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14 août 2018

Bovins accidentés. Les praticiens français épinglés par Bruxelles, les certificats vétérinaires s'améliorent

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Apte ou inapte au transport ? Le cas des plaies opératoires
La réglementation européenne interdit l'abattage d'urgence — et donc le transport — d'un animal accidenté depuis plus de 48 heures. Mais elle exige aussi les plaies opératoires soit « complètement cicatrisées ». Source : page 32 du guide d'évaluation de l'aptitude au transport des gros bovins.
Apte ou inapte au transport ? Le cas des plaies opératoires
La réglementation européenne interdit l'abattage d'urgence — et donc le transport — d'un animal accidenté depuis plus de 48 heures. Mais elle exige aussi les plaies opératoires soit « complètement cicatrisées ». Source : page 32 du guide d'évaluation de l'aptitude au transport des gros bovins.
 

« Non-conformité majeure récurrente » de la France sur le bien-être animal. C'est en ces termes que les missions d'inspections de la Commission européenne ont épinglé la France à deux reprises, en 2007 et 2015, sur le transport de bovins accidentés inaptes au transport à la lecture du certificat vétérinaire d'information (CVI) qui les accompagnait.

Que reproche Bruxelles à la France et, in fine, au praticien français ? De faire voyager des bovins « inaptes au transport », même pour un abattage d'urgence sous couvert d'un certificat vétérinaire d'information (CVI). Car, selon la réglementation européenne, seuls des animaux « légèrement blessés » sont aptes au transport, en prenant des précautions pour que « ce transport n'occasionne pas de souffrances supplémentaires ».

Il est vrai que les anciens certificats vétérinaires d'information (CVI) n'étaient pas du tout explicites sur l'aptitude au transport des animaux dits « accidentés » au regard du bien-être animal et sur l'éligibilité des carcasses pour la consommation humaine, deux notions distinctes qui s'entrecroisent ici (voir le tableau ci-dessous). C'est donc sans doute par défaut d'information, ou par ignorance de la réglementation sur le transport des animaux, que les praticiens ont pu envoyer en abattage d'urgence des animaux inaptes au transport.

Deux nouveaux CVI, « animal vivant » et « carcasse »

Pressé de prendre des mesures correctives, le ministère de l'agriculture a mis en place de nouveaux CVI bien plus explicites sur l'aptitude au transport de l'animal accidenté. Des guides d'évaluation sont aussi disponibles sur son site (voir ce lien) avec de nombreuses photographies illustrant assez bien les cas où les animaux sont aptes ou inaptes au transport. Le transport d'un animal vivant accidenté sous CVI n'est possible que pour un bovin, un équin, un porcin ou un grand ongulé (gibier d'élevage). Il est interdit pour les ovins ou les caprins accidentés. Le CVI « animal vivant accidenté » est maintenant différent du CVI « carcasse » qui accompagne la carcasse d'un animal abattu à la ferme. Le CVI « animal vivant » ne vaut pas inspection ante-morten, contrairement au CVI « carcasse ».

Critères d'aptitude ou d'inaptitude au transport d'un animal accidenté

L'abattoir destinataire d'un animal accidenté ou d'une carcasse doit avoir donné son accord préalable à la réception d'un animal accidenté vivant ou d'une carcasse d'un animal abattu d'urgence à la ferme. Tableau LeFil.

 

Un animal légèrement blessé est transportable

« Un animal blessé, présentant des faiblesses physiologiques ou un état pathologique est considéré comme inapte au transport » édicte le règlement européen 1/2005. « Toutefois, un animal légèrement blessé peut être apte au transport si le transport n'occasionne pas de souffrances supplémentaires ».

En outre, l'abattage doit être réalisé dans les 48 heures suivant l'accident, la blessure, le traumatisme ou l'opération chirurgicale. L'abattoir doit donc être prévenu et avoir donné son accord préalable à l'arrivée de l'animal accidenté. Le délai d'attente d'éventuels traitements devrait être compatible avec l'abattage de l'animal.

Vérifier que les temps d'attente sont écoulés

Sur le CVI, deux mentions sur les temps d'attente sont prévues.

