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Elanco & Proplan

3 avril 2024

Chat stressé va pleurer

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Le stress aigu provoque une sécrétion augmentée de larmes chez le chat bien portant, indique une étude brésilienne récente. Ces diagrammes en boîte figurent les valeurs médianes, les 1er et 3e quartiles, et les limites inférieures et supérieures des résultats du test de Schirmer (moyenne des deux yeux pour 24 chats), lorsque la mesure est réalisée avec et sans stress (Donat Almagro et coll., 2024).
Le stress aigu provoque une sécrétion augmentée de larmes chez le chat bien portant, indique une étude brésilienne récente. Ces diagrammes en boîte figurent les valeurs médianes, les 1er et 3e quartiles, et les limites inférieures et supérieures des résultats du test de Schirmer (moyenne des deux yeux pour 24 chats), lorsque la mesure est réalisée avec et sans stress (Donat Almagro et coll., 2024).
 

Le stress aigu augmente les sécrétions lacrymales des chats, et il faut en tenir compte lors de session d'examen ophtalmologique, préviennent des cliniciens de la faculté vétérinaire de Fronteira Sul (Brésil). Car ils viennent de publier la confirmation de ce résultat contre-intuitif.

Stress et Schirmer

« Chez les chats, il était jusque récemment supposé que la stimulation sympathique induite par le stress pouvait réduire temporairement la production de larmes, entraînant une baisse des valeurs mesurées par le test de Schirmer ». Un étude publiée dans le JAVMA en 2020 avait cependant enfoncé un coin dans ce préjugé, en montrant que des chats examinés dans une pièce au calme, puis une demi-heure plus tard dans la même pièce mais avec un fond sonore pré-enregistré bruyant (mimant des conditions stressantes) ne présentaient pas de différence significative pour les résultats du test de Schirmer. Les auteurs brésiliens ont enrôlé 25 chats (24 retenus, 12 mâles et 12 femelles, tous entiers) dans leur étude ; il s'agissait de chats de compagnie, dont les propriétaires ont fourni un consentement à participer à l'étude. Ils étaient dénués d'historique d'affection ophtalmologique, en bonne santé à l'inclusion dans l'étude et ont subi un examen ophtalmologique à l'inclusion (toute anomalie les excluait du protocole).

Phase d'adaptation

Les chats ont été tirés au sort pour constituer quatre groupes de 6, la seule contrainte étant de répartir les sujets en 3 mâles et 3 femelles par groupe. Chaque groupe est entré à l'hôpital universitaire à une semaine d'écart. Les chats étaient alors placés dans une grande cage en inox (240 x 60 x 60 cm), avec eau et aliment à volonté, une litière, une couverture et une boîte où s'isoler, et des jouets. La température, la lumière et le bruit étaient contrôlés et une apaisine diffusée pendant toute cette phase d'adaptation. Tous les matins sur quatre jours consécutifs, deux des auteurs réalisaient sur chaque chat, comme “entraînement”, un test de Schirmer (1 minute) pour chaque œil. L'intervention était suivie de l'administration d'une friandise, puis du retour à la cage.

Les jours J

L'avant-dernier jour de l'étude (5e manipulation), les mesures « sans stress » étaient effectuées : chaque chat, ce matin-là, était successivement porté dans une couverture pulvérisée d'apaisine, dans la salle de consultation attenante. Dans celle-ci, l'ambiance diffusait apaisine et « musique spécifique féline ». Ils y restaient 5 minutes sans intervention. L'ordre (œil gauche ou droit en premier) était tiré au sort, puis les deux bandelettes du test de Schirmer étaient placées. La fréquence cardiaque était mesurée avant le placement des bandelettes, 10 secondes après, puis 30 secondes après leur retrait… Le dernier jour, les mêmes opérations étaient réalisées, mais en conditions stressantes : les chats étaient conduits dans une salle éloignée (pour que les sujets au chenil n'entendent pas les bruits) où l'enregistrement d'aboiements et de feulements était diffusé à un volume élevée (70 db, contre 60 db la veille). Et l'un des deux humains présent était inconnu des chats (mais il ne participait pas aux manipulations). Sur les 6 jours de l'étude, le stress de chaque chat lors de chaque intervention était noté par les deux opérateurs (de 1 : détendu, à 4 : terrifié), et la moyenne des deux notes retenues.

Plus de larmes sous stress

Pour le test de Schirmer, les auteurs ont validé qu'il n'y avait pas de différence significative entre les valeurs de chaque œil d'un même sujet, ni pour le sexe des sujets, et c'est la valeur moyenne des deux yeux qui est présentée pour l'ensemble des chats. Pour 23 des 24 chats, il y a eu augmentation des sécrétions lacrymales le jour du test sous stress. « Les valeurs moyennes du test de Schirmer étaient significativement plus élevées(p=0,009) lors de stimuli induisant un stress (22,2 ± 6,0 mm/min) que lors d'examens sans stress (17,5 ± 6,9 mm/min) », voir l'illustration principale. Et stress il y a bien eu le 6e jour :

  • la fréquence cardiaque moyenne était de 171,5 ± 28,6 bpm sans stress, et de 213,4 ± 37,5 bpm avec stress (p=0,028) ;
  • la valeur moyenne de la note de stress était de 1,2 ± 0,4 le 5e jour et de 3,3 ± 0,5 le lendemain (p<0,001).

Intervalle de référence

L'étude du JAVMA n'avait pas mis en évidence d'augmentation significative de la sécrétion lacrymale des chats stressés, mais les auteurs de la présente étude estiment que les conditions étaient différentes. Dans le cas présent, la période d'adaptation, absente dans l'étude de 2020, pourrait avoir permis de limiter les effets d'un stress lié à la procédure elle-même. Et ils soulignent que le protocole retenu ici est de nature à limiter les variations inter-individuelles, et donc les biais de leurs résultats. Quant à transposer ces résultats en pratique, ils conviennent que leur étude « souligne l'importance d'employer des stratégies de réduction du stress lors de l'évaluation de la production de larmes chez les patients félins ». Mais les valeurs du test de Schirmer, bien qu'augmentées lors de stress, restent dans l'intervalle de référence : elles ne sont pas de nature à fausser l'évaluation effectuée. Il reste que :

  • la présomption d'une réduction des sécrétions lacrymales du fait du stress est remise en cause ;
  • un manipulation des chats qui limite les stress permettra une mesure de meilleure précision ;
  • et surtout, elle permettra d'améliorer le confort du chat, pendant cet examen et les suivants.