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Elanco & Proplan

19 septembre 2023

Vers un élevage bovin laitier plus écoresponsable. Quel rôle pour les vétérinaires ruraux ?

par Jean-Jacques Pravieux

Temps de lecture  10 min

Une bonne gestion du pâturage permet de réduire l'impact environnemental de l'élevage laitier, en particulier en favorisant le stockage de carbone, la biodiversité et en réduisant les besoins énergétiques de l'exploitation ; autant d'opportunités d'intervention pour le praticien rural, selon une thèse vétérinaire publiée en ligne cet été (cliché Jean-Jacques Pravieux).
Une bonne gestion du pâturage permet de réduire l'impact environnemental de l'élevage laitier, en particulier en favorisant le stockage de carbone, la biodiversité et en réduisant les besoins énergétiques de l'exploitation ; autant d'opportunités d'intervention pour le praticien rural, selon une thèse vétérinaire publiée en ligne cet été (cliché Jean-Jacques Pravieux).
 

L'élevage bovin figure régulièrement en bonne place parmi les activités humaines pointées du doigt comme responsables du réchauffement climatique et autres menaces environnementales. Les praticiens impliqués au quotidien dans la vie des élevages n'ont pas toujours les données scientifiques ni le temps pour avoir une vision synthétique d'un sujet aussi vaste et complexe. Une thèse vétérinaire publiée cet été traite de l'impact environnemental des élevages bovins laitiers. Les différents enjeux environnementaux sont abordés : gaz à effet de serre, stockage de carbone (C), qualité de l'eau et sa consommation, émissions d'ammoniac (NH3), biodiversité, consommation et production d'énergie. Pour chaque partie, l'impact de l'élevage laitier en France, les méthodes d'évaluation de cet impact et les leviers d'optimisation sont présentés. Les derniers chapitres sont consacrés aux acteurs de la transition écologique de l'élevage laitier en France et en particulier au rôle du vétérinaire rural. Ce travail regroupe et classe une somme d'informations indispensables pour acquérir une vision globale étayée. Pour améliorer l'empreinte environnementale des élevages laitiers, toutes les pistes sont à explorer, mais certaines sont particulièrement pertinentes.

Certains impacts en partie incontournables

Les émissions de méthane générées par la digestion ruminale et rejetées dans l'atmosphère à 84 % par éructation sont intrinsèquement liées à l'activité de l'élevage de bovins. Le méthane (CH4) représente plus des deux tiers des gaz à effet de serre (GES) émis par les bovins, devant le protoxyde d'azote (N2O), puis le dioxyde de carbone (CO2). Parmi les actions à court terme en vue de limiter le réchauffement climatique il est préconisé de réduire les émissions de méthane agricole de 11 à 30 % d'ici à 2030. Or ces émissions proviennent à plus de 90 % de la fermentation entérique. Les stratégies pour limiter ce phénomène concernent essentiellement l'alimentation. Il s'agit d'incorporer des additifs dans la ration (apport lipidique, tanins, récepteurs d'électrons…) ou de modifier certains paramètres (augmentation de la matière sèche ingérée, diminution du rapport fourrage/concentré). Nombre de propositions sont peu convaincantes au plan scientifique, que ce soit à cause de l'inconstance des résultats, de la difficulté de mise en place ou de potentiels effets indirects négatifs. Un additif, le 3-nitroxypropanol a été récemment autorisé en Europe et donne des résultats intéressants, en abaissant de presque un tiers les émissions de méthane entérique, sans affecter la santé, la productivité des animaux, ni la qualité du lait. La sélection génétique est aussi envisagée, mais reste une piste hypothétique de long terme. Il faut reconnaître que la digestion des ruminants est un phénomène biologique au même titre que la respiration. Or personne n'a encore envisagé un moyen de diminuer le rejet de CO2 lié à la respiration humaine…

Consommation d'eau : difficilement compressible

La production agricole représente 92% de la consommation d'eau mondiale. Les produits laitiers sont la troisième plus grande source de consommation, derrière les produits céréaliers et la viande. L'empreinte eau des produits de l'élevage bovin correspond au volume d'eau douce nécessaire pour obtenir un kg de produit. En climat tempéré l'empreinte eau du lait est en moyenne de 690 l d'eau/kg de lait corrigé sur la matière utile. La moyenne mondiale est 1 000 l/kg. Cela peut aller jusqu'à 1 300 l/kg en milieu semi-aride. L'eau est utilisée à 99 % pour la production des aliments. L'optimisation de l'irrigation ou une bonne utilisation des pâtures peuvent permettre quelques économies. Certaines mesures, comme l'importation de fourrages de zones épargnées par le stress hydrique sont à double tranchant. L'eau est certes économisée localement, mais le transport peut augmenter considérablement les émissions de GES. C'est davantage sur la qualité de l'eau qu'il est possible de progresser. Outre les risques de contamination des ressources en eau par des bactéries entériques (par exemple un nombre croissant de cas humains de campylobactériose peut être attribué à l'élevage bovin), les problèmes de qualité de l'eau sont directement liés à la gestion de l'azote (N) et du phosphore (P). Les nitrates sont toxiques au-delà de certaines concentrations, mais c'est surtout le rôle de nutriment des nitrates et des phosphates qui va provoquer l'eutrophisation des eaux de surface et souterraines : la surcharge en nutriments stimule de façon excessive le développement de micro-organismes et de végétaux dans l'eau. Les excès d'apport en P sont fréquents, jusqu'à 20 ou 40 % supérieurs aux besoins, à cause de teneurs souvent imprécises et de l'utilisation de sous-produits riches en P. Une réduction du P de 1 g/kg de matière sèche (MS) dans ration réduit le P dans les matières fécales de 1 g/kg de MS.

