titre_lefil
Elanco & Proplan

12 août 2025

Les gastroprotecteurs chez le chat : pas d'utilisation abusive !

par Pascale Pibot

Temps de lecture  6 min

Les gastroprotecteurs peuvent être administrés sous forme orale ou injectable. La voie parentérale se révèle souvent plus efficace, surtout dans le cas des antagonistes des récepteurs H2 de l'histamine (cliché Pixabay).
Les gastroprotecteurs peuvent être administrés sous forme orale ou injectable. La voie parentérale se révèle souvent plus efficace, surtout dans le cas des antagonistes des récepteurs H2 de l'histamine (cliché Pixabay).
 

Les œsophagites et les ulcères gastroduodénaux sont rares chez le chat, mais lorsqu'ils surviennent, l'administration d'agents gastroprotecteurs est recommandée pour protéger l'épithélium lésé. Un traitement trop tardif peut entraîner le développement d'une hémorragie, voire d'une perforation gastro-intestinale.

Les gastroprotecteurs figurent parmi les médicaments les plus utilisés en médecine vétérinaire. Ils se décomposent en trois familles de molécules : les inhibiteurs de l'acidité gastrique, les cytoprotecteurs et les antiacides. Deux spécialistes américains (écoles vétérinaires des Universités du Texas et de Caroline du Nord) publient une revue de la littérature axée sur les indications et les conditions d'utilisation de ces médicaments dans l'espèce féline.

Les inhibiteurs de l'acidité gastrique en première intention

Les inhibiteurs de l'acidité gastrique sont recommandés en première intention chez le chat. Cette catégorie comprend les antagonistes des récepteurs H2 à l'histamine (H2RA) – la famotidine en pratique – et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) – ésoméprazole et oméprazole principalement.

Les H2RA diminuent la sécrétion d'acide gastrique en inhibant de manière compétitive les récepteurs H2 à l'histamine des cellules pariétales (l'histamine est l'un des médiateurs impliqués dans la sécrétion acide, avec l'acétylcholine et la gastrine). Les principaux H2RA sont la ranitidine, la cimétidine et la famotidine. Seule cette dernière est recommandée chez le chat car la première est inefficace dans cette espèce et la deuxième présente des effets indésirables.

La famotidine peut être administrée par voie orale, mais son effet est alors faible et diminue dans les 2 à 3 jours suivant le début de l'administration. Cette voie est donc intéressante lors d'utilisation ponctuelle (en pré-anesthésie par exemple).

Administrée par voie parentérale, la famotidine exerce vite un effet antiacide puissant, mais sa demi-vie est relativement courte. Par conséquent, l'administration parentérale de famotidine deux fois par jour est peu adaptée au traitement d'une œsophagite sévère ou d'un ulcère gastroduodénal. En revanche, son administration en perfusion à débit constant est très efficace.

Très peu d'effets indésirables ont été décrits lors de l'utilisation de la famotidine chez le chat. Le risque d'hémolyse en cas d'administration intraveineuse a été réfuté.

Les IPP : une action plus longue mais des effets secondaires

Les IPP (ésoméprazole, oméprazole) se lient de manière irréversible à la pompe à protons des canalicules des cellules pariétales, inhibant ainsi son fonctionnement. Ils sont disponibles sous forme orale ou injectable.

L'effet maximal de ces molécules peut mettre 4 jours à se manifester, mais leur durée d'action est plus longue que celle des H2RA. L'oméprazole ou l'ésoméprazole sont donc à privilégier lorsqu'il faut agir durablement contre l'acidité gastrique, lors d'ulcère gastroduodénal par exemple. D'autres IPP, tels que le dexlansoprazole et le lansoprazole, sont utilisés chez l'homme, mais ils sont moins efficaces que l'ésoméprazole et l'oméprazole chez le chat.

Les IPP ont besoin d'un l'environnement acide pour être convertis en leur forme active. Or, les H2RA diminuent l'acidité des cellules pariétales ; l'administration concomitante des deux types de médicaments n'est donc pas recommandée pour traiter une œsophagite ou un ulcère gastroduodénal. En revanche, en cas de suspicion de reflux gastro-œsophagien, un H2RA peut être administré le soir, associé avec une prise biquotidienne d'IPP.

L'oméprazole n'est pas sans effets secondaires chez le chat : son administration entraîne une dysbiose intestinale qui disparaît dans les jours suivant l'arrêt du médicament. Lors de traitement prolongé (plus de 60 jours), une hypersécrétion gastrique de rebond peut se produire en cas d'arrêt brusque de l'administration ; l'arrêt du traitement devra donc être progressif.

