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30 janvier 2023

Urgentistes : plus souvent en burnout que leurs homologues d'humaine

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

L'homme fatigué, du sculpteur hongrois József Somogyi, exprime bien le sentiment intérieur des personnes en épuisement professionnel (cliché : Burrows ; wikimedia).
L'homme fatigué, du sculpteur hongrois József Somogyi, exprime bien le sentiment intérieur des personnes en épuisement professionnel (cliché : Burrows ; wikimedia).
 

Les urgentistes vétérinaires présentent des notes de signes de burnout nettement plus élevées que celles de leurs homologues d'humaine, indique une étude nord-américaine publiée en ce début d'année.

Épuisement, erreurs médicales…

En médecine humaine, « au moins un symptôme d'épuisement professionnel est signalé par plus de la moitié des médecins, la prévalence la plus élevée de symptômes étant observée chez les prestataires de médecine d'urgence ». La littérature vétérinaire est plus limitée sur le sujet. Deux références laissent à penser que la situation est comparable :

  • une enquête menée auprès de vétérinaires ayant quitté la pratique des urgences après avoir travaillé sur le terrain pendant plus de 5 ans en Amérique du nord et dont les résultats ont été publiés en 2021 indique que « près de la moitié de ces vétérinaires ont le sentiment d'être confrontés à l'épuisement professionnel » ;
  • une étude sur quatre hôpitaux vétérinaires d'Amérique du nord dédiée aux techniciens vétérinaires (métier intermédiaire entre ASV et praticien), montre que les signes autodéclarés de burnout sont associés à un risque accru d'erreurs médicales.

Les auteurs ont donc choisi de se pencher sur les vétérinaires urgentistes, avec la première enquête qui leur soit directement consacrée.

Plus de 1 200 réponses

Le questionnaire de l'enquête a été adressé aux plus de 4 700 membres de la Veterinary Emergency and Critical Care Society, répartis à travers le monde, de mai à juillet 2018. Il comportait des questions sur la démographie du répondant (qui devait travailler au moins 20 h par semaine dans une équipe d'urgence), les signes d'épuisement professionnel (critères utilisés pour les enquêtes auprès du personnel soignant) et des « variables de son environnement de travail » (28 points, sur la charge de travail, les valeurs, etc., à noter de 1 à 5). Il y a eu au total 1 204 réponses exploitables, dont 19 % d'urgentistes spécialisés, 39 % de vétérinaires travaillant dans ce domaine mais sans diplôme de spécialité, et 30 % de techniciens. La quasi-totalité des répondants (84 %) travaillaient dans une structure d'urgence (centre hospitalier d'urgence, hôpital vétérinaire privé ou universitaire). Plus de la moitié (56 %) avaient plus de 10 ans d'expérience professionnelle. Un sur cinq (21 %) moins de 5 ans. Les trois quarts avaient des astreintes. La très grande majorité (85 %) des répondants étaient des femmes.

Significativement plus de signes de burnout

Pour les réponses relatives au burnout (voir le tableau ci-dessous), les auteurs prennent en comparaison les résultats d'une enquête ayant utilisé la même notation, à laquelle ont répondu 315 professionnels en médecine humaine au Canada, et publiée en 2015. Cette cohorte présentait « les mêmes caractéristiques démographiques » que celle des répondants de la présente enquête. Sur les trois volets de l'évaluation de l'épuisement professionnel, les urgentistes vétérinaires avaient des notes significativement moins favorables que leurs homologues d'humaine. Pour mieux guider l'interprétation de ces notes, les auteurs rappellent que :

  • une note moyenne de 2,0 à 2,9 représente une expérience qui se produit une fois par mois ou moins. Pour l'épuisement émotionnel (EE), cela représente une note de 18 à 26,1, pour la dépersonnalisation (DP) une note de 10 à 14,5 (ce qui est le cas des répondants), et pour la réussite personnelle (RP) de 16 à 23,2.
  • une note moyenne de 3,0 à 3,9 représente une expérience qui se produit plusieurs fois par mois. Soit des valeurs de 27 à 35,1 pour l'EE (ce qui est le cas des répondants), de 15 à 19,5 pour la DP et de 24 à 31,2 pour la RP) ;
  • et une note moyenne de 4,0 à 4,9 représente une expérience qui se produit une fois par semaine. Soit des valeurs de 36 à 44,9 pour l'EE, de 20 à 24,5 pour la DP et de 32 à 39,2 pour la RP, ce qui est heureusement le cas des répondants.