  • D'abord, l'éleveur atteste (en complément de l'ICA) que « suite à l'accident », l'animal n'a pas été traité par un médicament vétérinaire dont le temps d'attente serait incompatible avec l'abattage.
  • Puis, le vétérinaire atteste que, selon le registre d'élevage, le bovin n'a pas été traité par des médicaments dont le temps d'attente n'est pas écoulé au moment de l'abattage, y compris lorsque le temps d'attente est long, fréquemment supérieur à un mois, voire trois mois, pour des antiparasitaires ou certains antibiotiques.

Toutefois, l'article R. 234-3 (point III) du code rural, permet l'abattage d'urgence d'un animal traité avant la fin du temps d'attente « pour des raisons de santé publique ou de protection de la santé animale » (voir ce lien). Dans ce cas, selon l'article R. 234-3 (III), l'éleveur en informe l'abattoir (le vétérinaire officiel) par une mention portée sur le certificat vétérinaire d'information (CVI). Le nouveau modèle de CVI ne prévoit pas cette mention. Il est sans doute possible de faire un rajout manuscrit dans de tels cas. Après l'abattage de ces animaux, l'article R. 234-3 (III) prévoit que la carcasse et les abats sont consignés dans l'attente des résultats d'un contrôle de résidus. Si la LMR est dépassée, les denrées sont déclarées impropres à la consommation humaine.

Un animal malade ne peut pas être abattu

En outre, si l'animal accidenté n'est pas éligible à la consommation humaine, il ne peut pas être transporté vers un abattoir comme dans les exemples ci-dessous.

  • L'animal est malade, avec une altération de l'état général, comme un amaigrissement, un abattement, une fièvre ou une hypothermie… L'animal peut être transporté si l'affection est localisée en l'absence d'atteinte de l'état général et de risque de souffrance supplémentaires liés au transport. Ainsi, la décision de réformer un animal atteint d'une affection chronique incurable devrait aussi prendre en compte ce critère.
  • L'animal est en état de misère physiologique, à la fois maigre et amyotrophié.
  • L'animal est accidenté depuis plus de 48 heures.

Huit cas où le transport est exclu

Le guide d'évaluation de l'aptitude au transport illustre de photographies huit situations finalement assez fréquentes d'animaux inaptes transport sans discussion possible.

  1. Lorsque le déplacement est impossible ou trop difficile. Sont ainsi exclus les animaux en décubitus ou ceux debout qui risquent de perdre leur équilibre et de tomber dans le camion, ainsi que les animaux qui ne se déplacent que sur trois membres. Les cas de boiteries plus légères, avec un appui sur les quatre membres, peuvent être considérés comme aptes au transport.
  2. Les plaies ouvertes graves, qu'ils s'agissent de blessures graves ou de plaies chirurgicales rouvertes.
  3. Les prolapsus du rectum ou du vagin, voire de l'utérus. Ces organes peuvent être davantage lésés par le transport avec un risque de saignement et de dégradation de l'état général. Le risque de souffrances supplémentaires pendant le transport est élevé. Des boucles sur la vulve sont envisageables seulement si la vache est un bon état général et est transportée plus d'une semaine après la mise-bas.
  4. Les hémorragies graves. La perte de sang peut conduire à la mort de l'animal durant le transport.
  5. Les météorisations et les gonflements très importants du ventre.
  6. Les femelles en fin de gestation, (> 90 % de gestation) ou ayant mise-bas depuis moins d'une semaine.
  7. Si le placenta est visible. Un placenta visible signe une mise-bas ou un avortement récent incompatible avec le transport. Les risques de complications sur l'état général de l'animal sont aussi jugés trop élevés.
  8. Les cas de misère physiologique, lorsqu'il n'y a plus que « la peau sur les os ». Ces animaux sont aussi déclarés impropres à la consommation humaine.

Quatorze cas où cela se discute

Le guide identifie 14 autres situations où la décision nécessite une évaluation plus approfondie.

