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Elanco & Proplan

4 mai 2022

Prédire la gravité d'une sténose pulmonaire chez le chien : à  la portée du praticien généraliste ?

par Annie Corbin

Temps de lecture  7 min

Résultats électrocardiographiques selon la gravité de la sténose pulmonaire chez 97 chiens (d'après Bini et coll., 2022). AF : fibrillation atriale ; APCs : complexes auriculaires prématurés ; VPCs : complexes ventriculaires prématurés. MEA : axe électrique moyen. PG : gradient de pression pulmonaire transvalvulaire maximal. La valeur p représente la comparaison entre la sténose pulmonaire bénigne à modérée et la forme sévère.
Résultats électrocardiographiques selon la gravité de la sténose pulmonaire chez 97 chiens (d'après Bini et coll., 2022). AF : fibrillation atriale ; APCs : complexes auriculaires prématurés ; VPCs : complexes ventriculaires prématurés. MEA : axe électrique moyen. PG : gradient de pression pulmonaire transvalvulaire maximal. La valeur p représente la comparaison entre la sténose pulmonaire bénigne à modérée et la forme sévère.
 

Cette étude rétrospective est, à la connaissance de ses auteurs, la première à comparer les données cliniques et électrocardiographiques de chiens présentant une sténose de la valve pulmonaire (SP) avec le gradient de pression transvalvulaire mesuré au Doppler (PG). Car déterminer la gravité de la sténose pulmonaire chez un chiot nécessite en principe la réalisation d'une échocardiographie Doppler par un vétérinaire spécialiste, d'autant que la gravité de l'atteinte conditionne le choix du traitement. L'étude, réalisée par des cliniciens italiens et espagnols, pointe les indices cliniques et électrocardiographiques repérables par le praticien généraliste.

97 dossiers examinés rétrospectivement

Les dossiers médicaux de 97 chiens référés pour SP au département de cardiologie de l'Anicura Istituto Veterinario Novara (Italie) entre décembre 2011 et décembre 2019 et au service de cardiologie vétérinaire de l'université vétérinaire de Murcia (Espagne) entre janvier 1996 et janvier 2008 ont été examinés. Tous ces cas de SP ont fait l'objet, le même jour, d'une échographie cardiaque complète et d'un électrocardiogramme (ECG). Les chiens présentant une autre maladie cardiaque congénitale ou acquise associée ont été exclus. Les échocardiographies ont toutes été réalisées par ou sous la supervision d'un vétérinaire cardiologue titulaire d'un diplôme de spécialiste. Les données médicales collectées comprenaient la race (majorité de brachycéphales), l'âge moyen au moment du diagnostic (1,3 an), le sexe (58 % de mâles), le poids, la présence de signes cliniques d'insuffisance congestive droite, le lieu d'intensité maximale du souffle cardiaque et son grade, ainsi que les résultats de l'ECG (enregistrement standard sur 6 dérivations). Le gradient de pression pulmonaire transvalvulaire maximal dérivé du Doppler (PG) a été utilisé pour définir la gravité de la SP :

  • légère si le PG était inférieur à 50 mm Hg (15 % des chiens),
  • modérée entre 50 et 80 mm Hg (25 % des cas),
  • et sévère au-dessus de 80 mm Hg (60 % des animaux).