La gestion des effluents est un élément crucial dans l'amélioration de l'impact environnemental des élevages laitiers (cliché Jean-Jacques Pravieux).

Fertilisation et gestion des effluents

Le cycle de l'azote est fortement impliqué dans l'impact environnemental des élevages. N2O est un sous-produit des phénomènes de nitrification et de dénitrification qui ont lieu dans le sol. Les bactéries impliquées dans ces réactions sont également présentes dans les déjections animales, ce qui conduit aussi à des émissions de N2O lors du stockage et de l'épandage des fumiers et lisiers. Ces étapes sont également accompagnées d'émission de CH4 et d'ammoniac (NH3). Des solutions existent pour réduire ces émissions : acidification des lisiers, biométhanisation, couverture des stockages de fumier, ajout de biochar (structure poreuse piégeant les gaz), etc. Ces différentes stratégies, plus ou moins lourdes à mettre en place, peuvent être combinées en fonction de la situation des élevages. Dans tous les cas, les excès d'apports azotés dans la ration ou sur les terres favorisent les émissions de N2O. L'optimisation du pâturage associée à une augmentation de l'utilisation des légumineuses constitue une autre piste vers la diminution des GES. Une grande partie du potentiel de cette réduction peut être obtenue sans réduire la rentabilité des élevages, voire en l'améliorant, notamment grâce aux économies liées à la diminution des intrants et à l'augmentation de l'efficacité alimentaire. Un bénéfice potentiel existe aussi en matière d'énergie. Le fait de favoriser le pâturage mis à part, pour consommer moins de carburant, les axes d'économie d'énergie n'ont rien de spécifique à l'élevage laitier (lampes basse consommation et équipements économes, heures creuses, système de suivi de consommation…). Par contre, le potentiel de production d'énergie renouvelable est beaucoup plus intéressant avec la valorisation de la digestion anaérobie. La production de biogaz et de chaleur, transformable en électricité, peut se substituer aux énergies fossiles. Selon la situation de l'élevage, l'éolien et le solaire peuvent s'y ajouter. La transition écologique des élevages laitiers avance par l'action personnelle de certains éleveurs motivés. Mais pour un changement rapide et efficace, le soutien technique et financier des différents acteurs est indispensable : organismes de recherche, pouvoirs publics, partenaires économiques de la filière incluant les consommateurs. Différents programmes favorisant le transition écologique ont été lancés ; ils sont décrits à la fin de la thèse.

Stockage du C et gestion des sols

Le stock de C dépend des flux entrant, des biotransformations, des durées de stabilisation et des flux sortants qui quittent le sol - essentiellement sous forme de CO2, produit de respiration des organismes décomposeurs. Le sol présente un gradient décroissant de concentration en C depuis la surface jusqu'à un mètre de profondeur. Les 30 cm sous la surface contribuent pour 75 % au stockage. La capacité de stockage de C est liée à l'occupation des sols, l'intensité de leur utilisation et aux amendements. Dans les zones de culture, les rotations prairie-culture sont particulièrement efficaces pour augmenter le stockage de C. L'implantation d'une prairie sur une parcelle cultivée permet une augmentation des stocks de C d'environ 40 % sur 20 ans dans la couche de 0 à 30 cm, grâce à l'apport continue de la végétation et à l'arrêt du labour. La transition inverse se traduit par une perte de 30 à 80 % du stock de C initial. Un chargement excessif et une surexploitation des pâtures pénalisent le stockage de C, alors que le pâturage tournant semble lui être bénéfique, tout comme une supplémentation en C exogène par l'utilisation des fumiers, lisiers et boues d'épuration. Les engrais organiques sont préférables pour la fertilisation. Tout excès d'apport en P et en N pénalise le stockage de C et augmente les émissions de GES. L'implantation de haies et de bandes enherbées en périphérie des parcelles cultivées permet, à surface équivalente, un stockage additionnel comparable à celui des prairies.

