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24 mai 2023

Radiations d'établissements vétérinaires : le rapporteur public donne raison à l'Ordre devant le Conseil d'État, en partie

par Agnès Faessel

Temps de lecture  6 min

La décision du Conseil d'État pourrait éclaircir le ciel du monde vétérinaire, assombri par l'attente du jugement de la conformité ou non des statuts de près de 80 établissements vétérinaires (cliché Pixabay).
La décision du Conseil d'État pourrait éclaircir le ciel du monde vétérinaire, assombri par l'attente du jugement de la conformité ou non des statuts de près de 80 établissements vétérinaires (cliché Pixabay).
 

La décision du Conseil d'État est désormais imminente : le 10 mai dernier, le rapporteur public a présenté ses conclusions sur les premières affaires de radiations ordinales d'établissements vétérinaires acquis par des groupes d'investissements. Ces conclusions confortent en majorité l'analyse de l'Ordre, préconisant ainsi de confirmer les décisions de radiation qui en découlent, selon une dépêche Agra Presse du 11 mai.

5 des 80 requêtes en cours

Le Conseil d'État est la plus haute autorité administrative française. C'est donc à lui qu'ont été adressés les recours suite à la radiation ordinale de ces établissements : radiations prononcées par les Conseils régionaux de l'Ordre, et validées ensuite par le Conseil national de l'Ordre.

Environ 80 requêtes sont ainsi sur le bureau du Conseil d'État. Mais les conclusions du rapporteur public ne concernaient que les 5 premières.

Ces radiations ont été prononcées sur plusieurs motifs, liés au non-respect, selon l'Ordre, des dispositions de l'article L.241-17 du code rural sur l'actionnariat des sociétés d'exercice vétérinaire (voir LeFil du 26 août 2021). Le rapporteur public ne valide pas tous les arguments avancés.

Oui à la perte de contrôle effectif

La réglementation impose que la majorité du capital et des droits de vote des sociétés vétérinaires soit détenue par les vétérinaires en exercice au sein de cette société : 50,01 % au minimum, les 49,99 % restants pouvant ainsi être détenus par le groupe. Le rapporteur public rejoint ici l'avis de l'Ordre sur le fait que cette disposition n'est satisfaite « qu'en apparence et non en réalité ».

En effet, les vétérinaires travaillant dans ces établissements détiennent bien plus de 50 % des parts, mais les montages complexes mis en place lors des rachats font que ces praticiens n'ont plus le « contrôle effectif » de la société. Le rapporteur évoque un « encadrement du pouvoir de décision » : dans un cas par exemple, « les statuts ont été rédigés pour contourner les effets attendus de cet article [L.241-17] » en confiant « l'essentiel des pouvoirs à un conseil de surveillance ».

Le rapporteur estime que ce motif est suffisant pour justifier les radiations, qui concernent ici le CHV Nordvet à Lille (Anicura), la clinique vétérinaire St Roch à La Rochelle qu'il détient, et la clinique Oncovet à Villeneuve d'Ascq (IVC Evidensia).

Oui à l'absence d'actionnaires en exercice

Dans un autre cas, le motif de la radiation est que les dirigeants, certes vétérinaires, ne sont pas en exercice dans la société. Il s'agit ici d'Univétis, qui appartient au groupe Mon Véto, lui-même détenu exclusivement par des vétérinaires. L'Ordre considère que ces derniers n'exercent pas dans cette société (c'est-à-dire qu'ils n'y pratiquent pas eux-mêmes d'actes de soins ou de chirurgie vétérinaires). Le rapporteur valide cet argument, et recommande au Conseil d'État de confirmer la radiation.

En revanche, il ne valide pas les sanctions disciplinaires adressées en outre aux associés et à Mon Véto, en particulier la suspension temporaire du droit d'exercer que l'Ordre a prononcé à l'encontre des associés. Il demande leur annulation.

Non au risque de conflit d'intérêt

Pour éviter les risques de conflit d'intérêt, l'article L.241-17 interdit par ailleurs certaines catégories d'actionnaires au capital des société d'exercice vétérinaire : leurs fournisseurs (de produits, médicaments ou services : les laboratoires pharmaceutiques ou d'analyses, par exemple), comme leurs clients (éleveurs, groupements de producteurs, industriels du domaine alimentaire…).

