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Elanco & Proplan

6 juin 2024

Cryptorchidie et cancers testiculaires : les travaux chez l'homme n'éclairent pas la pathogénie chez le chien

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Une publication récente propose une chronologie de la tumorisation dans les testicules de chiens cryptorchides. Un défaut de maturation/différenciation cellulaire avant la puberté entraîne la persistance de cellules de Sertoli et de gonocytes immatures chez les chiens adultes, et potentiellement le développement d'une néoplasie des cellules germinales in situ (GCNIS). La prolifération aberrante des cellules immatures conservées à l'âge adulte entraîne la formation de séminomes et de tumeurs à cellules de Sertoli (TCS). La relation entre la cryptorchidie et les tumeurs des cellules interstitielles (TIC) reste inconnue ; cependant, la stéroïdogenèse perturbée des cellules de Leydig et le rapport testostérone/estradiol pourraient potentiellement contribuer au développement d'autres tumeurs testiculaires. Soto-Heras et coll., 2024.
Une publication récente propose une chronologie de la tumorisation dans les testicules de chiens cryptorchides. Un défaut de maturation/différenciation cellulaire avant la puberté entraîne la persistance de cellules de Sertoli et de gonocytes immatures chez les chiens adultes, et potentiellement le développement d'une néoplasie des cellules germinales in situ (GCNIS). La prolifération aberrante des cellules immatures conservées à l'âge adulte entraîne la formation de séminomes et de tumeurs à cellules de Sertoli (TCS). La relation entre la cryptorchidie et les tumeurs des cellules interstitielles (TIC) reste inconnue ; cependant, la stéroïdogenèse perturbée des cellules de Leydig et le rapport testostérone/estradiol pourraient potentiellement contribuer au développement d'autres tumeurs testiculaires. Soto-Heras et coll., 2024.
 

Le débat médical n'est pas clos sur le fait que la localisation d'un testicule cryptorchide est à l'origine du risque de développer un cancer, ou s'il s'agit d'une cause commune aux deux phénomènes. Une revue de la littérature, dans les espèces humaine – où la question se pose en premier lieu – et canine – pour laquelle peu de données sont disponibles – vient d'être publiée par des épidémiologistes et biologistes vétérinaires de l'université d'Urbana-Champaign (USA), plusieurs co-auteurs faisant aussi partie d'une startup du campus de cette université développant « une solution alternative à la castration ». Les auteurs mettent en évidence des différences, qui leur font recommander la prudence quant à l'utilisation du chien comme modèle animal pour l'étude de la cryptorchidie chez l'homme.

Jusqu'à 140 jours pour descendre

Première différence : alors que les garçons naissent avec les testicules descendus dans le scrotum, chez le chiot le testicule se trouve « près de l'anneau inguinal interne et la tête de l'épididyme est souvent déjà engagée dans l'anneau ». La descente des testicules dans le scrotum prend, selon les descriptions, de 35 à 140 jours. Et bien que plusieurs hormones interviennent dans la phase abdominale, « la descente normale des testicules dépend de l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, qui régule la production de testostérone ». Chez l'humain, la cryptorchidie est donc détectable à la naissance et sa prévalence est autour de 1 %. Chez le chiot, elle est définie par l'absence de l'un ou des deux testicules dans le scrotum à l'âge de 6 mois ; sa prévalence varie entre 1 et 15 %, selon les races et les régions. Chez l'humain, la prévalence de la cryptorchidie augmente chez les nourrissons de faible poids de naissance ou prématurés ; c'est attribué à une insuffisance de sécrétion d'hCG (qui contrôle partiellement la descente des testicules pendant la gestation) par le placenta. Il n'y a pas de données sur cet aspect chez le chiot.

Sertolinomes plus tôt

Selon les études, les chiens cryptorchides présentent un sur-risque de x 9,2 à x 13,6 de développer un cancer testiculaire par rapport à un chien entier “normal” (chez les entiers, il y a de 6 à 7 % de tumeurs testiculaires selon les publications). Mais surtout, ce cancer apparaît significativement plus tôt : 7,8 ans pour les tumeurs sur testicules en position abdominale, 8,8 ans pour ceux en position inguinale et 11 ans pour ceux en position scrotale (témoin). Les sertolinomes se produisent plus tôt (autour de 8 ans) que les autres types de cancers : cancers des cellules germinales (séminomes et non séminomes) et des cellules stromales (des cellules de Leydig ou encore de Sertoli). Un testicule peut développer des tumeurs mixtes (des deux types). Sertolinomes et tumeurs des cellules intersticielles (de Leydig) sont les types les plus fréquents, dans des proportions comparables (24-42 % et 23-51 % respectivement et selon les publications).

Peu de sertolinomes chez les hommes

Chez les humains, la prévalence des cancers testiculaires est faible, représentant 1 % des néoplasies, survenant surtout entre 15 et 40 ans. La moitié de ces tumeurs sont des séminomes, tandis que les sertolinomes et les tumeurs spermatocytaires sont très rares. Le sur-risque de développement d'un cancer testiculaire est x 2,75 à x 8 selon les études lors de cryptorchidie (et alors ce sont des séminomes dans 3 cas sur 4). Après correction chirurgicale, la proportion de séminomes lors du développement tumoral chute à 37 %. Les auteurs attribuent ces « différences d'incidence de types de tumeurs spécifiques à la chronologie différente de la descente testiculaire, de la différenciation des gonocytes et de la formation de la barrière sang-testicule ».

