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29 juillet 2021

Retour sur la dysbiose qui a affolé les praticiens canins norvégiens en 2019

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Abondance relative moyenne de Providencia sp. et Clostridium perfringens chez les chiens atteints de diarrhée hémorragique aiguë ou en bonne santé pendant l'épisode norvégien de ces diarrhées (d'après Herstad et coll., 2021).
Abondance relative moyenne de Providencia sp. et Clostridium perfringens chez les chiens atteints de diarrhée hémorragique aiguë ou en bonne santé pendant l'épisode norvégien de ces diarrhées (d'après Herstad et coll., 2021).
 

L'épisode de diarrhées hémorragiques canines qui s'est déroulé en fin d'été 2019 en Norvège s'était clos sur des pistes : la présence d'une bactérie du genre Providencia dans les fèces de certains sujets malades. Presque deux ans plus tard, les épidémiologistes et microbiologistes de la faculté vétérinaire d'Ås et de l'institut vétérinaire national reviennent sur ces résultats, dans un article publié mi-juillet. Prudemment, ils parlent d'abord de déséquilibre de flore (dysbiose) ayant permis à deux types bactéries de prendre le dessus : Providencia et Clostridium. Mais proposent tout de même que « l'abondance de Providencia chez les chiens atteints par rapport aux chiens sains soit une explication plausible du nombre élevé de cas de cet épisode sévère ».

Séquençage du microbiote

La publication rapporte les résultats de l'enquête cas-témoin réalisée pendant l'épisode, qui a inclus :

  • 50 chiens atteints de cette diarrhée hémorragique aiguë (4 mois à 14 ans) et pour lesquels aucune autre cause sous-jacente n'avait pu être identifiée, pendant l'épisode ;
  • 3 chiens atteints de diarrhée non hémorragique sur la même période ;
  • 11 chiens en bonne santé (4 mois à 15 ans), prélevés sur la même période et
  • 78 prélèvements issus de chiens en bonne santé mais datant de 2017 et 2018, réalisés dans le cadre d'un autre projet sur le microbiote canin.

Dans tous les cas, le contenu fécal a été soumis à extraction de l'ADN et séquençage des gènes codant pour l'ARN16S, qui permet de discriminer les genres bactériens (et parfois les espèces). L'hypothèse des auteurs est que les chiens à syndrome de diarrhée hémorragique aiguë présenteraient une dysbiose avec présence en quantité inhabituelle de Providencia car dans le cadre des investigations pendant l'épisode, plusieurs cas avaient donné lieu à l'isolement de P. alcalifaciens, déjà décrite dans deux publication comme associée à des diarrhées sévères.

P. alcalifaciens : y'en a

Le séquençage permet de supposer la présence des différents espèces par des différences dans la séquence du gène de l'ARN16S. Les auteurs ont aussi réalisé le séquençage intégral des 8 souches de P. alcalifaciens obtenues pendant l'épisode. Ils observent que, pour 2 des 50 chiens atteints, certaines des séquences obtenues sont à 100 % homologues à celles des souches de P. alcalifaciens. Mais il y a 8 variants dans cette séquence. Trois sont clairement des P. alcalifaciens, les autres « représentent soit des souches différente, soit des espèces de Providencia différentes ».

… comme Clostridium perfringens

L'analyse de l'ensemble des résultats identifie qu'il y a 790 espèces bactériennes (sans pouvoir toutes les nommer), mais la diversité des espèces présentes dans les selles des chiens malades est significativement plus faible que chez les chiens sains (p<0,001). Mais chez ces chiens, le nombre de Proteobacteria était 4 fois supérieur à celui des chiens sains (p<0,001), tandis qu'ils avaient 20 % de moins de Firmicutes (p=0,017) et 5 fois moins d'Actinobacteria (p<0,001). A l'échelon des familles, il y avait une augmentation des Enterobacteriaceae (p<0,001) et des Clostridiaceae (p=0,03), et une diminution de plusieurs familles (Veillonnellaceae, Ruminoccocaceae…). A l'échelle des genres, il y avait augmentation des Escherichia, des Sutterella, d'Haemophilus mais aussi de Providencia, dont un taxon était « particulièrement prévalent », tout comme… Clostridium perfringens, qui ne figurait pas dans l'hypothèse de départ. Et Providencia était plus faiblement présente chez les chiens en bonne santé prélevés pendant l'épisode (voir l'image principale), et totalement absente de ceux prélevés en 2017 et 2018. Providencia ne fait donc a priori pas partie de la flore digestive normale du chien en bonne santé.

Au bilan, « il y a une dysbiose générale chez les chiens [atteints], avec une surcroissance des Proteobacteria et la déplétion en espèces considérées comme bénéfiques » pour la santé digestive. Quant à savoir si Providencia est la cause de l'épisode, ou si elle est favorisée par la dysbiose, « cela reste inconnu, et n'était pas l'objectif de ce travail ». Pour C. perfringens, les données publiées antérieurement sont plus clairement en faveur d'un rôle de pathogène opportuniste, favorisé à son tour par le déséquilibre du microbiote.