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15 mars 2018

Refonte du médicament vétérinaire. Le Conseil européen cache les divergences des États en conservant le secret

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

Les opinons des Etats membres sont encore trop divergentes sur le projet de règlement sur le médicament vétérinaire pour parvenir rapidement à un accord politique.
Les opinons des Etats membres sont encore trop divergentes sur le projet de règlement sur le médicament vétérinaire pour parvenir rapidement à un accord politique.
 

Le 20 décembre 2017, le Conseil de l'Union européenne, représentant les gouvernements des États membres, a adopté un mandat de négociations sur le projet de règlement sur le médicament vétérinaire déposé par la Commission européenne le 16 septembre 2014 et amendé par le Parlement européen le 10 mars 2016.

On pouvait croire que ce texte faisait consensus au sein du Conseil. Ce n'est le pas cas. Les délégations des États membres ont amendé pendant presque deux ans : de mars 2016 à décembre 2017. Elles se sont réunies pendant près de 40 jours, l'équivalent de deux mois de réunions non-stop. Mais, malgré ces longues discussions, qui ont abouti à réécrire le projet deux fois, « le Conseil n'est pas parvenu à un accord politique » selon un courrier du 6 mars 2018 de l'unité transparence du Conseil.

Un mandat de négociations sur fond de divergences secrètes

À l'inverse,

  • « Les opinions politiques des délégations des États membres sont encore très divergentes » selon le Conseil européen.
  • Le texte « fait encore l'objet de discussions au sein des instances préparatoires du Conseil ».
  • « Il contient diverses propositions de rédaction de la part des États membres et des détails dans le processus de négociations ».
  • « Le document reflète l'état des discussions et donc les difficultés qui doivent encore être résolues avant que le Conseil puisse parvenir à un accord politique ».

Néanmoins, le document « constitue un projet de mandat interne pour les négociations avec le Parlement européen ». L'absence d'accord politique justifie donc de conserver la confidentialité sur les positions qui seront négociées avec le Parlement européen. Car « sa divulgation à ce stade serait particulièrement délicate. Elle interférerait avec les négociations et réduirait les chances de parvenir à un accord politique au sein du Conseil. »

« Nous allons avoir des turbulences. Attachez vos ceintures ! ».

30 septembre 2008. « Nous allons avoir des turbulences. Attachez vos ceintures ! ». C'est par ses mots que le 30 septembre 2008, sous la présidence française de l'Union européenne, s'ouvre un colloque à Alfort sur une nécessaire refonte de la réglementation européenne. La réglementation actuelle, qui découle de celle du médicament humain est trop lourde, trop complexe, trop coûteuse pour le médicament vétérinaire. Elle n'incite pas les laboratoires pharmaceutiques à développer des médicaments innovants en santé animale et à les mettre sur le marché dans tous les pays de l'Union européenne, même les plus petits.

Les objectifs de l'époque étaient de faire plus simple et plus rapide pour faciliter, accélérer la mise sur le marché des médicaments vétérinaires dans tous les pays de l'Union européenne. Le concept 1-1-1 était né : « une seule demande d'AMM », « une seule évaluation en Europe », pour « une seule AMM valable dans l'UE ». Curieusement, ce concept simple semble aujourd'hui abandonné dans les projets en cours.

Cinq ans de gestation à Bruxelles

10 septembre 2014. Il aura fallu cinq ans, toute la durée de la Commission Barroso II (2009-2014) et plusieurs études d'impact, pour que ce projet de règlement européen soit proposé par la Commission européenne à l'examen du Parlement et du Conseil européen.

Dans différentes commissions, le Parlement européen a mis 18 mois pour examiner la proposition de la Commission européenne de quelque 150 articles sur 125 pages.

« Les eurodéputés ont réservé leur train ou leur avion »

Le 10 mars 2016, c'est le jour du vote en session plénière. Les eurodéputés n'ont que quelques minutes pour procéder au vote de 285 amendements sur les 323 proposés. Le président de séance est pressé par le temps, très pressé. Plus vite, toujours plus vite. « Des députés ont réservé leur train ou leur avion » répond-il à ses collègues qui se plaignent du rythme infernal qu'il impose et se perdent entre les votes « pour » ou « contre » sur les numéros des amendements appelés.

Ces 285 amendements qui tiennent sur 150 pages supplémentaires s'ajoutent donc aux 150 pages du texte initial. En revanche, les eurodéputés n'ont pas voté sur le texte tel qu'ils ont amendé. Ils préfèrent attendre la fin des négociations en trilogue entre le Conseil, la Commission et le Parlement européens pour, si le texte final négocié leur convient, procéder à un seul vote formel de première lecture sur un texte finale amendé et… consensuel.

Un mandat de négociation sur fond de divergences

20 décembre 2017. Le Conseil européen donne un mandat de négociations avec les eurodéputés Parlement adopte un projet de texte secret. Le Parlement européen avait mis 18 mois pour faire connaître ses amendements. Le Conseil européen en met tout autant pour « retravailler ce texte ». « La plupart des dispositions du projet ont été revues [et modifiées] au moins deux fois ». Car beaucoup d'entre elles « nécessitaient d'être clarifiées, renforcées ou complétées », même après cinq ans de travaux par la Commission et 18 mois d'examen par le Parlement européen. Pour les délégations des États membres du Conseil, le projet initial, avec les 285 amendements du parlement, 300 pages au total quand même, n'était pas suffisamment détaillé pour « assurer une transition en douceur vers sa mise en œuvre » avec le même niveau technique de certitude juridique que la réglementation actuelle.

