titre_lefil
logo_elanco

7 septembre 2018

Obésité des chiens et chats : « il est temps de prendre la parole », selon deux experts anglo-saxons

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Pour deux spécialistes qui viennent de publier une tribune sur l'obésité, les praticiens devraient prendre la parole sur ce sujet en consultation (cliché : V. Dedet).
Pour deux spécialistes qui viennent de publier une tribune sur l'obésité, les praticiens devraient prendre la parole sur ce sujet en consultation (cliché : V. Dedet).
 

« Nous estimons que les vétérinaires petits animaux ne se conforment pas à leurs obligations éthique et professionnelle de prendre position sur l'obésité, qui est un problème “d'une seule santé” » indiquent, dans une tribune publiée en libre accès, un spécialiste de médecine interne de l'université vétérinaire du Missouri (USA) et un gériatre de la faculté vétérinaire de Liverpool (Grande-Bretagne).

Définir l'obésité

Comme il n'y a pas de définition internationale de l'obésité chez les carnivores domestiques, l'AVMA a publié le 20 juillet dernier une proposition de définition : il s'agit d'un poids dépassant de 30 % au moins le poids idéal de l'animal, ou encore une note d'état général de 8 ou 9 sur l'échelle (en comptant 9) définie par Laflamme en 1997. Pour une note de 6 ou 7, l'animal est en surpoids.

  • Aux USA, une étude de 2015 estimait que 54 % des chiens et 59 % des chats (ces derniers ont très rarement accès à l'extérieur) sont en surpoids ou obèses (soit environ 80 millions d'animaux). Une enquête publiée par une enseigne de cliniques vétérinaires évoque une augmentation de la fréquence de l'obésité sur 10 ans de 158 % chez les chiens et 169 % chez les chats ;
  • Outre-Manche, une étude publiée cette année estime que c'est le cas pour 65 % des chiens adultes et 37 % des jeunes chiens (les chats ont plus souvent accès à l'extérieur) et l'augmentation sur 5 ans est estimée à 37 % chez les chiens et 90 % chez les chats.

Même si ces chiffres recouvrent en partie l'augmentation de la vigilance des praticiens à signaler le surpoids et l'obésité, ces auteurs estiment qu'il est temps de « prendre la parole ».

Manipulés…

Car l'obésité « est une épidémie à la fois chez les humains et les animaux de compagnie », dont les facteurs de risque commencent à être bien appréhendés : la castration en est un, reconnu de longue date. Mais un autre, plus insidieux, est révélé par des études comportementales, résumées en quelques points par les auteurs :

  • « les propriétaires de chiens et chats en surpoids/obèse utilisent l'alimentation comme principal levier de leurs interactions, communication et attachement à l'animal, c'est-à-dire comme véhicule pour exprimer leur affection et leur amour » ;
  • et ils « ont tendance à interpréter toute requête de leur animal comme une demande d'aliment » ;
  • ainsi, « il est tout à fait concevable que les chiens/chats conditionnent ou manipulent leur maître à les suralimenter, en apparaissant dans la cuisine et en vocalisant au moment de la préparation du repas [familial], ou en traînant à proximité de la table pendant qu'il est consommé »

Si le maître succombe, « ces comportements sont renforcés positivement et il devient très difficile de revenir en arrière ».

Déontologie et consentement éclairé

Face à la cohorte de maladies favorisées ou déclenchées par l'obésité, les auteurs soulignent que l'espérance de vie d'un chien obèse est de 2 ans plus courte que celle d'un congénère au poids idéal. Les chiffres sont moins tranchés pour les chats, probablement en lien avec le risque de décès des chats sortant régulièrement (véhicules, prédateurs…). Mais il reste que le maître de chien ou chat en surpoids a des frais de santé plus élevés (voir le tableau ci-dessous). Comme cet état « impacte la durée de vie chez le chien et la qualité de vie chez le chien et le chat et comme un changement d'habitudes alimentaires et de mode de vie peut inverser la donne », la déontologie (protection du bien-être animal, de la santé publique) et l'obligation de recueillir le consentement éclairé des clients sur les décision concernant les soins à leur animal « suggèrent que les praticiens devraient aborder le sujet de l'obésité du chien ou du chat à chaque fois qu'ils y sont confrontés ». Et comme ces auteurs totalisent ensemble « 50 ans de pratique en référés », ils s'estiment capables de constater que c'est rarement le cas.

Évaluation du surcoût en frais de santé pour des chiens et des chats en surpoids et obèses, dans une chaîne de structures vétérinaires aux USA (LeFil, d'après Kipperman et German, 2018).

 

Priorité majeure

Deux freins ont été identifiés dans différentes enquêtes, expliquant la prudence des praticiens : le manque de temps et la crainte de perdre le client qui, souvent, est lui-même en surpoids. Mais les auteurs soulèvent une question « éthique » : « l'allégeance du vétérinaire va-t-elle à l'animal ou à son maître ? » Posée en ces termes à des praticiens, elle trouve pourtant majoritairement comme réponse « l'animal »… Et « prévenir l'obésité est pour les vétérinaires une opportunité de protéger le bien-être animal ». Pour cela, ils rappellent qu'un consensus a été publié en 2017 par la World Small Animal Veterinary Association et les Centres de prévention des maladies (CDC) des USA qui considère que « sa prévention devrait être une priorité majeure des professionnels de santé humaine et vétérinaire » car « les vétérinaires ont un rôle dans l'amélioration de la santé des animaux de compagnie, et par là de celle de leurs maîtres ».

Des pistes

Reste le ‘comment'… Sur lequel les auteurs avancent plusieurs suggestions :

  • enregistrer le poids de l'animal à chaque consultation, et établir un seuil de + 5 % ou – 5 % pour déclencher une discussion sur la prise ou la perte de poids de l'animal, ce qui « est conforme à l'obligation de consentement éclairé du client » ;
  • favoriser la notion de poids idéal dans l'esprit du propriétaire en lui faisant enregistrer mensuellement le poids de son animal pendant la croissance sur une courbe fournie par la structure (ou une visite mensuelle) ;
  • surveiller l'évolution du poids des adultes par une pesée semestrielle, puis trimestrielle chez les ‘séniors', idéalement au domicile (surtout pour les chats), ce qui « permet une détection précoce et une intervention préventive » ;
  • si le maître engage son animal dans un programme de perte de poids, « une pesée au moins mensuelle » est à prévoir, « avec renforcement positif en cas de perte de poids avérée » et une promotion de l'activité physique conjointe ;
  • sur le manque de temps, réserver des créneaux de consultation plus longs (et plus chers), en expliquant au propriétaire que l'engagement dans un programme de perte de poids de l'animal lui sera économiquement bénéfique par de moindres frais de santé liés aux conséquences de l'obésité, et affectivement par l'augmentation de l'espérance de vie de son chien…