L'administration d'IPP peut aussi perturber l'absorption des médicaments qui nécessitent un environnement acide, tels que les céphalosporines, les antifongiques azolés et le mycophénolate.

Les cytoprotecteurs : prudence lors de MRC pour le sucralfate

Parmi la deuxième famille de molécules (les cytoprotecteurs) figure essentiellement le sucralfate, lequel exerce un effet protecteur sur la muqueuse gastrique. En médecine humaine, le sucralfate exerce un effet apaisant sur les muqueuses irritées, augmentant le confort du patient.

Le baryum est un autre cytoprotecteur, disposant aussi de propriétés hémostatiques, mais aucune étude n'a évalué son efficacité lors de saignements gastro-intestinaux chez le chat.

Dans l'estomac, le sucralfate se décompose en octasulfate de saccharose et en hydroxyde d'aluminium.

  • L'octasulfate de saccharose forme des liaisons stables avec l'exsudat riche en protéines au niveau des ulcères, empêchant la diffusion d'acide à travers de l'épithélium gastro-œsophagien. Le site ulcéré est ainsi protégé contre les effets de la pepsine.
  • L'hydroxyde d'aluminium exerce un effet tampon contre l'acidité.

Le sucralfate est à administrer sous forme de suspension, en veillant à ne pas le donner en même temps que d'autres médicaments qui dépendent de l'acidité gastrique. Nombreux sont les chats qui n'apprécient pas le goût crayeux du sucralfate. En cas de problème d'observance du traitement d'un ulcère gastroduodénal, mieux vaut ainsi opter pour un IPP.

Le sucralfate entraîne un risque de constipation et d'hypovolémie ; il peut alors aggraver l'azotémie. La prudence est donc de mise chez les chats atteints de maladie rénale chronique (MRC).

Dans cette catégorie également, le misoprostol est un analogue de synthèse de la prostaglandine E1. Les prostaglandines endogènes stimulent la sécrétion de mucus riche en bicarbonate, améliorent le flux sanguin dans la muqueuse et favorisent le renouvellement épithélial. Chez le chien, le misoprostol peut contribuer à prévenir l'apparition des lésions gastriques induites par les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), mais son efficacité chez le chat est peu documentée.

Les antiacides en complément

Le carbonate de calcium, l'hydroxyde d'aluminium et l'hydroxyde de magnésium neutralisent les sécrétions acides dans l'estomac. Ils peuvent exercer un effet analgésique local en cas de lésions ulcéreuses ou érosives douloureuses. Toutefois, leur effet est transitoire, et il est difficile de répéter souvent l'administration chez un chat.

Les antiacides seront utilisés en complément d'un autre traitement, en les administrant 1 à 2 heures après les inhibiteurs de l'acidité gastrique ou les cytoprotecteurs.

Plusieurs contre-indications à respecter

Des contre-indications à l'usage des gastroprotecteurs existent.

Ainsi, un traitement préventif des œsophagites et des ulcérations gastroduodénales n'est généralement pas recommandé chez le chat, même si l'animal reçoit des glucocorticoïdes ou des AINS. L'exception à cette règle concerne les cas où il existe plusieurs facteurs de risque d'hémorragie gastro-intestinale, mais la pancréatite, les maladies hépatiques et la MRC ne font pas partie de ces facteurs de risque.

Les gastroprotecteurs ne doivent pas non plus être utilisés comme des antiémétiques. L'administration d'oméprazole est d'ailleurs inefficace pour réduire les vomissements.

Lors d'anesthésie, l'administration de protecteurs gastriques peut réduire l'acidité gastrique, mais le bénéfice réel de cette pratique est inconnu car les antiacides ne préviennent pas les reflux gastro-œsophagiens eux-mêmes. En l'absence de facteurs de risque particulier de reflux (brachycéphalie ou hernie hiatale par exemple), il n'est donc pas recommandé d'administrer systématiquement un antiacide avant une intervention. Si un reflux important est observé pendant l'anesthésie générale, un traitement local (administration de baryum dilué ou de sucralfate dans l'œsophage) ou systémique (administration intraveineuse d'un inhibiteur de l'acidité gastrique) sera réalisé.

D'une manière générale, la durée du traitement dépend de la cause sous-jacente de l'inflammation. Lorsque possible, le facteur déclenchant sera également traité.

Pour plus d'informations à propos de l'utilisation rationnelle des gastroprotecteurs chez le chat (et le chien), les recommandations de l'ACVIM, publiées en 2018, sont disponibles en libre accès.