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17 septembre 2021

Feu rouge contre les verts. Le Parlement européen refuse d'interdire des antibiotiques critiques pour l'homme sans tenir compte de l'impact vétérinaire

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

Feu rouge contre les verts.
Les députés verts et rouges du Parlement européen ont échoué à convaincre leurs collègues de centre et de droite à voter une résolution qui aurait pu aboutir à interdire d'usage vétérinaire les céphalosporines de dernière génération, les quinolones, les macrolides, la colistine… Avant d'interdire un antibiotique critique chez les animaux, il devra être démontré que son usage n'est pas « essentiel » pour la santé animale.
Feu rouge contre les verts.
Les députés verts et rouges du Parlement européen ont échoué à convaincre leurs collègues de centre et de droite à voter une résolution qui aurait pu aboutir à interdire d'usage vétérinaire les céphalosporines de dernière génération, les quinolones, les macrolides, la colistine… Avant d'interdire un antibiotique critique chez les animaux, il devra être démontré que son usage n'est pas « essentiel » pour la santé animale.
 

Le Parlement européen a voté hier soir vers 21 heures contre, à 66 % des voix, une résolution importante de certains eurodéputés qui visait à interdire l'usage chez les animaux d'antibiotiques critiques pour l'homme sans tenir compte de l'impact de ces interdictions sur la santé animale. C'est évidemment une bonne nouvelle pour les vétérinaires. Car la liste des antibiotiques qui, à compter du 28 janvier 2022, seront interdits chez les animaux ne devrait donc pas contenir des molécules « essentielles » pour la santé animale.

LeFil d'hier, 16 septembre, a déjà détaillé les textes en discussion avant le vote. Le dossier étant complexe, le Fil d'aujourd'hui revient sur l'impact de ce vote pour les vétérinaires praticiens sous forme de question-réponses.

Que prévoyait le texte rejeté hier soir par le Parlement européen ?

Le débat porte sur les critères et donc, à terme, la liste des antibiotiques qui seront « réservés à l'usage humain ». Ces antibiotiques réservés à la médecine humaine seront de facto interdits d'usage chez les animaux à compter du 28 janvier 2022, y compris dans le cadre de la cascade. Le nouveau règlement européen 2019/6 « médicament vétérinaire » prévoit en effet l'établissement d'une telle liste d'antibiotiques interdits chez les animaux, interdictions applicables à partir du 28 janvier prochain dans toute l'Union européenne.

Une proposition de la Commission européenne fixe trois critères pour établir cette liste : la santé humaine, la santé animale et la transmission des résistances d'origine animale à l'homme.

Des eurodéputés verts, notamment allemands, s'opposent à ce texte qui place le critère de santé animale presque au même niveau que la santé humaine. Pour défendre leurs points de vue, ils ont réussi à faire adopter début juillet par la commission Envi (environnement, santé publique, sécurité alimentaire) du Parlement, une résolution de rejet du projet de la Commission européenne et de ces trois critères.

Cette résolution estimait que la santé humaine devait l'emporter sur la santé animale. Le critère de santé animale devait donc être, selon eux, supprimé.

En outre, dans cette résolution, les « antibiotiques critiques les plus prioritaires », selon la classification de l'OMS, devaient être interdits chez les animaux. Cela aurait donc conduit à interdire et au retrait des AMM vétérinaires des C3G/C4G (céphalosporines de dernières générations), des (fluoro)quinolones, des macrolides et des polymyxines (la colistine entre autres).

C'est cette résolution qui a été rejetée avant-hier soir.

Les eurodéputés ont-ils voté selon leur couleur politique ?

Les groupes politiques semblent avoir donné des consignes de vote qui ont été assez bien respectées. À l'évidence, les députés du centre et de la droite ont été sensibles aux arguments des vétérinaires qui demandaient le rejet de ce cette résolution. À l'inverse, tous les députés verts et une grande partie de ceux de la gauche soutenaient cette résolution et donc l'interdiction des antibiotiques critiques chez les animaux sans prendre en compte l'impact sur la santé animale.

La résolution a donc été rejetée par une assez large majorité des eurodéputés (66 %). 686 eurodéputés ont voté nominativement hier soir par un vote électronique, pour la plupart d'entre eux à distance de Strasbourg.

Le vote « contre » la résolution a recueilli 450 voix, 66 % des 686 votes, soit

  • La quasi-totalité des voix des eurodéputés du centre, du centre droit, de droite et des « nationalistes »,
  • Et environ 40 % des eurodéputés sociodémocrates.