La clé : contrôler des émissions de NH3

L'ammoniac joue un rôle important dans la production de particules fines qui, inhalées en grande quantité, favorisent les accidents cardiopulmonaires et le développement de cancer du poumon. Par ailleurs il participe à l'eutrophisation des eaux, par apport de matière azotée. L'agriculture produit 94 % des émissions de NH3, dont la moitié en lien avec l'élevage bovin. Ces derniers consomment moins de 30% de l'azote contenu dans leur ration. Le reste est éliminé dans les déjections. La gestion de ces déjections est un point clé, qui génère 80 % des émissions de NH3. Différentes stratégies d'amélioration sont proposées : compostage en andains plutôt qu'en silo, épandage en bande, par incorporation ou injection plutôt qu'en surface, compression et couverture du compost, lombricompostage, séparation mécanique des fractions liquide et solide du lisier, utilisation d'additifs (acidification, biochar, additifs microbiens…).  Comme pour les GES, les émissions de NH3 seront d'autant plus faibles que la conduite du troupeau sera pertinente et les performances zootechniques optimisées.

Le respect des recommandations basiques reste un excellent levier

Fournir une ration équilibrée, maintenir les animaux en bonne santé, leur permettre d'exprimer leur potentiel zootechnique (production, vêlages précoces, fertilité, allongement de la durée de vie productive) sont autant d'éléments qui permettent de diminuer l'impact environnemental par kg de lait produit. Des études évaluent la surproduction des GES en cas de mammites, de cétoses subclinique, de lésions podales… Éviter les excès d'apport en N et en P diminue ces émissions, améliore la qualité de l'air et de l'eau, et favorise le stockage de carbone… Le respect des bonnes pratiques de fertilisation (apports fractionnés, quantités maximum respectées, temps d'exclusion des animaux…) et la gestion des effluents permettent aussi de jouer sur tous ces domaines.

Effet globalement positif sur la biodiversité

Les études comparant l'abandon ou l'absence de pâturage avec la restauration ou la poursuite du pâturage concluent généralement à un effet positifs sur la biodiversité. Les rares cas concluant à un effet négatif correspondent à des situations d'exploitation intensive des animaux et des terrains. Une étude de 2018 portant sur plus de 8 300 élevages bovins laitiers français a montré qu'un élevage entretenait en moyenne 1,4 ha de biodiversité par hectare de SAU. D'une étude à l'autre, le système d'élevage, conventionnel ou biologique, n'est pas toujours déterminant pour favoriser la biodiversité. Par contre l'effet négatif des fertilisations azotées excessives et des forts chargements apparaît clairement. À l'inverse, l'épandage de fumier sur les cultures, le maintien de haies et de zones boisées, la gestion des bordures de culture et une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires favorisent la biodiversité. Des périodes de pâturages sont également plus bénéfiques que la fauche exclusive.

Place du vétérinaire rural, non limitée au bon usage des médicaments

La lutte contre les résistances (antimicrobiennes et parasitaires) et la limitation de l'impact environnemental des médicaments en élevage est évidemment du ressort des vétérinaires. Mais leur rôle en matière de prévention sanitaire et d'optimisation des résultats zootechniques est un facteur capital dans la transition écologique des élevages laitiers. Une meilleure efficacité dans ce domaine passe sans doute par une plus forte implication en médecine des populations et une meilleure communication pour promouvoir l'offre de services en termes de gestion de la santé et de suivi du troupeau. Quelques vétérinaires sont déjà impliqués dans le développement de l'agroécologie et ce mouvement mérite d'être développé. L'auteur de la thèse constate : « afin de permettre au vétérinaire de conseiller efficacement les éleveurs sur la transition agroécologique de leurs systèmes, une formation complémentaire semble nécessaire notamment en agronomie et production fourragère, gestion de la biodiversité et valorisation des effluents ».

Vision globale contre fausses bonnes idées

L'ajout de lipides dans la ration est un bon exemple. Les oléagineux permettent effectivement une diminution d'environ 12 % de la production de CH4 entérique, mais leur culture génère des GES en quantité supérieure à la diminution d'émission obtenue chez la vache. De même, l'apport en P et N favorise le stockage du C en stimulant la croissance végétale, mais un excès stimulera la minéralisation de la matière organique et finalement réduira le stockage de C, tout en polluant les eaux par eutrophisation. Les éléments rassemblés dans ce travail de thèse montrent que la transition écologique des élevages bovins laitiers est amorcée. Les données scientifiques apportent de solides atouts à cette transformation, mais un changement de paradigme des protagonistes est également nécessaire : avoir une approche systémique devant la complexité des phénomènes, rechercher l'équilibre plutôt que la rentabilité maximum à tout prix, accompagner la nature (terre et animaux) dans ce qu'elle peut offrir plutôt que l'exploiter par la contrainte… Et une expertise à construire ou développer pour les vétérinaires qui s'en donnent la peine.