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Elanco & Proplan

18 novembre 2025

Stigmatiser les clients en raison de leur poids : un risque auquel n'échappent pas les vétérinaires

par Pascale Pibot

Temps de lecture  6 min

Le comportement des soignants peut être influencé par la condition corporelle de leurs clients, qu'il s'agisse des animaux ou des propriétaires (cliché Pixabay).
Le comportement des soignants peut être influencé par la condition corporelle de leurs clients, qu'il s'agisse des animaux ou des propriétaires (cliché Pixabay).
 

Un phénomène de stigmatisation liée au poids a été observé chez les médecins à propos des parents d'enfants en surpoids, en raison de leur responsabilité supposée à propos de l'embonpoint de leur enfant. Pour explorer la question dans le domaine vétérinaire, une étude a été menée au Canada en 2024 : il s'agissait de savoir si l'excès de poids des clients ou celui de leurs animaux était susceptible d'influencer le comportement des équipes vétérinaires envers eux.

Surtout des femmes et des ASV

Les 138 participants à l'étude ont été recrutés pendant des congrès professionnels se déroulant en Ontario.

La majorité des participants étaient des femmes (94,9 %) et les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) représentaient 56,2 % de l'effectif. La médiane du nombre d'années d'expérience professionnelle était de 9 ans (10 mois à 40 ans) et l'âge médian des répondants de 32 ans (21 à 67 ans).

Dans cette enquête, 38,7 % des participants ont déclaré parler du poids des animaux plusieurs fois par semaine avec les clients, tandis que 32,1 % discutent du sujet quotidiennement. La plupart des participants ont indiqué que les personnes le plus souvent à l'initiative de ce type de conversations à la clinique sont les ASV.

Mise en situation à partir d'images

Les participants devaient réagir à la vue d'une vignette (choisie aléatoirement parmi 8) présentant la silhouette d'un chat ou d'un chien, ainsi que celle d'un couple de clients (un homme et une femme). La silhouette de l'animal et des clients variait sur chacune des 8 vignettes, illustrant des individus maigres ou en surpoids.

Il était précisé que l'animal était amené à la clinique pour un rappel de vaccin, sans trouble de santé particulier, et que le vétérinaire (ou l'ASV) recueillait quelques informations à son sujet. Le mode de vie de l'animal était aussi décrit :

  • Dans le cas du chien, « Charlie est nourri avec un aliment industriel deux fois par jour et reçoit des friandises. Des jouets sont disponibles dans la maison et Charlie sort au moins deux fois par jour pour des promenades de 30 minutes, en plus d'être laissé dans le jardin à d'autres moments » ;
  • Dans le cas du chat, « Charlie vit exclusivement à l'intérieur, il est nourri avec un aliment industriel trois fois par jour à l'aide d'un distributeur automatique et il reçoit des friandises. Le chat a accès à un arbre à chat et à un griffoir, les propriétaires jouent avec lui pendant quelques minutes au moins deux fois par jour ».

Les participants ont été invités à évaluer 4 critères en utilisant une échelle de 5 points : le degré d'efficacité des clients en tant que gardiens de l'animal, leur degré d'attention envers sa santé et son bien-être, la probabilité que des recommandations en matière de contrôle du poids de l'animal soient suivies et le degré de responsabilité des clients vis-à-vis du poids de leur animal.

Les participants ont également évalué la condition corporelle de l'animal sur une échelle de 7 points et ont indiqué s'ils aborderaient ou non la question du contrôle du poids de l'animal avec ces clients.

Soumission à un test IAT

Enfin, un questionnaire utilisé en médecine humaine pour évaluer les jugements portés sur les individus en fonction de leur poids a été rempli : ce test d'association implicite (IAT) prend notamment en compte le temps de réaction des répondants (leur hésitation). L'IAT, développé en 1998, sert à mesurer les préjugés dont les individus ne sont pas conscients. Il a permis de constater que de nombreux professionnels de santé ont des préjugés implicites à l'égard des personnes en surpoids.

Dans l'analyse statistique réalisée, les variables indépendantes retenues étaient la condition corporelle de l'animal, celle du client et l'interaction entre les deux variables.

Un biais de « désirabilité sociale » ?

Les résultats du test IAT suggèrent que 90,6 % des personnes interrogées préfèrent les personnes minces aux personnes en surpoids. Toutefois, cette observation n'est pas corroborée par les réactions aux vignettes présentées : la condition corporelle des clients n'a pas eu d'effet significatif sur la perception qu'ont les vétérinaires et les ASV du couple client/animal. Dans l'ensemble, les vétérinaires et les ASV ont exprimé des perceptions très positives à propos des clients et de leurs animaux.

Cette incohérence apparente pourrait s'expliquer par un biais dit de « désirabilité sociale » : les participants ont tendance à déclarer des comportements ou des idées socialement acceptables et à nier leurs comportements indésirables. Ce biais a pu inciter les participants à évaluer les clients et les animaux de manière plus favorable et à surestimer leur volonté d'aborder le contrôle du poids dans leurs conversations à la clinique. Par exemple, tous les participants ayant regardé une vignette avec un chat en surpoids ont indiqué qu'ils aborderaient le sujet avec le client alors que des observations en conditions réelles montrent que c'est loin d'être toujours le cas…

Le fait que les femmes étaient majoritaires dans l'échantillon a également pu influencer les résultats car des recherches ont déjà montré que les femmes exerçant une profession médicale ont moins de préjugés que leurs homologues masculins à propos du poids.

Différences perçues entre les propriétaires de chiens ou de chats

Les vétérinaires et les ASV percevaient significativement les propriétaires de chiens en surpoids comme « moins efficaces pour prendre soin de leur animal » que les propriétaires de chiens minces (odds ratio : 0,29), un jugement qui n'est pas apparu à propos des chats. La différence pourrait reposer sur le fait que les répondants ont relié l'excès de poids du chien à son manque d'activité physique, donc à une variable qui dépend directement du propriétaire, alors que c'est moins le cas pour les chats.

Les participants ont aussi perçu les propriétaires de chats en surpoids comme étant « plus attentionnés » que ceux de chats minces (OR : 2,89), sans que ce soit le cas pour les chiens. Là encore, l'explication réside peut-être dans le présupposé que les propriétaires qui donnent des friandises à leur chat le font pour lui montrer leur amour alors que chez le chien, il s'agit plus souvent de récompenser un comportement particulier.

La probabilité d'adhérer aux recommandations en matière de contrôle du poids était estimée plus élevée lorsque la vignette présentait un propriétaire et un chien tous deux en surpoids que lorsqu'il s'agissait d'un chien en surpoids et d'un client mince, ou d'un chien mince et d'un client en surpoids (OR : 5,0).

Ainsi, cette étude confirme que les vétérinaires et les ASV peuvent avoir des préjugés inconscients liés au poids, qu'il s'agisse de celui des animaux ou des propriétaires. Il est important d'y être sensibilisé afin de garantir que les clients soient traités avec respect et d'accorder la même qualité de soins à tous les animaux.