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24 janvier 2023

Antibiotiques : la relation vétérinaire-éleveur influe sur la prescription raisonnée… et réciproquement

par Jean-Jacques Pravieux

Temps de lecture  5 min

Une relation de confiance établie de longue date entre éleveur et vétérinaire facilite une utilisation raisonnée et restreinte des antibiotiques (cliché Jean-Jacques Pravieux).
Une relation de confiance établie de longue date entre éleveur et vétérinaire facilite une utilisation raisonnée et restreinte des antibiotiques (cliché Jean-Jacques Pravieux).
 

Il y a une dimension sociale de l'utilisation des antibiotiques et des travaux récents mettent en avant la nécessité de confrontation des points de vue et de discussion entre les différents acteurs de l'élevage. La question de l'usage des antibiotiques ne peut être réduite à un comportement individuel des prescripteurs. Plusieurs études toutes récentes viennent de souligner l'importance de la relation entre vétérinaires et éleveurs dans la gestion des antibiotiques.

Une intrication forte, mais parfois ambiguë

Il a été établi qu'une relation de confiance mutuelle, établie de longue date entre éleveur et vétérinaire, est un atout pour la santé des animaux. Elle facilite aussi une gestion raisonnée des antibiotiques. Il arrive cependant que des vétérinaires cèdent à la pression des éleveurs, en prescrivant sans nécessité, dans l'intention de ne pas mettre à mal la relation et de renforcer la confiance. La restriction de l'usage des antibiotiques est identifiée comme source potentielle de dissension qui peut aller jusqu'à la rupture et la décision de l'éleveur de changer de vétérinaire.  Une enquête auprès de vétérinaires d'élevage porcins en Grande-Bretagne a montré des perceptions différentes. Beaucoup considèrent que la limitation de l'usage des antibiotiques relève uniquement de leur responsabilité de prescripteur, mais d'autres estiment qu'il s'agit d'une responsabilité partagée entre éleveur et vétérinaire. Quel que soit le pays (Australie, Pays Bas, Grande-Bretagne) et l'activité (vitellerie, élevage aviaire, porcin, ovin ou bovin, ou les animaux de compagnie), il arrive que des clients fassent pression sur les vétérinaires pour obtenir une prescription d'antibiotiques – tout comme en humaine. Il est parfois compliqué de refuser, surtout lorsque le prescripteur est surchargé de travail et manque de temps pour expliquer les raisons de son refus.

En Suède, l'utilisation des antibiotiques est fortement réglementée

Pays pionnier dans la lutte contre les résistances aux antibiotiques, la Suède a interdit dès 1986 leur utilisation comme promoteur de croissance dans l'alimentation. Depuis 1998 l'Association Vétérinaire Suédoise (AVS) a adopté une stratégie d'utilisation raisonné des antibiotiques : usage prioritaire de molécules à spectre étroit, abandon des usages préventifs ou métaphylactiques, ou en vue de compenser un déficit d'hygiène. Les antibiotiques sont réservés aux cas d'infections bactériennes avérées, si possible sur la base d'un isolement du germe et d'un antibiogramme. La législation y restreint depuis longtemps l'usage des antibiotiques critiques. À noter que les vétérinaires n'ont pas le droit de délivrer les médicaments qu'ils prescrivent et les éleveurs n'ont généralement pas le droit de détenir d'antibiotique hors du contexte d'un traitement en cours. L'AVS a publié des recommandations d'utilisation des antibiotiques pour différentes espèces. Des directives détaillées existent depuis 2011 pour les bovins. La majorité des élevages laitiers suédois sont impliqués dans un programme de contrôle sanitaire. L'adhésion à ces programmes est volontaire et donne accès à des visites vétérinaires plus fréquentes, à des formations concernant la gestion de la santé animale et la biosécurité.

