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Elanco & Proplan

22 août 2018

Les Hyalomma, tiques probablement venues à vol d'oiseau, s'invitent avec la canicule

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Femelles du genre Hyalomma, gorgée (à gauche) ou non (cliché : Lidia Chitimia-Dobler, unité de parasitologie, université de Hohenheim).
Femelles du genre Hyalomma, gorgée (à gauche) ou non (cliché : Lidia Chitimia-Dobler, unité de parasitologie, université de Hohenheim).
 

C'est un couple d'acarologues allemands, lui médecin et elle vétérinaire de formation, travaillant à l'université de Hohenheim (Stuttgart, Allemagne) qui ont lancé l'alerte le 13 août sur Pubmed. Les tiques du genre Hyalomma, sporadiquement identifiées en Allemagne, ont une présence nettement augmentée sur cet été : « sur les quatre dernières semaines, 7 tiques adultes du genre Hyalomma ont été adressées à notre laboratoire. Et nous avons reçu l'annonce de l'envoi de deux autres spécimens de Hyalomma sur les prochains jours. Ce nombre est inhabituellement élevé, car au cours des trois dernières années (2015 à 2017), seuls deux spécimens de ces tiques nous étaient parvenus ».

Vecteur de fièvre hémorragique

Les tiques du genre Hyalomma sont relativement aisées à reconnaître : leurs pattes ont des motifs annelés (voir l'image principale), qui restent plus délicates à visualiser sur les sujets gorgés. L'espèce dominante, H. marginatum, est le principal vecteur et réservoir du virus de la fièvre hémorragique de Crimée Congo ; elle est aussi compétente pour la transmission de Rickettsia aeschlimannii(agent de la fièvre boutonneuse) et de Babesia caballi (piroplasmose équine). L'installation de cette espèce dans le Sud de la France vient d'être confirmée comme remontant à au moins 2016, centrée sur la région de Montpellier. Elle n'était jusque-là que suspectée sur le littoral méditerranéen continental, bien qu'étant « présente en Corse depuis plusieurs décennies ».

Distribution actuelle connue de la tique Hyalomma marginatum en France continentale, au terme de l'enquête réalisée en avril-mai 2017 (Stachurski & Vial, 2018).

 

Difficiles à éradiquer

La fiche descriptive de H. marginatum du site du centre européen de lutte contre les maladies infectieuses (E-CDC) précise que les zones favorables à son implantation sont celles à faible couvert végétal, en particulier les anciennes pâtures revenues en jachères. Ces tiques « ont une grande capacité à supporter un large éventail de conditions de température et d'humidité ». Ainsi, elles peuvent « s'adapter à des habitats ouverts et arides comme à des marais et des broussailles » et deviennent alors « extrêmement difficile à éradiquer ». Dans le cas du signalement allemand, cinq des tiques ont été identifiées comme H. maginatum et une comme H. rufipes. Et ces entomologistes précisent que « les nymphes d'H. marginatum et H. rufipes ont besoin de période prolongée de température élevée et d'humidité relative faible pour se développer en adultes. Notre hypothèse est que les plus de 8 semaines de météo chaude et sèche subie en Allemagne cet été ont permis à un plus grand nombre de nymphes importées par les oiseaux migrateurs du Sud de l'Europe et d'Afrique de se développer en adultes et de se retrouver sur le bétail ». Car ces nymphes préfèrent les oiseaux aux rongeurs, et restent sur leur hôte quasiment un mois… Le temps de faire de longs trajets, chaque année, depuis leur berceau africain ou asiatique.

Tique marcheuse

Chaque année, des nymphes de Hyalomma sont ainsi “larguées” par les oiseaux migrateurs, mais ne trouvent pas forcément les conditions de leur survie : le signalement allemand ne deviendra pertinent que si ces tiques ont pu s'implanter. Mais il est utile car ce sont des adultes qui ont été collectés sur des chevaux (dont trois tiques sur un même individu) et sur un mouton. Car cette tique a une biologie très particulière : ses yeux lui permettent de repérer les hôtes de grande taille (jusqu'à une distance de 9 m) et elle se déplace alors activement pour s'y fixer (pas d'embuscade en haut des végétaux, comme le fait Ixodes ricinus). Des entomologues ont décrit des Hyalomma suivant de grands animaux jusque sur une centaine de mètres. La synthèse de l'E-CDC précise que ce sont surtout les animaux de rente – chevaux compris ­- qui y sont réceptifs : « il n'est pas rare de trouver jusque 100 tiques sur un seul animal ». Pour les acarologues allemands, c'est l'effet d'un biais : « les chevaux étant presque quotidiennement pansés par leurs propriétaires, les découvertes sont plus fréquentes que pour des ruminants » domestiques, par exemple. Cela ne s'applique pas aux chevaux ayant permis de confirmer la présence de H. marginatum en Camargue car ils y étaient élevés en semi-liberté.

Risque très faible

Le risque sanitaire d'importer la fièvre hémorragique de Crimée Congo via les oiseaux migrateurs (transportant les nymphes infectées) reste « très faible » selon l'E-CDC. Toutefois, « en septembre 2016, deux cas [humains] autochtones de cette infection, dont un mortel dû à une morsure de tique (l'autre était consécutif à une infection nosocomiale), ont été signalés en Espagne, dans les environs de Madrid », indiquent les chercheurs du Cirad et de l'Inra dans la courte communication de mai dernier qu'ils consacraient à H. marginatum. « Compte tenu de la biologie de la tique, de sa présence en Espagne [voir la carte ci-dessous], et des nombreux échanges commerciaux (transports d'animaux domestiques) existant avec la France, il y a un risque d'introduction du virus depuis ce pays », prévenaient-ils.

Répartition européenne de Hyalomma marginatum, actualisée à mai 2018. En jaune figurent les introductions, et en rouge les zone de présence de l'espèce. En vert sont les régions pour lesquelles sont absence est avérée (source : E-CDC).