Selon l'Ordre des vétérinaires, les liens entre des réseaux comme Anicura ou IVC Evidensia et les industriels de l'agroalimentaire que sont Mars et Nestlé, respectivement, n'autorisent pas ces groupes à posséder des parts (même ultra minoritaires) dans des établissements vétérinaires.

Le rapporteur public n'approuve pas cet argument, ni donc ce motif de radiation. Il considère que les activités vétérinaires et celles d'alimentation animale s'opèrent dans des entités suffisamment distinctes au sein de ces entreprises. Dans le cas contraire, IVC Evidensia et Anicura se verraient empêchés d'entrer au capital de sociétés vétérinaires.

Affaires à suivre

La prochaine étape est la décision du Conseil d'État, libre de suivre – ou non – les préconisations du rapporteur. Elle est attendue dans un délai d'environ un mois, soit d'ici la mi-juin.

Ensuite bien sûr, suivront les décisions relatives aux 75 autres affaires… qui devraient prendre la même direction si les motifs sont identiques.

Ces décisions sont d'autant plus attendues que les premières radiations datent de 2020. Dans l'attente, elles n'ont pas entraîné la fermeture des établissements concernés. Mais la situation est évidemment inconfortable pour tous.

Plus d'un millier de cliniques ont rejoint un groupe

Car les groupes et réseaux ont rapidement pris une grande place dans le paysage vétérinaire français. À ce jour, plus de 1000 cabinets, cliniques ou hôpitaux ont été vendus à l'un d'entre eux. Il est estimé que près de 20 % des vétérinaires y exercent. Leur existence répond incontestablement à une certaine demande des praticiens.

Plusieurs réseaux (Anicura, Argos, IVC Evidensia, Mon Véto) se sont rassemblés dans un syndicat, le Syngev (syndicat des groupes d'exercice vétérinaire), chargé de les représenter et de défendre leurs intérêts. Dans ce cadre, le Syngev a confié une enquête au cabinet Asterès pour évaluer les motivations des vétérinaires à vendre leur établissement et les effets qu'ils en ressentent.

Le rapport de cette étude, menée auprès de 329 vétérinaires travaillant dans l'un des groupes membres de ce syndicat, a été publié (en libre accès) le 28 avril.

Des investissements, des services, de la formation…

Selon les constats de ce rapport, les deux principales motivations des cédants sont de « trouver un repreneur ou préparer la retraite » et de « bénéficier de l'appui du groupe pour développer la structure ». De fait, des investissements, pour améliorer les locaux et/ou leur équipement (achat d'appareils médicaux par exemple), seraient réalisés dans 2 cliniques sur 3 suite au rachat, avec à la clé une amélioration de la qualité des soins et un gain de temps pour les équipes.

Les groupes délestent également les associés des tâches administratives et financières, ainsi que des fonctions RH (gestion du personnel, recrutement) ; ils permettent de partager les gardes et les compétences techniques (au travers de l'accès à un réseau de spécialistes). Asterès rappelle que le regroupement de ces fonctions support n'est pas propre aux groupes, mais que l'avantage est de les rassembler dans une « offre ‘tout-en-un' ».

La formation est un autre avantage identifié : la fréquence annuelle moyenne des formations a augmenté de 1,1 à 1,3, soit +19 % (dans les cliniques acquises avant 2022, bénéficiant d'un recul suffisant).

… mais autant de stress

En revanche, la tranquillité d'esprit ne semble pas (encore) au rendez-vous. Si le temps de travail est un peu diminué après le rachat (avec 42,1 heures de travail hebdomadaire versus 43,4 auparavant), le niveau de stress ne diminue que pour 31 % des répondants. Ils sont 46 % à n'avoir perçu aucun changement relatif à leur niveau de stress, et même 23 % à déclarer connaître une hausse.

Il reste à espérer que la décision du Conseil d'État favorise l'assainissement de la situation, bénéfique à l'ensemble de la profession.