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19 juin 2018

Refonte du médicament vétérinaire. Un accord pour que (presque) tout change pour que rien ne change

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

« Il faut que tout change pour que rien ne change »
Comme dans la célèbre réplique du film Le Guépard tiré de l'unique roman de l'écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa paru il y a 60 ans (1958), faudra-t-il que « tout change pour que rien ne change » en matière de médicament vétérinaire. La version finale du projet de règlement européen médicament vétérinaire semble faire consensus. Car elle ne remet pas ou peu en cause les pratiques existantes. Elle donne satisfaction à tous. Pourtant, ce texte abrogera et remplacera la quasi-totalité des législations nationales fin 2021. D'ici là, de nombreux textes devront être pris pour s'y adapter et prendre en droit national les textes d'application qui préserveront les équilibres existants. Tout change et rien ne change.
« Il faut que tout change pour que rien ne change »
Comme dans la célèbre réplique du film Le Guépard tiré de l'unique roman de l'écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa paru il y a 60 ans (1958), faudra-t-il que « tout change pour que rien ne change » en matière de médicament vétérinaire. La version finale du projet de règlement européen médicament vétérinaire semble faire consensus. Car elle ne remet pas ou peu en cause les pratiques existantes. Elle donne satisfaction à tous. Pourtant, ce texte abrogera et remplacera la quasi-totalité des législations nationales fin 2021. D'ici là, de nombreux textes devront être pris pour s'y adapter et prendre en droit national les textes d'application qui préserveront les équilibres existants. Tout change et rien ne change.
 

C'est fait ou presque ! Cela devrait être pour la fin 2021. Dans un peu plus de trois ans, la grande partie de la loi sur la pharmacie vétérinaire, dont les principes datent de 1975, sera abrogée et remplacée par un règlement européen. Un accord a été trouvé le 5 juin 2018 sur ce projet lors de la sixième et dernière réunion de négociations en trilogue entre les représentants du Conseil européen, du Parlement européen et de la Commission européenne.

Cette version finale de ce projet doit désormais être définitivement votée dans les mêmes termes par le Conseil européen des ministres de l'agriculture et le Parlement européen. Ces deux votes formels devraient être programmés probablement d'ici à la fin septembre.

Sauf surprise de dernière minute au cours de ces votes, cet accord devrait permettre de publier ce règlement au Journal officiel de l'Union européenne avant la fin de l'année 2018. Puis, ce règlement s'appliquera dans l'UE sans transposition en droit national trois ans plus tard soit en fin d'année 2021. D'ici trois ans, de nombreux autres textes européens d'application seront pris par la Commission européenne pour le mettre en œuvre, comme la publication d'une liste européenne d'antibiotiques critiques humains interdits chez les animaux.

Tout change et rien ne change

La France comme les autres États membres disposera aussi de trois ans pour adapter son droit national à ces nouvelles dispositions. Cela nécessitera de modifier la loi sur la pharmacie vétérinaire pour l'expurger des dispositions qui doublonnent ou, pire, seraient incompatibles avec le nouveau règlement. Il faudra aussi prendre aussi de nombreux décrets et arrêtés d'application en conformité avec le nouveau texte. Bref tout va changer en trois ans.

Pourtant, cette version est aussi beaucoup « moins révolutionnaire » que prévue. Elle ne bouscule finalement pas vraiment l'organisation de la pharmacie vétérinaire en France, aussi bien en amont (AMM) que dans la distribution en gros ou la prescription-délivrance au détail. Même si ces principes subsistent, dans les détails, la quasi-totalité des dispositions seront modifiées. Et, parfois, « le diable se cache dans les détails ».

Les vétérinaires restent dans le capital des centrales

La grande partie des 285 amendements votés par le Parlement européen en session plénière le 10 mars 2016 à Strasbourg ont été supprimés par le Conseil européen et le trilogue.

En particulier, le Parlement européen souhaitait interdire aux vétérinaires de détenir une participation dans les grossistes (voir LeFil du 11 mars 2016). La disposition est purement supprimée. Le Parlement européen avait défini la « bonne pratique d'élevage » en référence à l'usage « a minima » des médicaments, toutes classes confondues. Ces définitions contestables ont été supprimées.

Des traces résiduelles subsistent de quelques amendements du Parlement dans une version souvent édulcorée et moins politique. Le Parlement européen souhaitait interdire l'antibioprévention. Le trilogue la rend possible en la restreignant à des traitements individuels lors « de périodes à risque très élevé d'infections graves ».

