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20 janvier 2023

Et si l'aliment de mon chien contenait de la viande cultivée in vitro ?

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Relation entre l'acceptation de consommer de la viande in vitro soi-même ou d'en donner à son animal, selon l'orientation alimentaire du maître. Omnivore : comprend les flexitariens et les pescétariens. Vég*ns comprend végans et végétariens. Lorsque les chiffres sont en souligné, p<0,05 ; lorsqu'ils sont en gras, p<0,001. LeFil, d'après Oven et coll., 2022.
Relation entre l'acceptation de consommer de la viande in vitro soi-même ou d'en donner à son animal, selon l'orientation alimentaire du maître. Omnivore : comprend les flexitariens et les pescétariens. Vég*ns comprend végans et végétariens. Lorsque les chiffres sont en souligné, p<0,05 ; lorsqu'ils sont en gras, p<0,001. LeFil, d'après Oven et coll., 2022.
 

« Le marché potentiel de la viande cultivée in vitro destinée aux aliments pour animaux de compagnie est sensiblement différent du marché potentiel de la viande cultivée in vitro destinée à la consommation humaine ». Il a fallu des chercheurs de trois universités britanniques pour arriver à ce résultat, assez intuitif. Quand un humain réduit ou stoppe de consommer des protéines animales, il devient flexi- ou végétarien. Mais il peut arriver que sa conscience souffre alors d'alimenter son chien avec des protéines animales… C'est le « dilemme végétarien ». Pour tenter de le trancher, ces chercheurs ont réalisé une enquête en ligne pour évaluer en quoi la FoodTech (du petfood contenant de la viande cultivée in vitro) pouvait séduire les maîtres de ces animaux… Ou leurs « parents », comme il est de mise de les qualifier, par exemple dans la communication de Wild Earth, une startup californienne produisant du petfood végan où les protéines animales ont été remplacées par des protéines de champignons (koji) eux-aussi cultivés en bioréacteur.

85 % de répondantes

Pour évaluer l'acceptabilité par les maîtres d'alimenter leur animal avec un produit dont une partie des ingrédients serait cultivée in vitro, les auteurs ont réalisé un questionnaire dans lequel l'acceptabilité par les maîtres de la viande in vitro pour leur propre alimentation était également évaluée – ainsi que leur “orientation alimentaire” : végan, végétarien, flexitarien ou omnivore. Le questionnaire est resté ouvert en ligne pendant trois mois à l'été 2019. Il a été diffusé via les réseaux sociaux et différentes associations, y compris celle des ASV britanniques. Les répondants devaient avoir au moins 16 ans et posséder au moins un chien ou un chat (ou les deux). L'objectif de l'étude était clairement mentionné en introduction du formulaire en ligne. Sur les 729 personnes ayant répondu, 85 % étaient des femmes. Plus de la moitié (56 %) avaient moins de 40 ans, et la répartition selon les régimes alimentaires renseignés était, elle aussi, loin d'une représentativité quelconque : « 21,8 % se sont identifiés comme végans, 10,8 % comme végétariens, 4,3 % comme pescétariens, 26,6 % comme flexitariens et 36,5 % comme omnivores ». Pour l'analyse des réponses sur l'acceptabilité, les auteurs n'ont toutefois retenu que trois catégories : végans, végétariens et tous ceux qui mangent des viandes (qu'ils baptisent d'omnivores).

Omnivores consentants (pour eux)

La majorité des répondants provenaient de pays anglosaxons : Royaume-Uni (52 %), USA (20 %), Australie et Nouvelle-Zélande (6 %), la Belgique était le pays fournissant le premier contingent de répondants hors de l'anglophonie (5 %), loin devant la France (1 %). La majorité des répondants est aussi un « parent » pour son chien ou chat : pour 59,1 % « il fait partie de ma famille » et pour 28,1 % de plus, « il est comme un enfant pour moi ». Ceux qui le considèrent « juste comme un animal de compagnie » sont 1,1 %. Pour l'acceptabilité de consommer soi-même de la viande in vitro, cette enquête ne diffère pas de la littérature sur le sujet (bien qu'une telle viande ne soit pas sur le marché dans les pays d'origine des répondants) : il y a une acceptation supérieure de la part des omnivore que de celle des végétariens et végans (regroupés sour le terme vég*ns, voir l'illustration principale).

