titre_lefil
Elanco & Proplan

25 novembre 2025

Domestication du chien : quand le loup revient tout compliquer

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Dans une petite île de la Baltique, la découverte de deux restes osseux de loups, datés d'il y a 5 000 ans, indique que les humains n'avaient pas seulement domestiqué les chiens, mais ont longtemps continué à interagir avec les loups. Ici l'un des fragments osseux de loup, identifié dans le sol d'une grotte de cette île. Photos : Jan Storå/Université de Stockholm, carte Girdland-Flink et coll., 2025.
Dans une petite île de la Baltique, la découverte de deux restes osseux de loups, datés d'il y a 5 000 ans, indique que les humains n'avaient pas seulement domestiqué les chiens, mais ont longtemps continué à interagir avec les loups. Ici l'un des fragments osseux de loup, identifié dans le sol d'une grotte de cette île. Photos : Jan Storå/Université de Stockholm, carte Girdland-Flink et coll., 2025.
 

Jusqu'à présent, la domestication du chien, même après les apports de la paléogénomique, semblait remonter au loup en tant qu'ancêtre et dater des alentours de 15 000 ans avant le temps présent, les plus anciens chiens validés au plan génétique remontant à environ 11 000 ans. Une découverte d'équipes scandinaves dans une île de la Baltique vient bousculer cette conception un peu trop linéaire, en montrant que les humains ont continué à interagir avec les loups 5 000 ans en arrière, même s'ils avaient déjà des chiens…

Chasseurs de phoques

Une île minuscule (2,5 km2) de la Baltique, Stora Karlsö, est connue des préhistoriens scandinaves pour avoir hébergé des pêcheurs et des chasseurs de phoques, du néolithique jusqu'à l'âge du Bronze. Elle est à 80 km du littoral de la Suède continentale actuelle, et à 5 km de la plus grosse île (Gotland, voir l'illustration principale). Ces îles n'ont jamais été connectées à la partie continentale, ce qui explique qu'elles n'hébergent pas de mammifères natifs : renards, lièvres et hérissons ont « probablement été introduits par l'humain » sur l'île principale estiment les auteurs de cette description, des chercheurs des universités de Stockholm (Suède), d'Abredeen et d'East Anglia (Royaume-Uni). De plus, aucun reste osseux attribuable à un loup ou à un chien n'a été identifié sur la grande île (Gotland). Or une grotte présente non loin de la rive de la petite île (Stora Karlsö), qui a été explorée entre la fin du XIX et la première moitié du XX siècles, avait permis d'identifier des restes humains et de canidés, et l'analyse préliminaire de certains de ces os laissait à penser qu'il s'agissait de loups, mais de petite taille – phénomène compatible avec des relations humaines.

Reproduction contrôlée ?

Les auteurs ont donc mis en œuvre un ensemble d'analyses de divers domaines, pour tenter d'éclaircir l'espèce en cause, et son éventuelle relation avec l'humain.

En premier lieu, l'analyse morphologique poussée a fourni deux éléments :

  • Les sujets sont bien de taille inférieure à celle des loups gris sauvages, ce qui peut se produire lors d'une adaptation à un contexte insulaire (mais dans le cas de Stora Karlsö, des loups sauvages ne pourraient y subsister longtemps), mais peut aussi « être le fruit d'une reproduction contrôlée » - par l'humain, bien sûr.
  • L'un des spécimens de loup, datant de l'âge du Bronze, présentait également une lésion pathologique dans la fosse de l'olécrane, ce qui aurait limité sa mobilité. « Cela laisse supposer que cet individu a pu bénéficier de soins ou survivre dans un environnement où il n'avait pas besoin de chasser de grandes proies », son comportement naturel…

Faible diversité génétique

En second lieu, l'analyse génétique des restes osseux de ces deux sujets « est sans équivoque : il s'agit de loups gris ». Le fragment osseux qui avait été attribué à un chien par la morphologie est aussi confirmé comme tel. De plus, le loup dont génome obtenu était le plus complet « présentait une faible diversité génétique, plus faible que celle de tous les autres loups anciens que nous avons étudiés. Ce phénomène est comparable à celui observé chez les populations isolées, ou ayant subi un goulot d'étranglement démographique, ou encore chez les organismes domestiqués », précisent-ils. Dans les deux premiers cas, il pourrait s'agit de raisons naturelles, mais ce sont les moins probables.

Régime alimentaire marin

En dernier lieu, ils ont réalisé une analyse isotopique de ces os, mais aussi de restes canins, ainsi que de restes humains provenant de la même île. Pour les loups, cette analyse a révélé « un régime alimentaire riche en protéines marines, comme le phoque et le poisson, correspondant à celui des populations humaines de l'île et suggérant que ces animaux étaient approvisionnés » par les humains. Pour le chien, son « régime alimentaire reposait principalement sur des ressources terrestres, ce qui correspond au régime alimentaire des chiens et des humains de la fin du néolithique et de l'âge du Bronze ». Ce qui, estiment les auteurs, « suggère que les humains interagissaient avec les loups et les géraient d'une manière que nous n'avions pas envisagée jusqu'alors ». D'autant que d'autres équipes, au Danemark, ont identifié chez des chiens

Loups de compagnie ?

Le raisonnement des auteurs est que, si des loups ont été présents sur l'île, c'est qu'ils y ont été conduits par les humains de l'époque. Ils ont donc analysé en détail la morphologie de ces restes osseux et montrent qu'il ne s'agit pas exactement du phénotype de loups sauvages, mais plutôt de caractères « typiquement associés à la vie en compagnie des humains ».

Cela brosse un tableau complexe des relations passées entre humains et loups, inattendu. Et cela pourrait « remettre en question notre compréhension habituelle de ces interactions, ainsi que du processus de domestication du chien. Bien qu'il soit difficile de déterminer si ces loups ont été apprivoisés, maintenus en captivité ou gérés d'une autre manière, leur présence dans un environnement isolé et habité par l'humain témoigne d'une interaction délibérée et prolongée », à laquelle les humains trouvaient un intérêt.