Mais contrairement au Parlement européen qui, heureusement, travaille en toute transparence, le Conseil européen garde le secret sur la réécriture réalisée par cette institution représentant les 28 gouvernements nationaux des États membres. Car l'accord sur un mandat de négociation ne signifie pas d'accord politique sur le fond. Et de grandes divergences demeurent entre les positions des États membres.

Objectif : les élections européennes de mai 2019

Dans le courant de l'année 2018, les trois institutions européennes, la Commission, le Conseil et le Parlement, devraient donc négocier une nième version de ce projet. Chacun tentera de convaincre du bien-fondé de ses amendements sur ceux des autres.

L'année 2018 y suffira-t-elle ? Peut-être. C'est en tout cas un objectif. Car les prochaines élections européennes auront lieu fin mai 2019. Et, pour ne pas retarder davantage le vote sur ce texte en gestation déjà longue depuis dix ans, il conviendrait qu'il soit adopté dans les mêmes termes par le Parlement et le Conseil avant cette échéance électorale. Si ce n'était pas le cas, l'élection d'un nouveau parlement retarderait encore l'adoption finale de ce texte.

2022. L'application sans transposition

Si le règlement est voté puis publié en 2019, il devrait s'appliquer, sans transposition en droit national, dans toute l'UE27, deux ou, plus probablement, trois ans plus tard. Le projet de la Commission prévoyait deux ans. Mais le Conseil proposerait un délai de trois ans pour laisser plus de temps aux administrations des États d'adapter leur droit national à ce nouveau texte. En France, il conviendra d'abroger et de réécrire une grande partie des dispositions du code de la santé publique à travers une loi (ou une ordonnance législative) et un ou plusieurs décrets. Trois ans ne seront donc pas un délai trop long pour s'adapter à cette refonte.

Une refonte totale de la réglementation sur le médicament.

Ce projet constitue en effet une refonte totale de la réglementation sur la pharmacie vétérinaire en France et en Europe dans presque tous ses aspects : fabrication, AMM, distribution en gros, vente au détail, prescription, usage, publicité, pharmacovigilance, contrôles, antibiotiques, vaccins etc.

Pour les vétérinaires praticiens, voici une sélection, très loin d'être exhaustive, de huit points importants qui figurent dans le projet tel qu'amendé par le Parlement.

  1. Découplage et BSE. Ce règlement ne sera pas celui du découplage prescription-délivrance. Aucun amendement n'a été adopté dans ce sens. Mais la notion de prescription hors examen clinique qui s'applique en France depuis 2007 dans le cadre des BSE (bilans sanitaires d'élevage) n'y est pas reconnue. Un diagnostic basé sur un examen clinique serait obligatoire.
  2. Ventes en ligne. Le Parlement européen a restreint les ambitions des sites « transfrontaliers » de vente en ligne en l'interdisant pour les antibiotiques, les vaccins, les prescriptions dans le cadre de la cascade, et surtout, en permettant aux États membres de l'interdire sur leur territoire pour des motifs de santé publique, par exemple pour les médicaments sur prescription.
  3. Distribution en gros. Les distributeurs en gros pourront livrer des médicaments aux ayants droit dans les pays de l'Union, mais étiquetés dans la langue du pays destinataire, et à condition de disposer d'un stock permanent de médicaments avec l'étiquetage dans la langue de l'état de destination, pour couvrir (tous) les besoins des ayants droit et les livrer « dans de très brefs délais » et en continu.
  4. Centrales. « Toute participation économique [des ayants droit] à des entreprises qui font commerce de médicaments vétérinaires [grossistes] est interdite ». Ce qui, en France, remettrait en cause la structure capitalistique des centrales vétérinaires.
  5. Antibiotiques. L'antibioprévention devrait être interdite [sauf exception dans des indications individuelles] et la métaphylaxie encadrée. Les traitements collectifs dans l'eau de boisson seraient limités aux cas où « la plupart des animaux sont malades ».
  6. « Démédicalisation ». C'est un point symbolique important. Les « bonnes pratiques d'élevage » devraient (entre autres) « réduire, autant que possible, la nécessité d'un recours à des médicaments vétérinaires », toutes classes de médicaments confondues. Et l'usage responsable des médicaments fait référence à ces bonnes pratiques et au respect de l'ordonnance.
  7. Suivi des usages antibiotiques et antiparasitaires. Dans cet esprit, le Parlement a prévu un suivi semestriel des usages chez les éleveurs, non seulement pour les antibiotiques, mais aussi pour les antiparasitaires et les hormones.
  8. Cascade. Les recours à la cascade devraient être simplifiés, mais enregistrés, avec aussi des temps d'attente plus réalistes que ceux forfaitaires aujourd'hui en vigueur.