14 mai 2024

Il est possible – au moins pour les scientifiques s'intéressant au comportement, de décrire une émotion par deux dimensions. La première, qui semble la plus évidente, est la valence positive ou négative de l'émotion (par exemple joie ou tristesse, respectivement). La seconde est l'état d'excitation qui accompagne l'expression de cette émotion, allant de calme à excité. Ainsi, la joie est une émotion à valence et excitation positive, alors que la tristesse est liée à un faible niveau d'excitation. D'autres cas de figure sont possibles, par exemple l'anxiété, qui peut être à valence négative et excitation positive, ou le calme – à valence positive et excitation faible.

Lien à des paramètres comportementaux et physiologiques

Des scientifiques du Waltham Petcare Science Institute, au Royaume-Uni, ont souhaité évaluer le lien entre les indicateurs “valence” et “excitation”, et des paramètres comportementaux et physiologiques, pour pouvoir évaluer l'état émotionnel aigu chez le chien. En se fondant sur la littérature, ils ont sélectionné cinq paramètres : la fréquence cardiaque et sa variabilité, les deux scores du QBA (une évaluation comportementale qualitative) correspondant à « valence positive ou négative » et « excitation », et le taux de cortisol sérique. Ils ont ajouté d'autres paramètres susceptibles d'être influencés par l'état émotionnel : sérotonine sérique, hormone adrénocorticotrope plasmatique (ACTH), immunoglobulines A sécrétoires salivaires (IgAs), score d'activité, température des yeux, des oreilles et du nez, position du corps, halètements, tremblements du corps et gémissements. Les auteurs souhaitaient également étudier l'impact d'un apport de nourriture sur ces paramètres. 

Des scénarios monitorés pour reproduire les émotions

Après une étude pilote utilisant 20 chiens adultes, l'étude principale a été effectuée sur 60 chiens, nombre nécessaire pour atteindre une puissance statistique supérieure à 80 %, permettant d'identifier une différence relative à la valence et/ou à l'excitation pour chacune des cinq mesures principales. L'échantillon était composé de 31 mâles et 29 femelles (30 Labrador retrievers, 12 beagles et 18 Norfolk terriers), âgés de 1 à 6 ans. Les chiens avaient un historique de formation et de participation à des études de recherche variable. Ils étaient habitués à tous les environnements de test et à l'équipement associé avant le test, et sur la durée de l'étude, ils ont tous bénéficié de programmes complets de dressage et de socialisation. Sur une période de 19 semaines, chaque chien a été exposé à six scénarios de 10 minutes, conçus pour explorer les différentes combinaisons de valence +/- et d'excitation + /-, avec et sans nourriture :

• lancer de friandises (valence positive/forte excitation/avec nourriture),
• jeu avec des jouets (valence positive/forte excitation/sans nourriture),
• mastication de longue durée (valence positive/faible excitation /avec de la nourriture),
• caresses calmes par un humain familier (valence positive/faible excitation/sans nourriture),
• voyage en voiture (valence négative/forte excitation),
• ou séparation (valence négative/faible excitation).

Des outils de monitoring ont été utilisés : enregistrements vidéo, moniteurs d'activité (accéléromètres), harnais multiparamétrique (FC et variation de FC) et caméra thermique. Les enregistrements vidéo ont été notés par 3 codeurs de comportement canin entraînés, sur une échelle de 1 à 7 pour la valence (1 – très négative, 7 – très positive) et l'excitation (1 – pas d'excitation, 7 – forte excitation).

L'importance des multi-paramètres pour l'évaluation des émotions

Les résultats sont présentés sur un diagramme à cadrans (voir l'illustration principale). La correspondance entre valence et excitation est particulièrement bonne dans le quadrant Q1 (valence positive, excitation élevée) pour le scénario de jeu avec des jouets (96,6 % des chiens) et le lancer de friandises (98,3 %). Elle est plus variable pour Q2 (valence positive, faible excitation) pour l'exposition aux caresses (63,8 %) et à la mastication (62,7 %) et Q4 (valence négative, forte excitation) pour la voiture (67,2 %). Elle est moyenne pour Q3 (valence négative, faible excitation) avec le scénario de séparation (45,6 %). Ainsi, l'étude démontre qu'aucun paramètre isolé ne peut être utilisé pour quantifier à la fois la valence et l'excitation dans tous les quadrants émotionnels, soulignant l'importance d'une approche multiparamétrique pour évaluer les émotions des animaux. Les chercheurs recommandent donc de recourir à une combinaison de paramètres, qui peuvent être sélectionnés en fonction des quadrants émotionnels ciblés et des limites de la conception des études qui seront réalisées.

QBA et autres indicateurs : choisir selon l'émotion ciblée

S'ils présentent une liste de ces paramètres, les auteurs en discutent aussi les limites expérimentales. Ainsi, bien que les scores du QBA montrent la plus grande différenciation à la fois au sein des états émotionnels positifs et entre les états émotionnels positifs et négatifs, ce paramètre présente certaines limites, car les émotions moins activement exprimées ne sont probablement pas bien capturées. De plus, comme à chaque évaluation qualitative, les notes peuvent avoir été influencées par les préjugés des observateurs. Par ailleurs, le cortisol, l'ACTH, la variabilité de la fréquence cardiaque, les halètements, les gémissements et les tremblements du corps se sont révélés prometteurs en tant qu'indicateurs potentiels d'états émotionnels négatifs, mais pas pour les émotions à valence positive. Ces paramètres sont donc recommandés pour identifier la présence d'états émotionnels négatifs ou quantifier l'excitation au sein d'états émotionnels négatifs. La variation de la fréquence cardiaque a réussi à différencier les valences positives et négatives, mais uniquement dans le cadre de scénarios de faible excitation. Ce paramètre a probablement été influencé par le bruit introduit dans les scénarios avec des niveaux d'activité élevés, et il convient donc de faire preuve de prudence dans son utilisation. D'autres mesures, notamment la fréquence cardiaque, les IgAs et la position du corps, se sont révélées indiquer les niveaux d'excitation, quelle que soit la valence. Et plusieurs paramètres, notamment la variabilité de fréquence cardiaque, les IgAs, les tremblements corporels, l'haleine, la température des oreilles et des yeux, la position et l'activité du corps, semblent être affectés par des facteurs externes, tels que l'apport alimentaire, la température, l'exercice et le confinement. Ils devront eux aussi être utilisés avec prudence dans de telles études. Enfin, la sérotonine et les températures des oreilles et des yeux ne sont pas des indicateurs pertinents des états émotionnels aigus chez les chiens.