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11 octobre 2021

Les antibiotiques interdits en 2022 chez les animaux ne devront pas être essentiels pour la santé animale sauf…

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

Le véto conservera-t-il son droit de véto ?
Quels seront les antibiotiques interdits aux vétérinaires en 2022 ? Personne ne connaît encore la liste. Mais les critères sont désormais fixés. Des antibiotiques « essentiels » à la santé animale ne devraient pas être interdits sauf si c'est « dans l'intérêt supérieur de la santé publique »… Le véto perd donc ici son droit de véto si… c'est « dans l'intérêt supérieur de la santé publique ».
Le véto conservera-t-il son droit de véto ?
Quels seront les antibiotiques interdits aux vétérinaires en 2022 ? Personne ne connaît encore la liste. Mais les critères sont désormais fixés. Des antibiotiques « essentiels » à la santé animale ne devraient pas être interdits sauf si c'est « dans l'intérêt supérieur de la santé publique »… Le véto perd donc ici son droit de véto si… c'est « dans l'intérêt supérieur de la santé publique ».
 

Fin de partie ! Le Journal officiel de l'Union européenne vient de siffler la fin d'un été de controverses et de polémiques. Les lobbyistes verts se sont confrontés à ceux des vétérinaires et des laboratoires sur les critères d'interdiction de tout usage vétérinaire des antibiotiques à réserver exclusivement à la médecine humaine. La version définitive du règlement délégué qui fixe ces critères vient de paraître au Journal officiel de l'Union européenne du 6 octobre 2021.

Le texte final est identique en tous points, à la virgule près, au projet du 26 mai 2021 de la Commission européenne qui a fait l'objet de tant de discussions et d'un vote par les eurodéputés le 15 septembre (voir les Fils du 16 et du 17 septembre).

Le débat se déplace de Strasbourg à Amsterdam

Coup de sifflet final ? Peut-être pas. Car la liste des antibiotiques interdits d'usage vétérinaire qui répondrait à ces critères n'est pas encore publiée ni connue à ce stade. Elle devrait être publiée dans un autre règlement dit d'exécution avant le 28 janvier 2022. Ce règlement ne sera toutefois pas soumis à l'examen des eurodéputés verts, rouges, bleus ou oranges…

Le débat ne sera donc pas à Strasbourg (siège du Parlement européen), mais sans doute à Bruxelles (au siège de la Commission européenne) et à Amsterdam au siège de l'Agence européenne du médicament.

Car c'est d'abord aux experts de l'Agence européenne du médicament (EMA) que revient la tâche de proposer un projet de liste d'antibiotiques à réserver exclusivement à la médecine humaine sur la base des trois critères du nouveau règlement. Puis cette liste sera reprise, éventuellement amendée, par la Commission européenne, sous la forme d'un règlement d'exécution. Les interdictions d'usage vétérinaire des antibiotiques de cette liste deviendront effectives le 28 janvier 2022.

Un enjeu international

Ces antibiotiques seront alors exclusivement réservés à la médecine humaine en application de l'article 37 du règlement « médicament vétérinaire » 2019/6. Tout usage vétérinaire chez les animaux sera interdit, y compris dans le cadre de la cascade.

L'enjeu est aussi international. Car l'article 118 du même règlement 2019/6 exige aussi que les antibiotiques interdits dans l'UE ne soient pas non plus utilisés dans les pays tiers sur des animaux destinés à être importés dans l'UE ou dont les produits animaux seraient destinés à être importés dans l'UE. En d'autres termes, comme pour les anabolisants à la fin du siècle dernier, ce règlement exige que les pays tiers exportateurs vers l'UE appliquent les mêmes interdictions que celles de l'UE, au moins pour les animaux ou les produits animaux exportés vers l'UE.

Trois critères : la santé humaine, la transmission et la santé animale

En outre, l'article 107 du règlement 2019/6 peut permettre de compléter la liste des antibiotiques complètement interdits, par d'autres listes d'antibiotiques partiellement interdits dans le cadre de la cascade ou seulement pour certains usages « hors AMM » plus à risque (un usage collectif par exemple). Aucun délai n'est prévu pour établir ces listes d'interdictions partielles de certains antibiotiques.

Le règlement prévoit d'interdire chez les animaux les antibiotiques qui répondent à la fois aux trois critères suivants de santé humaine, de transmission de la résistance et de santé animale.

Critère n° 1. Antibiotique critique pour la médecine humaine »

Seuls les antibiotiques d'importance majeure pour la santé humaine pourront être interdits d'usage vétérinaire. Ce critère est évalué selon différents sous-critères (non cumulatifs).

  • Il inclut notamment les antibiotiques de dernier recours pour traiter des infections graves voire mortelles chez l'homme… (ou lorsque l'antibiotique est l'un des composants de ces traitements de dernier recours).
  • Il inclut aussi les antibiotiques indiqués pour traiter des infections graves voire mortelles chez l'homme contre lesquelles, soit il y a peu de traitements disponibles, soit l'efficacité des autres traitements est limitée du fait de la résistance.