Le vote « pour » la résolution a recueilli 204 voix, 30 % des 686 votes, soit,

  • Toutes les voix des eurodéputés verts,
  • La quasi-totalité des voix des eurodéputés dits de gauche (The Left),
  • Environ la moitié des eurodéputés sociodémocrates.

Enfin, 32 eurodéputés ont préféré s'abstenir, soit 4,5 % des voix, principalement dans le camp des sociodémocrates, le groupe le plus partagé sur cette résolution.

Des antibiotiques seront-ils néanmoins interdits chez les animaux ?

Oui. Le règlement médicament vétérinaire 2019/6 prévoit, dans son article 37, que certains antibiotiques soient exclusivement réservés à la médecine humaine. Cela revient donc à les interdire de tout usage vétérinaire chez les animaux, y compris dans le cadre de la cascade pour des traitements curatifs individuels sur des animaux de compagnie. Cette interdiction s'appliquera aussi aux importations des animaux ou de produits animaux depuis des pays tiers.

Ce texte prévoit de définir d'abord les critères des antibiotiques « réservés à la médecine humaine » avant le 28 septembre 2021 par un règlement délégué préparé par la Commission européenne et approuvé par le Parlement européen. Avec le rejet de la résolution s'opposant au projet de la Commission, l'approbation du Parlement de ce projet ne fait plus aucun doute.

Puis, une fois que ces critères seront officiellement publiés, la Commission préparera rapidement un acte d'exécution pour lister les antibiotiques visés par ces critères avant le 28 janvier 2022. Pour cela, elle s'appuiera sur un avis de l'Agence européenne du médicament, mais sans demander une nouvelle approbation du Parlement européen sur la liste.

Sur quels critères seront interdits des antibiotiques chez les animaux ?

Le projet de règlement délégué de la Commission européenne s'appuie sur un avis de l'Agence européenne du médicament pour proposer trois critères cumulatifs pour réserver un antibiotique à la médecine humaine et l'interdire chez animaux. Un antibiotique ne serait interdit que s'il répond aux trois critères et non à seulement un ou deux.

  1. La santé humaine. L'antibiotique devrait être d'importance majeure pour la santé humaine : antibiotique de dernier recours, pour traiter des infections graves, voire mortelles… Les antibiotiques visés seront donc probablement des antibiotiques classés par l'OMS comme critiques pour la médecine humaine (voir la liste de ces antibiotiques critique dans le tableau en bas de ce Fil).
  2. La transmission des résistances d'origine animale à l'homme. Pour les antibiotiques avec une AMM vétérinaire, la transmission d'origine animale à l'homme devrait être importante et surtout prouvée par des données scientifiques.
  3. La santé animale. Ce troisième critère vétérinaire permet d'éviter d'interdire chez les animaux des antibiotiques « essentiels pour la santé animale ».

Quels seront les antibiotiques interdits chez les animaux ?

Au risque de se répéter, les antibiotiques interdits seront ceux qui répondent à ces trois critères. Chacun a sans doute sa propre opinion là-dessus.

Point méconnu de la réglementation française sur les antibiotiques critiques, une cinquantaine d'antibiotiques humains de dernier recours, les carbapénèmes par exemple, sont déjà interdits d'usage chez les animaux. En effet, l'arrêté du 18 mars 2016 est connu pour avoir inscrit comme antibiotique critique les céphalosporines de dernières générations (C3G, C4G) et les fluoroquinolones. Mais cet arrêté a aussi interdit de tout usage chez les animaux cinquante antibiotiques humains (voir ce lien).

Il est probable que ces antibiotiques de dernier recours qui n'ont jamais été très utilisés par les vétérinaires soient interdits d'usage non seulement en France, mais dans toute l'UE.

En outre, l'Agence européenne du médicament (EMA) a, en janvier 2020, publié une nouvelle classification des antibiotiques en quatre catégories : de A (antibiotique à éviter) à D (antibiotique de 1ère intention) (voir le tableau ci-dessous). Il est évidemment probable que les antibiotiques classés dans la catégorie A « à éviter » pourront figurer dans la liste des antibiotiques réservés à la médecine humaine.

Tableau comparatif des antibiotiques critiques selon l'EMA, l'OMS (organisation mondiale de la santé) et l'OIE (organisation mondiale de la santé animale) et la France

Tableau LeFil.