au fenbendazole et au pyrantel des cyathostomes, mais qui a surtout identifié une résistance simultanée à l'ivermectine. Des observations inédites en France.

Trois classes d'antiparasitaires disponibles

Les cyathostomes (petits strongles) sont les principaux parasites digestifs des équidés, qui se contaminent au pré. Leur contrôle repose sur la vermifugation régulière (plusieurs fois dans l'année) des animaux, et trois familles d'antiparasitaires sont disponibles : les benzimidazoles (fenbendazole), les tétrahydropyrimidines (pyrantel) et les lactones macrocycliques (ivermectine, moxidectine).

Comme dans d'autres espèces, des résistances à ces antiparasitaires émergent. Et une fréquente résistance au fenbendazole et au pyrantel était déjà documentée chez des chevaux, en France comme ailleurs dans le monde. C'est donc la résistance simultanée aux lactones macrocycliques – l'ivermectine ici – qui est une première, et qui aggrave la problématique, ne laissant plus guère d'alternative thérapeutique efficace.

Les chevaux de course et notamment les pur-sang sont particulièrement concernés par ces résistances, du fait de traitements relativement systématisés et sans surveillance du parasitisme.

Résistance à toutes les molécules, dans tous les groupes

Les scientifiques de l'Anses (laboratoire de Dozulé, Calvados) qui ont réalisé l'étude ont publié leurs résultats en libre accès dans International Journal of Parasitology, des résultats signalés également sur le site de l'Agence (actualité du 27 mai 2024).

Les recherches se sont déroulées dans un haras de pur-sang de course, en Normandie, entre mars et décembre 2023. L'éleveur y suspectait une résistance aux anthelmintiques, en particulier sur les jeunes chevaux : malgré les traitements systématiques administrés (fenbendazole, ivermectine), la croissance et l'état général des animaux lui paraissaient insatisfaisants.

Les chercheurs ont donc réalisé des comptages d'œufs post-traitement (test de réduction de l'excrétion fécale, FECRT) sur des yearlings qui avaient été régulièrement traités auparavant (tous les 1 à 2 mois), avec plusieurs molécules antiparasitaires en alternance, à partir de l'âge de 1 à 4 mois selon les cas, et répartis en groupes (parfois des mêmes animaux) : groupe 1 (6 mâles), groupe 2 (12 femelles), groupe 3 (8 femelles et 3 mâles). Ces yearlings ont pâturé de mars à septembre, sur différentes parcelles, et ont ainsi été naturellement infestés.

Les FECRT ont été réalisés suite aux traitements tels qu'habituellement prescrits (et réalisés par le vétérinaire du haras), aux doses recommandées dans les notices des médicaments et après évaluation du poids des individus :

  • L'efficacité du fenbenzazole a été évaluée dans deux groupes (1 et 2) en mars ;
  • Celle de l'ivermectine a été évaluée dans les trois groupes, en mars-avril (groupes 1 et 2), puis en novembre-décembre (groupe 3) ;
  • Celle du pyrantel a été testée dans un groupe (1), en mai-juin.

Et les résultats ont montré une résistance à chacune des molécules, dans tous les groupes testés : réduction d'excrétion insuffisante post-traitement (par comparaison à l'efficacité ciblée sans résistance). La plupart des chevaux étaient forts excréteurs avant traitement : plus de 500 EPG (œufs par gramme de crottin). L'efficacité de la moxidectine n'a pas été évaluée.

Premier cas de résistance à l'ivermectine en France

Des cas de résistance aux lactones macrocycliques (ivermectine et/ou moxidectine) ont déjà été signalés dans plusieurs pays, en particulier le Royaume-Uni et l'Irlande en Europe (mais aussi aux États-Unis ou en Australie), parfois au travers d'une ré-excrétion fécale plus rapide après le traitement. Ce n'était pas encore le cas en France, et son observation dans ce haras est donc une première.

Les scientifiques de l'Anses proposent donc d'effectuer de nouvelles études, sur des effectifs plus larges et dans plusieurs élevages, afin d'évaluer la résistance des petits strongles aux anthelminthiques en France.

Une surveillance internationale serait utile aussi, en particulier pour les chevaux de course. La résistance aux anthelminthiques est particulièrement problématique chez ces chevaux qui font l'objet de beaucoup de déplacements (pour la reproduction, l'entraînements, les courses) et de ventes entre pays.

Bonnes pratiques de vermifugation

L'Anses diffuse aussi sur son site ses recommandations de bonnes pratiques de vermifugation des équidés (qui figurent de longue date sur le site de l'IFCE).

L'Agence rappelle ainsi que l'administration d'antiparasitaires non adaptés ou à des doses inadéquates ont pour conséquences de favoriser la résistance des parasites aux molécules utilisées, et d'altérer la santé de l'animal traité (risque de dysbiose et de toxicité). Ces traitements inadaptés ont également des effets délétères sur l'environnement du fait de la toxicité des molécules sur la faune sauvage (les insectes coprophages comme les bousiers ou les espèces aquatiques). L'Anses souligne aussi qu'il est « recommandé aux détenteurs d'équidés de prendre conseil auprès de leur vétérinaire pour choisir le traitement antiparasitaire adapté et vérifier l'absence de résistance aux molécules utilisées ».

Les bonnes pratiques de vermifugation reposent sur les 5 principes suivants.

  1. Proscrire les traitements systématiques : « L'administration d'antiparasitaires doit se faire uniquement lorsque le niveau d'infestation dépasse un seuil pouvant impacter la santé de l'animal ». Environ 20 % des équidés adultes excrètent 80 % des œufs de cyathostomes. Il est conseillé de vermifuger seulement les animaux fortement excréteurs, identifiés par des analyses coproscopiques (excrétant plus de 500 EPG).
  2. Ne pas vermifuger trop tôt dans l'année : à la fin de l'hiver, la population de parasites sensibles aux vermifuges est faible sur les parcelles (les larves sont sensibles au froid). Un traitement au printemps entraînera l'excrétion de parasites résistants qui entreront en compétition avec cette population de parasites sensibles, augmentant ainsi le risque de ré-infestation des équidés avec des parasites résistants.
  3. Adapter le produit au parasite, car « tous les vermifuges ne sont pas efficaces contre tous les parasites aux mêmes stades ». L'Anses rappelle en particulier que le fenbendazole n'est pas efficace contre les larves de cyathostomes et ne doit donc pas être administré à la fin de l'automne et en hiver, quand les stades larvaires sont majoritaires.
  4. Bien évaluer le poids de l'animal à traiter, afin d'éviter notamment les sous-dosages qui favorisent l'émergence de résistances.
  5. Utiliser des produits autorisés et un mode d'administration adapté : l'usage hors-AMM est proscrit, de même qu'une administration par sonde (les médicaments disponibles sont formulés en pâte orale).