Séminomes : pas de marqueurs canins

Les séminomes sont des tumeurs malignes et seraient liées à une anomalie de la différenciation des cellules souches germinales (normalement elle s'effectue jusqu' à la 16e semaine d'âge chez le chiot et entre 3 et 6 mois chez le garçon). Cette population persistante peur alors se “maligniser”. Les détails et le support génétique de ce phénomène est bien décrit chez l'homme. Plusieurs marqueurs sanguins ont été identifiés chez l'homme, mais qui ne sont présents que chez 60 % des patients. L'utilisation de ces marqueurs n'a pas été validée sur les séminomes canins. Les tumeurs spermatocytaires proviennent des spermatocytes ou des spermatogonies. Elles correspondent à la “reclassification” des séminomes canins, du fait de leur homologie – au plan des lésions histologiques – avec ce type de tumeurs chez l'homme. Toutefois, « les tumeurs spermatocytaires canines présentent fréquemment des infiltrats lymphocytaires et une invasion intravasculaire, qui sont des caractéristiques rares chez l'homme ». Enfin, pour les tumeurs des cellules germinales, il y a une influence de la sécrétion de LH à la puberté chez l'humain, qui n'existe pas chez le chien.

Marqueurs pour les sertolinomes

Les tumeurs des cellules de Sertoli sont liées à des cellules immatures et un marqueur est jugé utile en canine, l'AMH, une glycoprotéine responsable de la régression du canal de Mueller chez le mâle (sa persistance au-delà de 45 jours d'âge dans le testicule est signe d'immaturité). Elle est dosable dans le sang (10 ng/ml chez le sujet normal et 22 chez le chien à sertolinome). D'autres marqueurs sont signalés, allant tous dans le sens d'une immaturité, et d'anomalies du développement (présence de la claudine 11, protéine des jonctions serrées, dans le noyau des cellules de Sertoli cancéreuses). Ces cellules fabriquent plus d'œstrogènes et moins de testostérone : le sertolinome est associé à la féminisation du chiot (gynécomastie, prépuce pendulaire, alopécie, hyperpigmentation…).

Deux gènes associés à la cryptorchidie, pas aux cances testiculaires

Sur l'aspect génétique, le cancer testiculaire s'observe dans des lignées familiales humaines, avec un modèle polygénique bien établi. Chez le chien, il n'a pas été détecté de mutations favorisant le phénomène, mais il est plus fréquent dans certaines races : golden retriever, Labrador retriever (séminomes), bichon maltais, Jack Russel terrier, caniche et Yorkshire terrier (cancer des cellules de Leydig et sertolinomes). Toutefois, les facteurs environnementaux importent : en humaine ce sont le tabagisme, l'exposition aux pesticides, ou à la métallurgie… Le nombre de travaux sur le sujet est très limité chez le chien. Il reste qu'à la fois la descente testiculaire et les types de tumeurs observés sont différents dans les deux espèces. Il est donc probable que les cancers testiculaires n'aient pas la même étiopathogénie. Il n'en est pas de même pour la cryptorchidie : deux gènes ont été trouvés associés à cette anomalie dans les deux espèces :

  • le gène codant pour INSL3, une hormone qui joue un rôle d'initiateur de la descente testiculaire en phase abdominale ;
  • et le gène codant pour le récepteur d'INSL3 (nommé RXFP2).

Le rôle de la génétique est toutefois partiel quand il s'agit de cancérisation du testicule, par rapport à celui de la non-descente car chez l'humain, le testicule descendu présente un risque 10 fois moindre de cancer ; et lors de la correction chirurgicale de la cryptorchidie, le risque de cancérisation du testicule est divisé par 3. Quant au rôle de la température centrale sur le développement cancéreux du testicule intra-abdominal, les auteurs rappellent que les données expérimentales reposent sur les rongeurs, dont le développement des spermatogonies en gonocytes se fait avant la descente, ce qui ne reflète pas la situation des chiens. Il faudrait, pour répondre à cette question, réaliser une cryptorchidie induite sur de jeunes chiots, ce qui a peu de chances d'être accepté au plan éthique.

Quatre recommandations

Au terme de leur revue de synthèse, les auteurs reconnaissent que « le débat se poursuit pour savoir si la localisation du testicule non descendu entraîne directement une susceptibilité accrue aux cancers ou s'il existe une pathogénie commune ». Pour lever certaines des inconnues, les auteurs proposent quatre recommandations en médecine canine :

  • établir des registres de cancers afin de disposer de données de prévalence fiables pour chaque type de cancer testiculaire, et leur lien avec la cyptorchidie (uni- ou bilatérale),
  • réaliser une étude d'association pangénomique à grande échelle, qui différencie les principaux types de cancer du testicule,
  • réaliser une étude sur la cryptorchidie induite chirurgicalement chez les chiots nouveau-nés, pour évaluer l'effet de la position du testicule (et donc de la température) sur le développement des gonocytes et des cellules de Sertoli,
  • comparer les concentrations en FSH, LH, testostérone et œstradiol chez les chiens cryptorchides unilatéraux et bilatéraux, parallèlement à une analyse des récepteurs hormonaux dans les cellules des testicules scrotaux et cryptorchides.