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17 mai 2023

Le moustique tigre a conquis (presque) toute la Gaule

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Carte de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France à janvier 2023. Ce moustique est vecteur potentiel de plusieurs virus comme le Zika, le Chikungunya, la dengue... (source : DGS, 2023).
Carte de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France à janvier 2023. Ce moustique est vecteur potentiel de plusieurs virus comme le Zika, le Chikungunya, la dengue... (source : DGS, 2023).
 

Il est à présent détecté dans au moins 71 des 96 départements métropolitains, selon des communiqués publiées conjointement par le ministère de la Santé et l'Anses (voir l'illustration principale). Lui, c'est le moustique tigre (Aedes albopictus). Arrivé sur la pointe de la trompe en 2004, il s'est plu en métropole. Au point que dès 2009, le centre européen de contrôle des maladies infectieuses (E-CDC) prévoyait une probabilité élevée de diffusion sur l'ensemble du territoire pour 2030 (voir la carte ci-dessous). Le moustique est en train de donner raison aux experts.

Cartographie européenne de la probabilité d'implantation d'A. albopictus en Europe d'ici 2030 : plus le rouge est intense et plus cette probabilité est élevée (E-CDC, 2009).

 

Des pondoirs

Les cartes publiées par les autorités de santé fournissent les données actualisées à janvier dernier. Elles sont réalisées grâce aux données issues de la surveillance entomologie et des contributions citoyennes. Le communiqué de l'Anses précise que le dispositif officiel de surveillance « comprend des réseaux de pièges pondoirs, installés dans des zones à risque élevé d'importation du moustique tigre (comme les zones portuaires), le long des axes de communication ou dans des communes où le moustique n'a pas encore été identifié ». Plus de 4 000 ont été installés en 2018 sur l'ensemble de la métropole. « Cette surveillance dite entomologique active est réalisée par les opérateurs en charge de la lutte anti-vectorielle ». Depuis 2014, elle est « complétée par une surveillance entomologique “passive” reposant sur un signalement par les citoyens ».

Sciences citoyennes

Les citoyens peuvent ainsi contribuer à la connaissance de l'implantation du moustique en signalant sa présence sur un site internet dédié. Pour ce faire, il faut disposer « d'une photo d'un moustique tigre ou d'un moustique dans un état permettant son identification ». L'Anses ajoute que « lorsqu'un signalement provient d'une zone jusqu'alors non colonisée par le moustique, la validation du signalement peut conduire à compléter les observations du dispositif de surveillance entomologique active, en installant des pièges pondoirs dans cette nouvelle zone ». Il n'est pas précisé si le statut de la Creuse (tâche blanche du centre de la France dans l'illustration principale) est lié à sa faible densité de population humaine ou à un défaut dans le maillage de la surveillance entomologique.

Chiens : West Nile et dengue ?

La connaissance de la répartition géographique du moustique tigre importe du fait de son rôle de vecteur de virus spécifiques de l'humain (Zika et Chikungunya). Pour le virus West Nile (WNV), cette espèce a été retrouvée infectée par le virus, mais la réalité et l'importance du moustique tigre dans l'épidémiologie de l'infection reste à démontrer. Une équipe vétérinaire mexicaine a publié en 2022 les résultats de recherche sérologique des traces de l'infection par le WNV chez près de 300 chiens de compagnie de trois zones d'endémie du virus (infection humaine). Le taux de positivité variait de 1,2 à 42,3 %, mais les auteurs n'ont pas recherché la présence du virus lui-même. Ils en concluent que le chien pourrait être une sentinelle de la circulation virale (à l'image du dispositif de surveillance français où le cheval fait office de sentinelle), sans être un réservoir, car A. albopictus « se nourrit fréquemment sur les chiens ». Pour le virus de la dengue hémorragique, les travaux scientifiques récents ont des résultats contrastés quant à la place du chien dans l'épidémiologie de l'infection. En Thaïlande, des biologistes et épidémiologistes ont réalisé une enquête sur les chiens de trois régions du pays, à la recherche du génome du virus (et du virus infectieux lui-même). Les échantillons de sang positifs en qRT-PCR ont été inoculés en lignée cellulaire (de moustiques et de chiens). En zone urbaine, endémique pour la dengue, 6 des 695 échantillons canins ont été trouvés positifs en qRT-PCR, quatre d'entre eux donnant lieu à un isolement viral. En zone rurale (plantation d'hévéas), 1 échantillon sur 153 était positif à la fois en qRT-PCR et en isolement viral. En zone touristique (île de la province de Trat), aucun des 71 échantillons n'a été trouvé positif. Le rôle de réservoir potentiel du virus de la dengue pour l'espèce canine « devrait être exploré pour les zones d'endémie », concluaient ces auteurs en 2017. Dans l'étude mexicaine de 2022, un seul des 294 chiens prélevés avait été trouvé séropositif pour un virus de la dengue, malgré une circulation active chez l'humain. Ces auteurs en concluaient que le chien ne pouvaient jouer le rôle de sentinelle pour le risque de dengue chez les humains.

Communes à risque

Comme le moustique tigre est une espèce « essentiellement urbaine », des cas autochtones de dengue sont détectés en nombre croissant dans le sud de la France, où il est bien installé. Ces cas sont liés à la transmission locale par le moustique tigre à partir de personnes revenant de vacances avec une virémie. En septembre dernier, Santé Publique France avait recensé 47 cas autochtones répartis en 5 foyers, « dans des départements jusque-là épargnés : les Pyrénées-Orientales [un cas à Perpignan à la mi-juin ; foyer clos], les Hautes-Pyrénées [3 cas à Andrest et un à Rabastens] et la Haute-Garonne [4 cas d'une même famille à la Salvetat-Saint-Gilles]. Auparavant les cas étaient majoritairement survenus dans le Var [7 cas à Fayence, foyer clos], les Alpes-Maritimes, l'Hérault et le Gard ». De fait, le niveau d'exposition humain (et donc a priori canin) au moustique tigre varie selon les communes (voir la carte ci-dessous). Et, précise l'Anses, « une fois installé dans une commune ou un département, il est pratiquement impossible de s'en débarrasser. Les départements dans lesquels le moustique tigre est implanté et actif, sont répartis en 2 catégories, les départements faiblement colonisés si moins de 40 % des communes du département sont colonisées, les départements fortement colonisés si au moins 40 % des communes du département sont colonisées ».

Proportion de la population humaine par département, habitant des communes où le moustique tigre est présent à janvier 2023 (DGS, 2023).

 

En conséquence, la proportion de la population humaine exposée est encore faible à nulle dans la moitié nord de la France, mais est supérieure à 40 % dans le tiers sud (de Bordeaux à Bourg-en-Bresse), ainsi qu'en Côte-d'Or et dans le Bas-Rhin.