Notes des trois domaines d'évaluation du syndrome d'épuisement professionnel dans l'enquête consacrée aux urgentistes vétérinaires d'Amérique du nord par rapport aux résultats d'une enquête auprès de leurs homologues d'humaine, au Canada en 2015, présentant les mêmes caractéristiques démographiques (LeFil, d'après Holowaychuck & Lamb, 2023).

 

Différences entre sexes… et l'expérience

Les notes moyennes d'épuisement émotionnel sont significativement plus élevées pour les femmes (3,50) que les hommes (3,16). À l'inverse, la réussite personnelle est ressentie plus fortement par les hommes (4,56) que les femmes (4,42). Ces différences sont significatives au plan statistique (p<005). Il n'y a pas de différence pour l'EE selon le diplôme du répondant, mais bien pour la DP : ce sont alors les résidents qui ont la note la plus élevée (3,79), loin au-dessus des autres. L'EE est également plus élevé pour les personnes exerçant en structure d'urgence privée (3,57) ; elle l'est significativement moins dans les hôpitaux universitaires (3,27 – p<0,05). Et cet EE est significativement plus marqué parmi les jeunes diplômés (< 5 ans d'expérience, note à 3,63) – la note d'EE la plus faible est attribuée par les personnes ayant la plus longue expérience (> 20 ans et 3,06). Ces répondants sont aussi ceux ayant les notes de DP la plus faible et de RP la plus élevée. Enfin, le fait d'être marié augmente significativement la perception de l'EE, tandis que le fait d'être divorcé augmente significativement la perception de RP.

Charge de travail et équité

Pour ce qui est de l'environnement de travail, une note > 3,0 est indicatrice de satisfaction, une note < 3,0 d'une absence de satisfaction et une note de 3 d'indécision. Sur l'ensemble des répondants :

  • les critères de maîtrise de son travail, des valeurs, de la récompense et de la communauté étaient perçus favorablement ;
  • ceux relatifs à l'équité et à la charge de travail, au contraire, l'étaient défavorablement.

Les urgentistes spécialisés attribuaient même une note encore plus faible à l'aspect charge de travail (2,38, vs 2,47 pour la moyenne des répondants). Ceux travaillant en hôpital universitaire étaient les moins satisfaits (2,36), devant ceux travaillant en hôpital privé (2,40) puis ceux en hôpital spécialisé d'urgence (2,53). Ceux qui étaient le moins insatisfaits étaient les répondants ayant plus de 20 ans d'expérience (2,65) et ceux n'ayant pas d'astreinte (2,57). Sur l'équité, il y a une différence liée au sexe : les femmes s'estiment non satisfaites (2,84) alors qu'en moyenne les hommes le sont (3,07). Les non spécialistes le sont également (3,03) et les spécialistes le sont presque (2,93), mais les techniciens ne le sont pas du tout (2,53). Sur l'équité, le seul lieu d'exercice où les répondants sont satisfaits sont les cliniques généralistes effectuant des urgences (3,06). Toutes les autres structures sont jugées offrir un environnement non satisfaisant pour l'équité au travail (de 2,83 à 2,88).

Charge de travail avant tout

À partir de l'ensemble de ces résultats, les auteurs ont réalisé une analyse multivariée, permettant d'associer des facteurs de risque a priori indépendants. C'est alors la charge de travail qui apparaît prépondérante dans l'épuisement émotionnel (p<0,001). « Pour chaque augmentation d'une unité de la note relative à la charge de travail [amélioration de sa perception], la note d'EE diminue de 0,94 », indiquant un moindre épuisement. Il en allait de même au regard de la dépersonnalisation (p<0,001). Là encore, « pour chaque augmentation d'une unité de la note relative à la charge de travail, la note de DP diminue de 0,44 ». Pour la réussite personnelle, bien que la charge de travail reste un facteur significatif, le facteur dominant était la récompense : « pour chaque augmentation d'une unité de la note moyenne relative à la récompense, la note de RP augmente de 0,23 ». Ainsi, « une plus grande reconnaissance des contributions apportées sur le lieu de travail est associé à une note plus élevée de RP ».

Si certains des résultats de cette enquête sont conformes à d'autres travaux sur l'épuisement professionnel des vétérinaires, les auteurs soulignent que « les raisons des différences au regard des homologues urgentistes en humaine ne sont pas claires et mériteraient un approfondissement ». En particulier sur le poids que représentent l'euthanasie des patients de vétérinaires et les conflits éthiques sur l'épuisement émotionnel et la satisfaction au travail mériterait d'être plus exploré dans ce contexte.