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Elanco & Proplan

8 décembre 2023

En Europe, une espèce sur cinq (animale + végétale) est menacée d'extinction

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Principales menaces actuelles sur la biodiversité en Europe, à partir de la liste rouge des espèces menacées de l'UICN. En rouge figurent les espèces menacées d'extinction, en vert celles qui sont soit proches d'être menacées soit qui ne le sont pas, et en gris celles pour lesquelles il manque des données pour se prononcer (Hochkirch et coll., 2023).
Principales menaces actuelles sur la biodiversité en Europe, à partir de la liste rouge des espèces menacées de l'UICN. En rouge figurent les espèces menacées d'extinction, en vert celles qui sont soit proches d'être menacées soit qui ne le sont pas, et en gris celles pour lesquelles il manque des données pour se prononcer (Hochkirch et coll., 2023).
 

La perte de biodiversité en Europe, qu'il s'agisse d'espèces animales ou végétales, terrestres ou aquatiques, sera probablement encore plus élevée que celle estimée jusque-là par la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en anglais) : 19 % de toutes les espèces sont directement menacées d'extinction (voir le graphique principal). C'est la conclusion d'un aéropage de spécialistes mondiaux de la conservation des espèces animales comme végétales, qui a passé en revue le statut de conservation de 14 669 espèces (dont tous les vertébrés présents en Europe).

Révision régulière

Les auteurs se sont fondés sur les évaluations réalisées pour chaque espèce dans le cadre de la liste rouge des espèces menacées de l'union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les évaluations de cette liste rouge, qui ont à ce jour été réalisées pour 142 000 espèces dans le monde, « compilent les meilleures données disponibles sur le risque d'extinction » de chacune. Elle permet aussi, avec une révision régulière, de « mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs internationaux de conservation de la biodiversité en étayant des indicateurs de biodiversité appropriés ». L'Europe est le continent pour lequel la proportion d'espèces évaluées par rapport au nombre total d'espèces décrites est la plus élevée car la Commission européenne finance ces évaluations depuis 2006. Les auteurs ont donc repris une par une chacune des espèces évaluées à fin 2020 (tous les vertébrés, tous les invertébrés ayant un rôle écosystémique connu (abeilles, papillons, criquets, libellules…) et 12 % des plantes.

18 % des vertébrés, 29 % des plantes

L'évaluation recense ainsi 50 espèces éteintes (totalement ou à l'état sauvage) et 75 autres « possiblement éteintes ». Les espèces menacées d'extinction sont catégorisées soit comme en danger critique d'extinction (CR), soit comme menacées (EN), soit enfin comme vulnérables (VU). Ce sont les plantes qui comportent la proportion la plus élevée d'espèces menacées (CR+EN+VU), avec plus d'une sur quatre (29 %). Les invertébrés sont juste sous cette proportion (24 %), ce qui est le double de la précédente estimation par l'IPBES (10 % des espèces d'insectes, mais avec une incertitude élevée). À noter que 86 % des espèces d'invertébrés menacées sont endémiques pour l'Europe. Un peu moins d'une espèce de vertébré sur cinq (18 %) des vertébrés est également menacée d'extinction. Enfin, à peine plus de la moitié des espèces menacées sont décrites comme présentes dans des zones protégées (les autres ne bénéficient donc pas de mesures de conservation comparables). Les deux régions où la biodiversité est la plus menacée sont les Alpes et les Balkans.

Agriculture, premier facteur de menace

Bien que le changement climatique soit un des facteurs pris en considération par les experts dans les causes de menace d'extinction, le premier facteur de risque en termes d'importance est l'agriculture, y compris la foresterie. Il s'exerce particulièrement sur les végétaux et les invertébrés. Les auteurs indiquent que l'impact négatif de l'agriculture sur la biodiversité a souvent été cité, mais dans le cas présent, il s'agit de « l'analyse la plus complète et la plus claire à ce jour, réaffirmant l'ampleur de l'impact de cette menace à l'échelle continentale ». Parmi les pratiques en cause, ils citent notamment l'intensification et l'homogénéisation de l'utilisation des terres, avec des parcelles plus grandes, des machines plus importantes et plus lourdes, phénomènes qui ont commencé au XIX siècle, « l'utilisation d'engrais et de pesticides, la diminution de la diversité des cultures, l'augmentation de la densité du bétail, le fauchage plus précoce et plus fréquent, le drainage, l'irrigation, le labour, le roulage, l'abandon des techniques de gestion historiques, etc. ». S'y ajoute la réduction des surfaces de prairies et de petites exploitations. Les auteurs relèvent l'ironie que ces pratiques ont été favorisées par les subventions de la politique agricole commune alors que la même Union européenne a aussi largement financé les données ayant permis la présente étude. « Maintenir de tels habitats sera un défi dans la mesure où la gestion agricole traditionnelle n'est plus rentable à présent ».

Pollution, anthropisation…

Suivent la surexploitation des ressources, la pollution et l'extension des zones résidentielles et commerciales. Le facteur ayant le plus d'impact sur les vertébrés est la surexploitation, directe (capture, chasse, pêche…) comme indirecte (captures collatérales). Le développement de l'habitat humain se fait directement au détriment de celui des espèces considérées (écosystèmes), tandis que la pollution affecte avant tout les espèces dulçaquicoles. Le changement climatique n'apparaît qu'ensuite. Toutefois, il est catégorisé par les experts comme « la menace émergente la plus importante ». Ce qui est « corroboré par le nombre croissant de sécheresses en Europe, qui augmente le risque d'incendies de forêt, aggravé par une augmentation des prélèvements d'eau pour l'agriculture et l'approvisionnement domestique ».

De l'action !

Les auteurs soulignent l'insuffisance des données pour de nombreuses espèces, soit de dénombrement, soit de répartition spatiale. Ainsi, bien que toutes les espèces d'abeilles ont été passées en revue, l'analyse s'est conclue par “données insuffisantes” pour 57 % d'entre elles. De même, il n'y a pas de surveillance systématique des populations d'espèces menacées d'extinction. Si les vertébrés sont mieux lotis de ce point de vue que les invertébrés, « il y a aussi un besoin de recherche sur l'efficacité des actions de conservation ». Malgré ces limitations, les auteurs espèrent que ce travail monumental sera pris en considération : « nous disposons de suffisamment de preuves pour agir – ce qui manque à présent c'est l'action » en faveur de la protection de la biodiversité. Des financements sont disponibles (programmes EU LIFE) et ils estiment que « les États membres doivent maintenant renforcer leur capacité à mener ou à soutenir des projets de conservation et à créer des structures optimales pour planifier et mettre en œuvre des actions de conservation ».