Pour le Parlement européen, une ordonnance ne pouvait être établie qu'après examen clinique. Ce qui n'était pas compatible avec la prescription hors examen clinique en France, comme dans d'autres pays d'Europe. Le compromis permet à un vétérinaire de prescrire « hors examen clinique », mais « après évaluation de l'état de santé du ou des animaux ».

Couplage et découplage restent eurocompatibles

Au final, la version acceptée par le trilogue est celle du Conseil européen dans la quasi-totalité de ces dispositions et non celle du Parlement européen. Elle est souvent beaucoup plus précise et donc plus longue que le texte initial de la Commission. Elle fait désormais 210 pages contre 125 pages pour le projet initial de 2014. L'objectif était pourtant de rendre plus simple la réglementation actuelle sur le médicament vétérinaire. Cet objectif ne sera pas atteint.

Le règlement se garde bien de trancher sur des sujets qui divisent les États membres. Sur 28 États membres, 22 permettent que la délivrance au détail des médicaments soit réalisée par les vétérinaires qui prescrivent. Alors que six pays sur 28 « découplent ». Ils réservent donc la vente au détail aux seuls pharmaciens.

Le nouveau règlement est compatible avec tous les circuits actuels de délivrance au détail. Il est seulement exigé que les ayants droits soient habilités dans l'État membre où ils sont installés.

Ventes en ligne labellisées pour des médicaments sans ordonnance

En 2014, la Commission européenne souhaitait développer les ventes en ligne pour des raisons à la fois de libre concurrence et de disponibilité des médicaments vétérinaires dans l'Union européenne. Le Parlement européen y avait déjà mis des freins. À l'évidence, la plupart des États membres n'en voulaient pas non plus. Ils ont encore davantage restreint les ventes en ligne aux seuls médicaments non soumis sur ordonnance. Ces médicaments ne seront toutefois pas en vente libre. Tenus par des ayants droits habilités, les sites de ventes en ligne seront autorisés et contrôlés par les autorités nationales. Le règlement européen ne pouvait sans doute pas les restreindre davantage les ventes en ligne dans l'UE. Car, dans des jurisprudences répétées, la Cour européenne de justice a toujours considéré que les médicaments humains sans ordonnance peuvent être vendus par une cyberpharmacie à un patient situé dans un autre État. A l'inverse, un État peut légitimement s'opposer à de telles ventes pour des médicaments soumis à prescription pour des questions de protection de la santé publique.

Pour sécuriser le dispositif, les autorités nationales publieront les listes des sites de vente en ligne autorisés. Ces sites « légaux » sont repérés par un logo européen pointant sur le site des autorités nationales. Et l'Agence européenne du médicament référencera ces liens sur une page de son site.

L'ayant droit qui exploite un site de vente en ligne devra livrer un médicament « français » en France, un médicament « polonais » en Pologne etc. Même si cet ayant droit est basé en Roumanie, il ne pourra pas livrer de médicaments roumains en France.

La prescription, une nouvelle frontière pour les ventes en ligne

Le Royaume-Uni et les Pays-Bas font partie des rares États membres qui autorisent déjà les ventes en ligne de médicaments vétérinaires sur prescription. Le règlement européen permet à ces États membres de les conserver en les surveillant bien davantage. Ces ventes en ligne « sur prescription » devront être sécurisées et restreintes strictement aux seuls territoires de ces États membres. Le règlement exige un contrôle strict de cette restriction géographique pour éviter que ces ventes en ligne éclaboussent des pays qui les interdisent. Et, en cas d'éclaboussures, les autorités nationales devront collaborer pour aboutir à poursuivre et sanctionner les sites de ventes en ligne des contrevenants. Cela n'est aujourd'hui pas le cas. Le Royaume-Uni ou les Pays-Bas ont toujours beaucoup de difficultés et de réticences à sanctionner les sites légaux de vente en ligne lorsqu'elles débordent au-delà de leurs territoires.

Même si ce règlement ne pourra pas empêcher les ventes en ligne de médicaments sans prescription, il devrait enfin permettre, s'il est bien appliqué, d'éviter la concurrence en ligne des médicaments soumis à prescription.

D'autres dispositions de ce règlement seront analysées dans de prochains Fils.