… Et pour leur chien ou chat

« Pour ceux qui ne veulent pas manger de viande in vitro, l'histoire est plus compliquée. Les végétaliens et les végétariens sont moins susceptibles de dire qu'ils mangeraient de la viande cultivée (16,4 %, 39/238) que les répondants qui mangent de la viande (40,3 %, 198/491) ». Cependant, la majorité (55,9 %) des vég*ns qui ne consommeraient pas de viande in vitro pour eux-mêmes ont indiqué qu'ils en donneraient tout de même à leurs animaux de compagnie. Alors que pour près des trois quarts (72 %) des omnivores qui refusent la viande in vitro pour eux-mêmes la refusent aussi pour leur animal. Et la proportion d'omnivores qui en donneraient à leur animal tout en l'acceptant pour eux-mêmes est aussi très élevée (78 %), bien que moindre de celles des vég*ns. Au bilan, « nous avons observé une proportion élevée de répondants qui n'étaient pas disposés à consommer de la viande in vitro tout en exprimant la volonté de la donner à leur(s) animal(aux) (36,2 %). Ces résultats suggèrent une relation compliquée entre le marché de la viande in vitro destinée à la consommation humaine et le marché des aliments pour animaux de compagnie cultivés ».

Des startups en Amérique du nord…

Mais ce marché du petfood contenant des cellules animales cultivées existe-t-il ? Pas encore ; il reste pour l'instant suggéré par un nombre limité de start-ups. Aux États-Unis, Because, Animals est une startup de Philadelphie qui a annoncé début 2022 que son premier produit à base de cellules animales cultivées serait des friandises pour chats contenant des cellules de souris. Sur son site internet, elle a depuis mis en ligne aussi le développement de friandises pour chiens contenant des cellules de lapins, issues de culture in vitro. Si le packaging de ces produits est déjà prêt (voir l'illustration ci-dessous), les produits ne sont pas encore disponibles sur le site (ni sur la page Facebook), bien que les annonces de leur arrivée s'y succèdent. Ces friandises sont mélangées à des protéines végétales, mais la quantité de cellules animales de culture au sein de chaque produit n'est pas précisée. En revanche, la culture in vitro est annoncée comme reposant sur un milieu ne contenant pas de sérum de veau fœtal.

Sur le site web de la startup américaine Because, Animals sont présentés de futurs produits (friandises) pour chiens et chats contenant des cellules animales.

 

Bond Pet Foods est une startup du Colorado qui travaille aussi sur la culture de cellules, de poulet cette fois, et prévoyait en septembre 2020 un lancement d'un produit les contenant, pour chiens, en 2023. Les dernières annonces de la startup mentionnent toutefois développer des protéines par « fermentation de précision » (biotechnologies) de « protéines de poulet, de bœuf, de poisson et d'autres [espèces], nutritionnellement complètes et identiques à celles de la nature, pour les aliments pour animaux de compagnie », sans évoquer la culture de cellules animales. Toujours aux USA, Wild Earth, une startup californienne spécialisée dans la mise au point de petfood végan (les protéines proviennent de mycéliums de champignons cultivés en bioréacteurs), a un temps communiqué sur du petfood contenant des cellules animales cultivées, mais n'en fait à présent plus mention sur son site web. Pristine Pet Food, créée en Californie en 2018, et qui se positionnait aussi sur ce créneau n'a plus de site internet fonctionnel. Au Canada, Appleton Meats n'a plus non plus de site web fonctionnel.

…et en Europe

Outre-Manche, Good Dog Food est récemment sorti du mode discret pour annoncer un projet à base de cellules de poulet qui ne devrait pas aboutir « avant plusieurs années ». En Finlande, Five Letter Foods a bien un site web en activité ; l'une de ses cofondatrices est vétérinaire spécialisée en nutrition. L'objectif est de produire de la viande in vitro, pour l'incorporer à un régime BARF, mais « nous commercialisons d'abord un produit hybride », pour lequel il faut « s'inscrire sur une liste d'attente » mais dont la « liste complète d'ingrédient va venir » ; il n'est pas encore disponible. Pour la vraie viande (de renne) in vitro, il faut aussi « s'inscrire sur la liste d'attente » car « ce sera lancé quand le moment sera le bon » (voir l'illustration ci-dessous). La startup commercialise cependant des produits végans pour chiens.

Le site web de la startup finlandaise Five Letter Foods propose de s'inscrire sur une liste d'attente pour pouvoir avoir le droit de commander de la viande de renne cultivée in vitro, pour l'alimentation BARF de votre chien. L'image est probablement trompeuse car dans le domaine de la viande in vitro pour les humains, aucun prototype n'a atteint cette épaisseur, qui représente un défi technologique majeur.


 

En clair, l'acceptabilité de la viande in vitro, par les maîtres pour leurs animaux, restera probablement encore l'objet d'études théoriques quelques années, tant qu'aucun produit ne sera lancé.