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22 novembre 2022

Humaine : la France reste un cancre pour la consommation d'antibiotiques en Europe

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Sur 2021, la consommation d'antibiotiques en médecine dite "de ville" ramenée à une même unité montre que la France se situe dans le groupe des plus mauvais élèves d'Europe (source : ESAC, 2022).
Sur 2021, la consommation d'antibiotiques en médecine dite "de ville" ramenée à une même unité montre que la France se situe dans le groupe des plus mauvais élèves d'Europe (source : ESAC, 2022).
 

24e sur 28. Tel est le rang de la France dans le classement européen pour la consommation d'antibiotiques en médecine humaine ambulatoire en 2021. Cette consommation représente 93 % de la consommation nationale en humaine. Le 24e rang était déjà celui occupé par la France en 2018. Il n'y a eu aucun progression depuis.

Trois fois plus que l'Autriche

En tête du classement figure l'Autriche, avec 7,2 DDD p. 1 000 hab./j, devant les Pays-Bas (voir l'illustration principale), à 7,6. La moyenne européenne est deux fois plus élevée, à 15,0 DDD p. 1 000 hab./j. Mais dans le peloton de queue, les chiffres sont plus impressionnants : 19,9 DDD p. 1 000 hab./j pour la France, 21,8 pour la Grèce, 22,4 pour la Bulgarie et 24,3 pour la lanterne rouge de la Roumanie.

Remontée post-Covid

Pour la quasi-totalité de ces 28 pays européens, l'année 2020 et ses confinements a été celle d'une réduction drastique de cette consommation – seule la Bulgarie fait exception avec une croissance soutenue de 3,8 % par an sur la décennie écoulée. En France aussi, le recul de 2020 avait été notable. Mais il ne s'est pas maintenu : la France fait partie du petit groupe de pays où cette consommation est repartie à la hausse en 2021 (+4,9 %), avec la Slovaquie, la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, la Croatie et la Bulgarie (seule la Bulgarie et la Roumanie dépassent en 2021 leur niveau de consommation de 2020). Pour la consommation d'antibiotiques à l'hôpital, le rang de la France est un peu plus favorable, à la 20e place sur 27 pays, mais toujours au-dessus de la moyenne européenne (1,69 et 1,50 DDD p. 1 000 hab./j, respectivement.

Moindres confinements

Plus tôt ce mois-ci, Santé Publique France avait déjà publié ce constat de « reprise des prescriptions » des antibiotiques sur 2021 (+ 6 % des prescriptions p. 1 000 hab./an), « pour toutes les spécialités ». L'un des facteurs de cette reprise, par rapport à un plus bas historique en 2020, sont des « périodes de confinement beaucoup plus courtes (28 jours en 2021 contre 100 jours en 2020) et encadrées par des règles plus souples concernant l'ouverture des écoles et des crèches, celle des commerces, les déplacements autour de son domicile, etc. Le recours au système de santé a également été plus fréquent » en 2021, du fait du « retour des épidémies saisonnières habituelles, dont la prévalence avait été beaucoup plus faible en 2020 ». Cela ne suffit toutefois pas à expliquer cette hausse puisque la majorité des pays européens n'a pas augmenté sa consommation en 2021. En France, cette reprise est « particulièrement importante chez les enfants en fin d'année » (voir le graphique ci-dessous). Au plan géographique, les Hauts de France et la région PACA sont les plus fortes consommatrices d'antibiotiques de villes, probablement en lien avec leur dynamique démographique. Ce n'est pas le seul facteur en jeu : « l'état de santé des populations et l'offre médicale » interviennent aussi.

Prescriptions d'antibiotiques en médecine ambulatoire en France en 2021, par mois et par classe d'âges (Santé Publique France).

 

Quelle pression, sur les médecins !

Un mois avant, les spécialistes de la prévention et de l'épidémiologie de Santé Publique France avaient aussi publié les résultats comparant les réponses à une même enquête administrée auprès du grand public et des généralistes en 2010 et 2019 sur la perception des antibiotiques. Ces auteurs soulignent qu'il n'y a pas eu de campagne de sensibilisation au rôle des antibiotiques depuis 2012, et montrent que « la pression exercée par les patients sur les médecins généralistes pour prescrire des antibiotiques est très élevée ». Pourtant, près de deux généralistes sur trois (65 %) indiquent avoir réduit leurs prescriptions d'antibiotiques (et 2 % les avoir augmentées) et 55 % indiquent que cela s'est fait à la suite des campagnes d'information. Un tiers des praticiens signale « avoir souvent des patients demandant avec insistance des antibiotiques » (dans un cas sur deux il s'agit alors de la seconde consultation en lien avec l'affection), alors que seuls 3 % des Français interrogés estiment le faire. Et, surtout, leur niveau de confiance dans leur généraliste ne varie pas, que celui-ci prescrive des antibiotiques (91 %) ou pas (89 %) au terme de la consultation. Seuls 2 % de ces médecins déclarent « céder et prescrire des antibiotiques alors qu'ils sont inefficaces dans de tels cas ». Pour les autres, 64 % déclarent demander à leurs patients de les recontacter suite à une première consultation où il n'en a pas été prescrit, et 34 % font l'ordonnance, laissant le patient de juger de l'évolution de son état. Côté grand public, « seuls 14 % des patients pensaient que l'absence de prescription signifiait que le médecin prenait leur maladie à la légère ».

En 10 ans, pas de changements

Lorsqu'ils comparent les réponses du grand public aux mêmes questions en 2010 et 2019, les auteurs notent que la seule chose ayant changé est la proportion de parents dont les enfants < 6 ans ont reçu un traitement antibiotique sur les 12 mois précédant l'enquête : elle est passée de 65 % en 2010 à 54 % en 2019. Dans leur très grande majorité (88 %), les personnes enquêtées « se sentaient bien informés de la nécessité de respecter strictement les prescriptions médicales. Plus précisément, 96 % savaient qu'il ne fallait pas prendre une double dose d'antibiotiques en cas d'oubli d'une prise, 88 % étaient conscients qu'il ne fallait pas réutiliser les restes d'antibiotiques d'un traitement précédent ». Il reste toutefois des « idées fausses persistantes » dans le grand public : « seule la moitié du grand public sait que les antibiotiques ne ciblent que les bactéries » et non les virus, même si les parents ont un score un peu plus satisfaisant. Et « la moitié des répondants pensent que les antibiotiques aident toujours une personne à se rétablir rapidement et à gagner du temps, et 44 % pensent que les antibiotiques aident les travailleurs à être suffisamment en forme pour reprendre le travail rapidement ». Les personnes âgées étaient celles ayant le plus fréquemment ces idées fausses.

Perception du fonctionnement des antibiotiques par le grand public et les parents d'enfants de moins de six ans. Réponse à la question “pensez-vous que les antibiotiques fonctionnent…” (Ménard et coll., 2022).

 

Ainsi, « la population française n'a encore qu'une connaissance partielle de la résistance aux antibiotiques et doit être mieux informée, notamment les personnes âgées. Les médecins généralistes sont des ambassadeurs clé pour réduire l'utilisation des antibiotiques. Une nouvelle campagne d'information du public prendra en compte les résultats de notre enquête en 2022-2023 ».