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23 janvier 2023

Insensibilité congénitale à la douleur chez deux chiots d'une même portée : une mutation génétique identifiée

par Agnès Faessel

Temps de lecture  4 min

Une mutation d'un autre gène (GDNF) a été identifiée comme associée à l'insensibilité congénitale à la douleur chez des chiens de races épagneul et pointeur, notamment l'épagneul français (cliché Wikimedia Commons).
Une mutation d'un autre gène (GDNF) a été identifiée comme associée à l'insensibilité congénitale à la douleur chez des chiens de races épagneul et pointeur, notamment l'épagneul français (cliché Wikimedia Commons).
 

Une équipe britannico-suisse rapporte deux cas d'insensibilité congénitale à la douleur, diagnostiqués de manière indépendante chez des chiots femelles qui se révéleront être des sœurs de portée. Outre la rareté de cette maladie, cette découverte a amené à identifier chez ces chiennes une mutation génétique déjà connue chez l'homme pour la même maladie, mais non décrite encore dans l'espèce canine.

Double fracture infectée indolore

Une insensibilité à la douleur se manifeste par l'absence de perception de la douleur, et les blessures qui en découlent. Et en effet, le premier cas est celui d'une chienne croisée âgée de 2 mois, présentée en consultation à l'hôpital vétérinaire universitaire de Glasgow (Écosse) car tenant sa patte arrière droite anormalement pendante depuis 4 jours. De petits ulcères superficiels sur les coussinets des deux membres postérieurs sont également présents, observés depuis plusieurs semaines par le propriétaire. Outre la posture et la démarche anormales, l'examen orthopédique détecte un épanchement et une instabilité au niveau du jarret droit, mais sans douleur à la manipulation. Les examens radiologiques révéleront une double fracture tibia péroné avec déplacement. Et l'examen cytologique sur prélèvement de liquide d'épanchement montrera la présence d'une infection.

L'examen neurologique est globalement normal, avec notamment la préservation des réflexes et de la proprioception, mais à l'exception d'une absence totale de perception de la douleur superficielle et profonde, qui permet ainsi de diagnostiquer une probable insensibilité congénitale à la douleur. Face à la gravité de l'atteinte et l'absence de traitement spécifique de la maladie, la chienne est euthanasiée.

Brûlures chroniques

Six mois plus tard, dans le même établissement, la seconde chienne, âgée donc de 8 mois, est amenée en consultation car elle présente des lésions chroniques de brûlures cutanées, que les propriétaires ont fini par identifier comme produites en dormant contre un radiateur. Ces lésions, répétées depuis 8 semaines, sont larges et profondes, au niveau du thorax en région dorsolatérale, des deux côtés. Dès son adoption à 6 semaines, le chiot présentait de multiples cicatrices de lésions cutanées.

L'animal ne présente pas d'autres lésions. Et chez elle aussi, une absence totale de perception de la douleur superficielle et profonde est mise en évidence. Le diagnostic est ainsi identique. Malgré le traitement entrepris, et les précautions suivies pour éviter tout risque de nouvelles lésions, la chienne continue de se blesser régulièrement et les propriétaires optent pour une euthanasie.

Ils acceptent l'autopsie. Et à l'exception des lésions cutanées, les examens histologiques pratiqués ne mettent en évidence aucune anomalie, notamment sur les tissus nerveux examinés (cerveau, moelle épinière, ganglions nerveux sensitifs).

Mutation identifiée par séquençage génétique

Les deux chiennes étant découvertes comme étant de la même portée, un séquençage génétique a été effectuée, à partir d'ADN extrait du sang de la seconde chienne, et d'un prélèvement par écouvillonnage buccal chez la première. Les résultats permettent d'observer une mutation du gène SCN9A pour laquelle les deux chiots étaient homozygotes.

Le gène SCN9A (sodium voltage-gated channel alpha subunit 9) code pour la sous-unité alpha d'un canal sodique voltage-dépendant, qui s'exprime en particulier dans les neurones sensoriels et joue un rôle essentiel dans la génération et la conduction des potentiels d'action (influx nerveux). Son altération provoque une incapacité à ressentir la douleur.

Les parents des chiennes ainsi que les autres chiots de la portée ne présentaient pas de signes cliniques. Mais un séquençage génétique n'a pas pu être réalisé chez eux.

Une première chez l'animal

L'homozygotie pour cette mutation n'a été retrouvée dans aucun des 926 génomes témoins, issus de chiens de diverses races, chez lesquels elle a été recherchée.

Les troubles de la sensibilité douloureuse d'origine génétique sont de deux types : les insensibilités congénitales comme ici, et les neuropathies sensitives et autonomiques héréditaires (HSAN), dont les manifestations peuvent être plus progressives, et qui associent souvent d'autres troubles neurologiques (un déficit proprioceptif par exemple). Chez l'homme, des mutations touchant 26 gènes ont été identifiées chez les patients concernés, dont le SCN9A.

Trois mutations génétiques étaient jusqu'à présent associées à ces troubles chez le chien : l'une chez le border collie et les croisés border collie, une autre chez les races épagneul et pointeur, et la troisième chez des croisés. La mutation pathogène du gène SCN9A identifiée ici est différente. Elle est rapportée pour la première fois chez le chien, et plus largement chez l'animal (hors expérimentation), selon les auteurs de la publication.