  1. Le déplacement difficile. Un animal qui garde un membre levé peut-il se déplacer sans aide ? Le principal critère d'aptitude reste l'appui de l'animal sur les quatre membres et sa capacité à se déplacer seul sans assistance. Un animal incapable de marcher au même rythme que les autres animaux devrait être exclu du transport.
  2. Les plaies opératoires. Le règlement européen précise que les plaies opératoires devraient être « complètement cicatrisées » pour que l'animal soit apte au transport. « Une plaie recousue il y a moins de 48 heures n'est pas complètement cicatrisée. L'animal n'est pas transportable » conclut le guide.
  3. Les autres plaies. À l'inverse, des plaies profondes et ouvertes, une plaie superficielle, qui ne saigne pas ou peu, n'exclut pas l'animal du transport.
  4. Les affections cutanées. Une affection de la peau n'empêche pas l'animal d'être transporté, tant que l'état général n'est pas affecté et que les lésions cutanées ne présentent pas un risque accru de blessures.
  5. Un écoulement anormal. Selon les cas et l'état général, l'animal est ou non inapte au transport. Un écoulement abondant de pus de la vulve signe une métrite grave qui devrait exclure l'animal du transport. Alors qu'un banal jetage nasal, sans impact sur l'état général ne l'exclut pas.
  6. Les « grosseurs » et les œdèmes. Comme précédemment, la décision dépend surtout de l'altération de l'état général. S'il s'agit d'un phlegmon, l'animal est exclu du transport. Alors que des masses ou des gonflements même impressionnants, mais sans impact sur l'état général, n'excluent pas l'animal du transport ni de la consommation humaine.
  7. Les diarrhées. Les diarrhées, surtout si elles sont abondantes, sont souvent associées à une dégradation de l'état général et à une déshydratation qui devraient conduire à exclure l'animal du transport.
  8. Les difficultés respiratoires. Les animaux en « détresse respiratoire » sont exclus du transport du fait du risque d'une aggravation soudaine.
  9. Les mammites. Les vaches atteintes de mammites gangréneuses ne peuvent pas être transportées. Pour les autres mammites, cela dépend de la souffrance de la vache et, comme toujours, de son état général.
  10. Les vaches en lactation. Le transport des vaches en lactation peut être envisagé pour un abattage d'urgence dans un abattoir nécessairement de proximité. La réglementation européenne oblige à prévoir une traite toutes les 12 heures pour des transports d'une durée supérieure.
  11. Les comportements anormaux. Des comportements anormaux ou des signes nerveux ne sont pas a priori incompatibles avec le transport des animaux, tout du moins en l'absence d'autres symptômes ou de diagnostic plus précis.
  12. Les animaux dangereux. Le transporteur doit être informé du risque potentiel d'un animal dangereux avant le début du chargement. Il est libre de refuser de charger cet animal.
  13. Les animaux borgnes. Les animaux borgnes ne devraient être transportés qu'avec des animaux qu'ils connaissent pour éviter de les effrayer davantage.
  14. Les animaux aveugles. Le risque de blessure est élevé ce qui les rend inaptes à être transporté. En pratique, il est néanmoins possible de les transporter avec beaucoup de précautions.

« Tout constat de non-conformité doit donner lieu à une suite »

Pour la direction générale de l'alimentation (DGAL), « tout constat de non-conformité doit donner lieu à une suite adaptée et proportionnée », en d'autres termes un avertissement, une mise en demeure ou une sanction. Le transporteur est en première ligne. Car il « est responsable, d'une part, de la vérification de l'aptitude au transport de l'animal accidenté » — il l'atteste en signant le CVI lors du chargement —. Et, d'autre part, « des conditions de transport des animaux qu'il prend en charge ».

En cas de non-conformité, il risque une mise en demeure, puis une suspension ou un retrait de son autorisation ou celle de son chauffeur pour le transport d'animaux vivants. L'élevage d'origine pourrait faire l'objet de contrôles renforcés sur le bien-être animal.

750 euros d'amende, une contravention de 4e classe

Les infractions aux dispositions sur le transport des animaux (accidentés ou non) sont réprimées par des contraventions de 4ème classe (une amende de 750 € par infraction, le double en cas de récidive). Ces contraventions peuvent être adressées contre « toute personne effectuant ou faisant effectuer » un transport non conforme, ce qui inclut les éleveurs, les transporteurs, les vétérinaires ou tout autre donneur d'ordre.

La loi EGAlim en cours d'examen au Parlement prévoit que les infractions commises par les transporteurs deviennent des délits réprimés par, au maximum, un an de prison et/ou une amende de 15 000 € (art. L. 215-11 du code rural). Dans de telles affaires, les associations de protection animale pourront aussi, à l'avenir, se porter partie civile.