Ces sous-critères ne collent pas précisément aux deux critères de criticité de l'OMS pour définir les antibiotiques critiques humains. Néanmoins, tous les antibiotiques classés comme critiques par l'OMS peuvent sans doute être considérés comme répondant à ce premier critère, nécessaire, mais pas suffisant pour en interdire l'usage vétérinaire. Selon la classification de l'OMS, cela inclurait les céphalosporines de dernières générations (C3G, C4G, C5G), les quinolones et les fluoroquinolones, les macrolides (mais pas les lincosamides comme la lincomycine ou la clindamycine, ni la tiamuline), les polymyxines (colistine), les aminosides, la plupart des pénicillines notamment l'amoxicilline (mais pas les pénicillines à spectre étroit comme la pénicilline G entre autres) et, surtout, de nombreux antibiotiques humains de derniers recours sans AMM vétérinaire (pénèmes, monobactames, glycylcyclines, lipopeptides, oxazolidones etc.).

Critère n° 2. La transmission de résistances de source animale à l'homme

Le second critère porte sur la transmission d'un germe ou d'un gène de résistance d'origine animale à l'homme par différents mécanismes (résistance croisée, cosélection…). Car il ne servirait à rien d'interdire l'usage chez l'animal d'un antibiotique si son usage vétérinaire était sans impact sur la résistance chez l'homme. Ce transfert de germes résistants ou de gènes de résistance de l'animal à l'homme s'apprécie « par des données scientifiques », épidémiologiques le cas échéant.

Pour un antibiotique avec une AMM vétérinaire, ces données devront « montrer » et pas seulement supputer,

  1. D'une part, une émergence ou une diffusion effective de la résistance, éventuellement à travers des mécanismes de résistances croisées ou une cosélection,
  2. D'autre part, une « transmission importante » de cette résistance d'une source animale à l'homme. Cette transmission devrait bien être associée à l'usage de ces antibiotiques chez les animaux.

Pour un antibiotique sans AMM vétérinaire, « les données scientifiques » peuvent être restreintes à la démonstration d'un « risque » d'émergence de résistance associé à une transmission « potentiellement » importante. Il sera donc logiquement plus facile d'interdire l'usage vétérinaire dans le cadre de la cascade des antibiotiques humains que des antibiotiques avec AMM vétérinaire où la transmission de la résistance devrait être bien prouvée et pas seulement hypothétique ou « potentielle ».

Critère n° 3. Antibiotique « non essentiel pour la santé animale »

Un antibiotique avec une AMM vétérinaire ou avec une AMM pour un usage humain ne pourrait être interdit chez les animaux que si :

  • Soit, il n'existe « aucune preuve solide » de sa nécessité en médecine vétérinaire,
  • Soit, il existe déjà des alternatives thérapeutiques (pour un antibiotique indiqué pour traiter des infections graves chez les animaux),
  • Soit, l'interdiction chez les animaux répond à « un intérêt supérieur de santé publique », même si l'antibiotique est indiqué pour traiter des infections graves, voire mortelles chez les animaux.

Ce troisième critère « vétérinaire » est essentiel pour la santé animale. Il doit permettre d'éviter que tous les antibiotiques critiques pour la santé humaine soient interdits chez les animaux au détriment de la santé animale. Toutefois, dans des cas exceptionnels, un antibiotique essentiel à la santé animale pourrait néanmoins être interdit « dans l'intérêt supérieur de la santé publique ». À titre d'exemple, même si la colistine est reconnue comme essentielle à la santé animale, elle pourrait néanmoins être interdite si c'est « dans l'intérêt supérieur de la santé publique ».

Quels seront alors les antibiotiques interdits au 28 janvier 2022 ?

Au risque de se répéter, les antibiotiques interdits d'usage chez les animaux seront ceux qui répondent aux trois critères ci-dessus. Chacun peut avoir sa propre opinion sur ce point. Mais le projet de liste qui sera discuté sera d'abord celui des experts de l'Agence européenne du médicament (EMA).

Cette agence a déjà travaillé fin 2019 à une classification des antibiotiques en quatre catégories : de A (antibiotique à éviter) à D (antibiotique de 1ère intention) (voir le tableau ci-dessous).

  • La catégorie A comprend les antibiotiques dits « à éviter ». Il s'agit d'antibiotiques humains de dernier recours, sans AMM vétérinaire, qui pouvaient être, utilisés chez les animaux de compagnie en dernier recours dans le cadre de la cascade. Il ne serait évidemment pas surprenant que ces antibiotiques, comme les carbapénèmes par exemple, soient interdits dans toute l'UE à partir du 28 janvier 2022. En France, la plupart d'entre eux sont déjà interdits d'usage vétérinaire par l'arrêté du 18 mars 2016 qui liste les antibiotiques critiques « français » (voir ce lien).
  • La catégorie B correspond aux antibiotiques « à restreindre » : les céphalosporines de dernières générations (C3G, C4G), les (fluoro)quinolones et les polymyxines (colistine surtout). Il est difficile à ce stade de savoir si l'Agence européenne du médicament évaluera ces antibiotiques comme « essentiels » ou pas à la santé animale, même s'ils sont classés par l'OMS parmi les « antibiotiques critiques les plus prioritaires ».
  • Enfin, les deux catégories C (« avec précautions ») et D (« usage prudent ») correspondent respectivement aux antibiotiques de « seconde intention » et de « première intention ». Ces deux catégories incluent néanmoins des antibiotiques classés comme critiques par l'OMS, notamment l'amoxicilline avec ou sans acide clavulanique, ainsi que les macrolides classés comme « critiques prioritaires » par l'OMS.

Le tableau ci-dessous fait une première comparaison entre les classifications des antibiotiques par l'OMS, l'Agence européenne du médicament et la France.

 

Tableau comparatif des antibiotiques critiques selon l'EMA, l'OMS (organisation mondiale de la santé) et l'OIE (organisation mondiale de la santé animale) et la France

Tableau LeFil.