Solidité de la relation

Lors d'entretiens semi-orientés, un panel de vingt et un vétérinaires ont été interrogés dans l'étude suédoise récemment publiée. Tous étaient intervenant en élevage laitier, pour le compte de l'État ou comme praticien libéral, dans le cadre d'un suivi d'élevage, d'interventions d'urgence ou programmées. La plupart d'entre eux décrivent une relation de coopération établie sur le long terme avec l'éleveur. Certains évoquent même, au fil du temps, des relations d'amitié. Généralement, la prescription ou la restriction des usages d'antibiotique ne pose pas vraiment de problème car l'analyse des situations et le choix des stratégies découlent d'une vision commune. La relation de confiance est cruciale lors de changements radicaux de stratégie. Cela a été le cas lors de l'interdiction des fluoroquinolones pour les réserver à la médecine humaine et en particulier lors de la mise en place de protocole de traitement des mammites colibacillaires sans recours aux antibiotiques. Pour la grande majorité des vétérinaires interrogés, en matière d'antibiotiques, obtenir l'adhésion de l'éleveur est un point capital, mais beaucoup plus difficile à atteindre lorsqu'il n'existe pas déjà une forte relation. Il faut alors prendre plus de temps pour expliquer ; ou adopter des stratégies rassurantes en évoquant un possible recours aux antibiotiques en cas de symptômes persistants. L'absence de délai d'attente peut aussi être un argument pour se passer d'antibiotique, par exemple lors de dermatite interdigitée. Malgré toutes les mesures et réglementations encadrant l'utilisation des antibiotiques, il arrive, en Suède aussi, que la prescription raisonnée se heurte à l'incompréhension des éleveurs. Les rares frictions surviennent essentiellement lorsqu'un changement d'habitude de traitement est initié par un nouveau prescripteur. Les réticences sont encore plus difficiles à lever lorsqu'un autre vétérinaire de l'élevage a conservé ses vieilles habitudes de prescription systématique. Dans certains cas il est difficile de ne pas céder : « vous savez, il est tard, vous êtes fatigué…vous n'avez pas l'énergie pour entamer une discussion ». Ces rares exemples concernent principalement, préviennent les auteurs, « de vieux éleveurs, avec peu de vaches, qui ne se sont pas tenus au courant » et souvent « proches de la retraite ». De plus en plus les décisions sur les antibiotiques sont soumises à discussion et relèvent d'un cadre dans lequel l'éleveur est impliqué.

Efficacité des stratégies de réduction conditionnées à leur acceptabilité

La lutte contre l'antibiorésistance ne peut reposer exclusivement ni sur les bonnes volontés individuelles des acteurs de terrain, ni sur l'imposition de réglementations coercitives. Des chercheurs de l'ENVT ont donc proposé, dans une publication de ce début d'année, d'utiliser un outil d'analyse de décision multicritères afin de comparer l'acceptabilité sociale de différentes stratégies visant à réduire l'utilisation des antibiotiques. L'industrie laitière a été choisi comme premier modèle pour présenter l'intérêt de cette méthode. La perception des différents acteurs de la filière est évaluée pour chaque stratégie proposée. L'estimation de leurs préférences prend en compte différents types de critères : environnementaux, économiques, sociaux et politiques (voir le schéma ci-dessous).

Organigramme de l'analyse décisionnelle multicritères utilisée pour déterminer les critères et les acteurs impliqués dans l'utilisation des antibiotiques (Ab) dans l'industrie laitière française (d'après Manriquez et coll., 2023).

Une synthèse est réalisée pour chaque catégorie d'acteurs à partir des réponses individuelles, et la synthèse générale permet de déterminer quelle stratégie sera globalement le mieux acceptée. Cette première étude compare quatre stratégies :

  • maintien de la réglementation actuelle,
  • interdiction de l'utilisation des antibiotiques,
  • interdiction des utilisations prophylactiques et métaphylactiques,
  • subvention pour une réduction d'utilisation de 25 %.

Malgré le faible taux de réponses obtenu dans cette enquête (2 éleveurs, 10 consommateurs, 3 représentants de la santé publique) et le manque de vraisemblance de certaines stratégies, cette étude permet de démontrer la pertinence de l'outil. Plus les stratégies proposées pour réduire l'utilisation des antibiotiques seront acceptables pour les différentes parties, plus leur mise en place sera facilitée sur le terrain, tout comme le travail pédagogique des vétérinaires — passeurs d'informations.