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Elanco & Proplan

16 novembre 2023

Le conseil vétérinaire en élevage bovin : des pistes pour valoriser une activité de plus en plus incontournable

par Jean-Jacques Pravieux

Temps de lecture  6 min

Le conseil vétérinaire en élevage est de plus en plus précieux, mais reste toujours aussi difficile à valoriser (cliché : Jean-Jacques Pravieux).
Le conseil vétérinaire en élevage est de plus en plus précieux, mais reste toujours aussi difficile à valoriser (cliché : Jean-Jacques Pravieux).
 

Fin septembre, à quelques jours d'intervalle, deux documents ont été publiés qui n'avaient apparemment aucun lien entre eux : les résultats d'une enquête évaluant la volonté des éleveurs laitiers suisses à participer à un plan de gestion sanitaire subventionné, et une thèse vétérinaire présentant une étude de marché au sein d'une clientèle rurale des Vosges, en vue de proposer une contractualisation aux éleveurs laitiers. Ces deux documents, avec des angles d'approche très différents, contiennent des éléments de réflexion intéressants sur l'activité de conseil du vétérinaire rural et sur l'avenir même du métier.

Un conseil encore trop peu formalisé

L'état des lieux dressé dans la thèse montre qu'en dehors des suivis de reproduction, de quelques audits d'élevages et bilans sanitaires, les conseils sont encore souvent dispensés entre deux portes, à l'occasion de visites pour animaux malades. Les actes et le conseil, activités de base des praticiens ruraux, sont difficiles à valoriser et la vente de médicaments est devenue depuis longtemps l'élément principal du chiffre d'affaires (pour en constituer jusqu'à environ 80 %). Certains états européens ont bien identifié l'intérêt du suivi des élevages par les vétérinaires. Ils ont mis en place et subventionné des services de gestion sanitaire des troupeaux depuis plusieurs années. Si de tels systèmes existent au Royaume-Uni, au Danemark, aux Pays-Bas et en Suède, cette activité reste encore limitée dans la plupart des autres pays. Avant de proposer aux éleveurs laitiers un service de suivi global, les autorités suisses ont réalisé une enquête pour mesurer l'adhésion potentielle à un tel projet et le niveau de subvention permettant un effet incitatif optimal. Le taux de réponse a été de 30,3 % et a permis de travailler sur une base de 485 questionnaires remplis.

Le coût reste un facteur limitant

La proposition de suivi est détaillée dans le questionnaire éleveur. C'est un suivi global incluant, outre le contrôle de l'état sanitaire, le suivi des performances de production et reproduction, de l'alimentation et un diagnostic des bâtiments. Le plan est à mettre en place avec l'éleveur en établissant un contenu adapté à chaque élevage. Les objectifs concernent le maintien ou l'amélioration de la santé et des performances, ainsi que la diminution de l'utilisation des médicaments. Le résultat économique de l'élevage doit s'en trouver amélioré. En se référant aux tarifs déjà proposés par certains vétérinaires suisses pour de tels suivis, l'étude propose un coût de base de 125 francs suisses (130 €) par vache et par an. Quatre niveaux de subvention sont envisagés : 20, 40, 60 ou 80 % du coût total. L'enquête confirme l'effet incitatif de la subvention (voir la figure ci-dessous). Près du quart (23,6 %) des éleveurs seraient prêts à participer avec la subvention minimum de 20 %. Le taux de volontaires passe à 40,4 % lorsque 80 % du coût est pris en charge par le gouvernement fédéral.

Effet du coût du suivi sanitaire sur la probabilité de participation à un programme subventionné de suivi vétérinaire global en élevage bovin, selon l'étude suisse (van Aken, 2023).

 

Groupe réfractaire

À noter qu'un éleveur sur deux (53 %) déclare ne pas être intéressé, quel que soit le montant de la subvention. Cette grosse moitié d'éleveurs située en dehors du marché du conseil vétérinaire, considère majoritairement que ce type de service est destiné aux élevages à problèmes. Les frais vétérinaires sont significativement plus bas dans ce groupe. L'âge de l'éleveur entre aussi en compte : la probabilité pour qu'un éleveur accepte de participer au plan montre un pic de motivation à 45 ans. Les plus jeunes et les plus âgés sont les plus réticents (voir la figure ci-dessous). Ces résultats ne sont pas discutés dans l'étude, mais il est probable que les jeunes éleveurs ont d'autres urgences budgétaires et que les plus âgés sont moins motivés pour investir et changer leurs habitudes.

