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30 avril 2024

Santé psychologique des ASV : le petit nombre d'études publiées fournit un bilan mitigé mais plutôt rassurant

par Agnès Faessel

Temps de lecture  5 min

Le risque de détresse psychologique est potentiellement plus élevé chez les ASV que chez les vétérinaires, en lien avec l'absence de pouvoir de décision sur les soins à apporter (cliché Pixabay).
Le risque de détresse psychologique est potentiellement plus élevé chez les ASV que chez les vétérinaires, en lien avec l'absence de pouvoir de décision sur les soins à apporter (cliché Pixabay).
 

La santé au travail des vétérinaires fait l'objet de recherches récentes, dans de multiples pays, avec généralement un constat alarmant sur les difficultés rencontrées par les praticiens, leurs conséquences psychologiques et le risque particulièrement élevé de burn-out et d'idéations suicidaires. En France notamment, une étude longitudinale est en cours, pilotée par l'Ordre des vétérinaires et l'association Vétos-Entraide ; les résultats de la 2e phase ont été présentés il y a quelques semaines à peine (voir LeFil du 4 avril dernier).

Beaucoup moins de travaux d'études s'intéressent pour le moment aux ASV (et autres « infirmiers » ou nurses selon les pays). C'est le premier constat des résultats d'une revue de la littérature sur le sujet, réalisée par une équipe britannique (dont des universitaires du Royal Veterinary College de Hatfield). Ces résultats sont publiés en libre accès dans le Veterinary Record.

13 publications scientifiques retenues

Les auteurs ont recherché les études publiées à propos de la santé au travail des ASV et des étudiants ASV, rappelant que leur rôle est « vital au sein des équipes vétérinaires ». Leur objectif était d'évaluer les données disponibles à propos des deux questions suivantes :

  1. Quelle est la prévalence des troubles de santé psychologique chez les ASV et les étudiants ASV ?
  2. Quels types de troubles présentent-ils ?

Ces troubles sont pris ici au sens large, et sans se limiter aux maladies diagnostiquées médicalement.

La sélection a porté sur les articles publiés dans des revues scientifiques (en langue anglaise, sans limite de date), afin de cibler les résultats de travaux de recherches empiriques. D'autres sources, comme des rapports ou conférences, ou même des thèses, n'ont pas été conservées, quelle que soit leur qualité, car il s'agissait le plus souvent de travaux bibliographiques.

En France, une enquête observationnelle sur la qualité de vie au travail des ASV a fait l'objet d'une thèse vétérinaire toute récente réalisée avec le soutien du SNVEL. Ses résultats ne sont donc pas inclus ici. Les réponses des 1090 participants ont plutôt montré, selon l'auteur de cette thèse, un bien-être relativement correct dans la profession en France, avec toutefois des manquements quant à la gestion de la qualité de vie au travail (en particulier un manque de reconnaissance, notamment au travers de la rémunération, ou des défauts de communication). Ce travail ne ciblait pas spécifiquement la santé au travail, mais a recherché les paramètres influant sur la qualité de vie au travail des ASV, dans l'objectif de déterminer les leviers de progrès, afin de limiter le turn-over et le taux de reconversion précoce qui les touchent ; des problématiques associées mais distinctes de la revue britannique.

Finalement, seules 13 publications ont été retenues dans cette revue, ce qui confirme le faible nombre d'études relatives à la santé psychologique des ASV actuellement disponibles. Mais 8 d'entre-elles sont récentes (publiées entre 2020 et 2023) ce qui illustre l'intérêt croissant pour le sujet. La plupart des enquêtes portaient sur un nombre restreint de répondants (moins de 100 dans 6 cas).

Une bonne santé mentale plutôt maintenue

Malgré ces limites, les résultats sont instructifs. Les auteurs ont analysé les données relatives à 5 catégories : bien-être et santé mentale, burn-out, stress, fatigue compassionnelle, détresse psychologique. Ils ont écarté les domaines relatifs à la santé physique, l'insatisfaction au travail, la désillusion (qui peuvent néanmoins amener à des troubles psychiques).

En termes de bien-être et de santé mentale, abordés dans 4 études, les résultats montrent globalement leur préservation.

Parmi les problématiques relevées figure le harcèlement, qui altère la confiance en soi, le plaisir à travailler. Devoir faire face au décès des animaux et au deuil de leur propriétaire a également un impact psychologique sur les ASV (source de stress important). Inversement toutefois, l'accompagnement des clients dans les moments difficiles représente une source de satisfaction dans le travail (le sentiment d'être utile) et augmente la résilience.

Risque modéré de burn-out

Huit études se sont intéressées au burn-out, dont la définition peut toutefois varier, ce qui limite les comparaisons. Le risque apparaît plutôt modéré dans la plupart d'entre elles, potentiellement plus élevé que dans la population générale (comme beaucoup de professions de santé), mais moins ou pas différent de celui des vétérinaires.

Des cas de stress traumatique

Dans les 5 études ayant examiné le niveau de stress des ASV, celui-ci peut se révéler élevé, mais là encore, ce qui est englobé dans cette notion est varié, subjectif ou peu détaillé.

Le stress traumatique, secondaire à une incivilité voire une agression par exemple, touche les ASV, avec un risque évalué comme modéré, et sans différence significative avec les vétérinaires lorsqu'il est évalué aussi.

Épuisement compassionnel : risque non préoccupant

La fatigue compassionnelle (ou épuisement compassionnel) est liée au contact récurrent avec des personnes en souffrance ; c'est le coût de la compassion, qui se manifeste sous diverses formes comme des troubles du sommeil, de l'irritabilité, du désespoir, un sentiment d'impuissance…

À nouveau, les ASV semble présenter un risque mais modéré d'être touchés. Aucune étude ne permet de relever un niveau préoccupant, d'après les auteurs.

Une détresse psychologique plus fréquente que les vétérinaires

Enfin, la détresse psychologique est un trouble habituellement répandu au sein des professionnels de santé. Elle correspond à un état émotionnel négatif dans laquelle la personne a le sentiment de ne plus pouvoir faire face à ses difficultés, et résulte d'une exposition prolongée à un stresseur ou à l'accumulation de stresseurs. Elle peut être favorisée ici par le conflit entre le devoir de satisfaire les souhaits des propriétaires et celui d'agir dans l'intérêt de l'animal.

Le risque apparaît modéré chez les ASV, mais potentiellement supérieur à celui des vétérinaires, ce qui se retrouve également en médecine humaine, où le risque de détresse psychologique est intensifié chez les infirmiers du fait de leur faible implication dans la prise de décision (qui revient au médecin).

Au final, cette revue pointe le manque de données robustes sur l'évaluation de la santé psychologique des ASV. Les quelques études publiées sont limitées par l'effectif interrogé (nombre, pays, domaine d'activité), le contexte (interférence possible avec la crise Covid) et le protocole suivi (questions ouvertes, définitions variables des items, absence de mesure de la significativité des différences observées…), ce qui freine l'interprétation et la généralisation des résultats. Le stress, par exemple, est un concept ambigu, qui peut même être associé à des effets positifs sur la motivation des équipes. Les auteurs regrettent également l'absence d'évaluation de l'anxiété et la dépression, qui sont des troubles psychologiques parmi les plus communs. Les perspectives d'études à venir sont donc considérables.