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Elanco & Proplan

24 juin 2015

Dirofilaria repens prend le chemin du Nord de l'Europe

par Vincent Dedet

Dirofilara repens adulte dans le tissu conjonctif, chez un chien (source : www.annals-parasitology.eu/go.live.php/download_default/D598/2014-60-1_31.pdf)

Un cas humain autochtone de dirofilariose à D. repens vient d’être rapporté dans la région de Marseille. De tels cas sont régulièrement décrits. Ils reflètent l’endémicité du parasite sur le pourtour méditerranéen. Toutefois, D. repens est en train de gagner le Nord de l’Europe, avec des cas humains - et canins - autochtones décrits en Autriche, Allemagne, et même en Pologne…

 
Dirofilara repens adulte dans le tissu conjonctif, chez un chien (source : www.annals-parasitology.eu/go.live.php/download_default/D598/2014-60-1_31.pdf)
 

Un cas clinique, publié le 18 juin dans une revue de dermatologie humaine, présente une femme de 38 ans, résidant à proximité de l’étang de Berre (Bouches du Rhône). Elle a été référée au service de dermatologie de l’hôpital Nord de Marseille pour la présence de nodules sous-cutanés, migrant depuis 5 semaines, sur sa cuisse gauche. Ils apparaissaient, se développaient et disparaissaient spontanément, laissant une hyperpigmentation à leur emplacement initial. Cette patiente présentaient une hyper-éosinophilie franche, et était séronégative vis-à-vis de l’ensemble des pathogènes explorés, y compris Strongyloides. Un scanner a révélé la présence de « micronodules pulmonaires sur le lobe inférieur droit ».

Biopsie de nodule

Sans hypothèse diagnostique franche, les dermatologues ont prescrit une biopsie. « Pendant la réalisation de la biopsie, un nématode a été découvert », dont il s’est avéré qu’il s’agissait de Dirofilaria repens. Une prise de sang a confirmé la présence de microfilaires dans le sang de la patiente. Un premier traitement, combinant ivermectine et albendazole, a été suivi de l’apparition d’un autre nodule, sur la cuisse droite. Un traitement avec un microfilaricide a mis fin à l’épisode. Une autre patiente, de 48 ans en 2012, avait également été hospitalisée à l’époque pour l’apparition de nodules sous-cutanés sur la cuisse droite, évoluant depuis 4 semaines. De la même façon, le diagnostic de dirofilariose a été établi sur le nodule, cette fois par histologie. En revanche, le typage moléculaire était ambigu, ne permettant pas aux auteurs de trancher totalement entre D. immitis et D. repens.

Cas autochtones

Cette patiente n’avait jamais voyagé hors de France, et vivait à Martigues (à proximité de Marseille), avec des chiens et des chats. La patiente précédente avait voyagé en Tunisie un an avant l’apparition des nodules. Toutefois, contactés, les auteurs du cas clinique indiquent qu’il s’agit d’un cas autochtone. En 2012, deux autres cas autochtones avaient été signalés à Nice. Leurs nodules avaient initialement été pris pour des tumeurs, sur le scrotum… Ces cas viennent rappeler que le bassin méditerranéen est une zone d’endémie pour ce parasite -  « en particulier le Sud de la France et l’Italie ». Au point que le premier cas humain a été décrit en 1566 sur un enfant de 3 ans du Sud de la France. Mais aujourd’hui, D. repens s’étend vers le Nord.

Un petit pois

En Pologne, le premier cas humain autochtone a été identifié en 2007. Le parasite est identifié chez des chiens provenant de toutes les régions, avec une prévalence globale de 11 %, signant qu'il est bien installé dans le pays (www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25286663). En Autriche, le premier cas humain autochtone a été détecté en 2008 (http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs00508-008-1031-4), tandis que la présence des microfilaires chez les moustiques est également avérée, indiquant une circulation active du parasite (www.parasitesandvectors.com/content/7/1/226#B7). En Allemagne, le premier cas autochtone remonte à à peine plus d’un an. Un trentenaire avait été présenté à un service de chirurgie faciale fin février 2014, pour l’ablation d’un nodule cutané en région temporale, de la taille d'un petit pois… qui contenait une D. repens adulte.

Pêche à la ligne

Ce sujet n’avait pas voyagé hors du Land de Saxe-Anhalt au cours des 5 années précédentes, hormis un voyage d’une journée en Pologne en décembre 2013 (inactivité vectorielle) et un autre de quelques jours en république Tchèque au cours de l’hiver 2012. Il possédait un chien et des chevaux, mais une prise de sang sur le premier n’a pas identifié de microfilaires. Le sujet était un pêcheur chevronné, et avait été largement piqué par des moustiques au cours de l’été et de l’automne, soit à l’occasion de son hobby, soit en relation avec les crues de l’Elbe, qui ont été abondantes à ces périodes. Des moustiques piégés à proximité de sa résidence ont été trouvés infectés par D. repens. Et la transmission de D. repens du moustique au chien est avérée dans le Land de Brandebourg (voisin de la Saxe-Anhalt), depuis 2013. La transmission du parasite est considérée comme « stable », donc active, dans le Sud-Ouest de l’Allemagne - à proximité de la Suisse et de l’Alsace, mais aussi plus récemment au Centre du pays, à Leipzig (http://tpk.schattauer.de/en/contents/archive/issue/2228/manuscript/24356.html).

L’Homme, sentinelle

D. repens est une filaire qui a les carnivores – dont le chien et le chat — comme hôte définitif. Les microfilaires sont transmises par la piqûre de moustique infecté (Culicidé). Au sein de l’hôte définitif, les microfilaires deviennent fertiles et s’y développent. Les humains sont considérés comme un cul de sac épidémiologique (les filaires adultes sont sensées être stériles), mais aussi une sentinelle. L’apparition de nodules cutanés peut se produire sur une période estimée entre 4 et 8 mois après l’infection.

Nodule sur le flanc d'un chien (cas italien), qui s'est avéré contenir une femelle adulte de Dirofilaria repens (source : www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3238394/figure/fig5/). 

De l'Italie à la Norvège

Une revue d’une centaine de cas sur des chiens et de 31 cas félins datant de 2011 rappelle que la première description de cas sur un chien provient d'Italie, en 1953. Elle signalait aussi déjà la présence de D. repens chez des chiens en Allemagne, Tchéquie, Hongrie, Autriche, Suisse, France et aux Pays-Bas. Encore plus au Nord, la détection d’un cas sur un chien en Norvège, trois ans après un voyage son dernier voyage au Sud de l’Europe, fait redouter aux auteurs du cas clinique une transmission locale. De fait, les conditions climatiques seraient favorables à l’établissement du cycle dans certaines régions du pays (www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3933376/).