Marge de prédiction d'apparteneir au groupe acceptant de participer au suivi sanitaire, en fonction de l'âge de l'éleveur, selon l'étude suisse (van Aken, 2023).

 

Un contexte porteur pour le conseil vétérinaire

La thèse vétérinaire traitant de contractualisation entre vétérinaires et éleveurs bovins laitiers constate également que cette manière de travailler ne correspond pas à l'ensemble de la clientèle. Mais la cible pour une plus grande coopération vétérinaires-éleveurs correspond assez bien à la part la plus stratégique : les clients fidèles et ceux à fidéliser. Une enquête a été réalisée auprès de 48 vétérinaires fonctionnant déjà sous contrats avec certains de leurs éleveurs, en moyenne depuis 18 ans, depuis 43 ans pour les plus anciens. Ses résultats montrent la diversité des situations et des services inclus dans le suivi. Près de 80 % des vétérinaires sont satisfaits ou très satisfaits de ce mode de fonctionnement. Le taux de satisfaction des éleveurs monterait à 86 %, aux dires de ces vétérinaires. La contractualisation aurait pour avantage un renforcement du partenariat entre éleveur et vétérinaire, une relation de confiance accrue, une suppression de l'automédication, une amélioration de la prévention, ainsi que des résultats technico économique. La partie de la thèse consacrée à l'étude de marché a été réalisée à l'échelle de la clientèle vosgienne, mais en prenant aussi en compte le contexte général : volonté des pouvoirs publics de diminuer l'utilisation des médicaments, en particulier les antibiotiques et les antiparasitaires, augmentation de la taille des élevages et des compétences techniques des éleveurs, demande croissante de conseils et de prévention, et diminution des interventions curatives. L'environnement évolue : 64 % des éleveurs laitiers ont un outil connecté, comme des détecteurs de chaleur. Entre 2008 et 2018, les élevages équipés de robots de traite ont été multipliés par quatre. L'offre vétérinaire doit se mettre à niveau pour répondre aux attentes croissantes de ces éleveurs.

Bien choisir les éleveurs partenaires

Un point important concerne le choix des éleveurs. La thèse retient qu'il est préférable d'éviter des éleveurs qui pensent profiter de ce système pour appeler plus souvent à moindres frais. Il ne s'agit pas de faire des économies pour l'éleveur ni de gagner plus pour le vétérinaire, l'enjeu est de travailler plus efficacement ensemble dans l'intérêt de chacun : l'éleveur gagne en sérénité et en rentabilité de son élevage ; le vétérinaire gagne en organisation du travail, en valorisation de son conseil et de ses actes. Il est tentant d'ajouter : en qualité de vie au travail et en gain de sens…

Synergie nécessaire

Pour être pérenne, la contractualisation ne peut être qu'une démarche volontaire, avec des praticiens et des éleveurs qui désirent travailler d'une manière différente. C'est un bon moyen pour mettre l'accent sur l'action préventive et la maîtrise des facteurs de risque, tout en diminuant les interventions curatives et les urgences qui pénalisent les élevages et rendent l'activité rurale moins attractive. L'enquête auprès des éleveurs suisses montre que le soutien financier des pouvoirs publics peut favoriser le développement des plans de suivi et de prévention sanitaire. Même si ces démarches reposent sur le volontariat et les initiatives individuelles, elles permettent d'améliorer la situation de la collectivité : une meilleur gestion sanitaire diminue le risque de circulation d'agents pathogènes, une utilisation raisonnée des médicaments limite l'émergence des résistances. Il est donc légitime et nécessaire que les politiques publiques encouragent cette évolution. Comparés aux mesures obligatoires, les programmes basés sur le volontariat sont plus souples d'un point de vue réglementaire et ont plus de chances d'être efficaces à un moindre coût… à condition d'avoir un nombre suffisant de volontaires.