Mesures sur l'ECG en D2

L'examen électrocardiographique a été réalisé selon le même protocole chez tous les chiens : les animaux non sédatés étaient doucement maintenus en décubitus latéral droit en présence de leur propriétaire et les électrodes, placées classiquement sur les membres antérieurs et postérieurs. Deux électrocardiographes de marques différentes ont été utilisés et chaque tracé a été examiné par deux opérateurs. La durée et l'amplitude des ondes électrocardiographiques ont été mesurées manuellement en D2 et la survenue éventuelle de blocs de branche droits complets ou d'arythmies atriales ou ventriculaires relevée. Une amplitude de l'onde P inférieure à 0,4 mV était considérée normale. La durée normale du complexe QRS était fixée à moins de 70 ms et l'amplitude normale de R à moins de 2,5 mV chez les chiens de petites races (moins de 20 kg) et moins de 3 mV chez les races de plus de 20 kg. Afin de déterminer la corrélation éventuelle entre la gravité de la SP et l'axe électrique moyen (MEA) du complexe QRS, une correction a été effectuée, dans l'objectif d'obtenir des valeurs positives proportionnelles à l'ampleur de l'écart lors de valeurs négatives (MEA corrigé = 360 + x ; x étant la valeur négative). L'indice de Youden a été utilisé pour identifier les meilleures valeurs seuils des variables cliniques et d'ECG, afin de distinguer les chiens légèrement à modérément affectés, de ceux sévèrement atteints. Les corrélations entre l'amplitude des ondes Q, R, et S, le MEA corrigé et les critères échocardiographiques de gravité de la SP ont été testées : la corrélation était considérée comme haute au-dessus de 0,7, modérée entre 0,7 et 0,5, faible entre 0,5 et 0,3 et absente en dessous de 0,3. Une valeur de p < 0,05 était considérée statistiquement significative.

Souffle cardiaque d'intensité supérieure à IV/VI

La SP est parfois associée à certains signes cliniques comme une intolérance à l'exercice, des syncopes ou des signes d'insuffisance cardiaque congestive droite. Dans cette étude, 28 chiens (29 %) présentaient des signes cliniques lors de la consultation. Parmi eux, 10 (36 %) présentaient une distension de la veine jugulaire et de l'ascite, 13 (47 %) des syncopes et 4 (14%) une intolérance à l'exercice. Plus des trois quarts (82 %) de ces chiens symptomatiques avaient une SP sévère. Seuls 13 % des chiens présentaient un pouls fémoral faible : tous avaient une SP sévère et 7 d'entre eux présentaient des signes d'insuffisance cardiaque congestive droite. Les signes cliniques étaient significativement plus fréquents chez les chiens sévèrement atteints (p = 0,0001 ; sensibilité 40 %; spécificité 95 %). Un souffle systolique basilaire gauche était audible chez tous les animaux. Chez 83 % d'entre eux (81/97) l'intensité du souffle était égale ou supérieure à IV/VI avec une SP sévère dans 68 %  des cas. Chez les 13 chiens (sur 16) dont l'intensité du souffle était inférieure à IV/VI, 81 % présentaient une sténose légère ou modérée.

Sensibilité et spécificité

Sur les critères électrocardiographiques de la gravité de la SP, les auteurs mettent en avant que :

  • une relation peut être établie entre la morphologie du QRS et la gravité de la SP, avec une augmentation de RS (> 0,5 mV) lors de forme sévère. Une amplitude de Q < 0,15mV permet de prédire une forme sévère avec une bonne précision diagnostique (Se 70 % ; Sp 59 % ; p= 0,0015). Une amplitude de R < 0,87 mV (Se = 67 % ; Sp 69 % ; p =0006) et une amplitude de S > 0,37 mV (Se = 72 % ; Sp = 85 % ; p < 0,0001) sont alors en faveur d'une forme sévère ;
  • 58 % des chiens présentaient une déviation vers la droite du MEA du complexe QRS et la majorité d'entre eux (80 %) avaient une SP sévère. Une valeur de MAE corrigé supérieure à 133° permet ainsi de prédire la gravité de la SP avec une très bonne précision diagnostique (Se = 70 % ; Sp = 89 %; p < 0,0001). Le MEA corrigé montre en outre une corrélation linéaire positive avec le PG ;
  • l'amplitude de l'onde P a une faible sensibilité, mais une très haute spécificité pour la détermination de la gravité de la SP : la valeur seuil optimale > 0,35 mV en D2 a ainsi une sensibilité de 31 % mais une spécificité de 100 % (p = 0,038). Ce qui signifie qu'il n'y aura pas de faux-négatifs (sujets à SP sévère non détectés) pour ce critère (mais la plupart des positifs ne seront pas sujets à SP sévère). Pourtant, les 9 chiens de l'étude dont l'amplitude de P était supérieure à  0,4 mV avaient tous une SP sévère ;
  • la durée du complexe QRS était augmentée chez 6 chiens qui présentaient tous une forme sévère (sensibilité 10 % ; spécificité 100 %), ce qui implique que 9 chiens sur 10 présentant un tel critère risquent d'être de faux positifs. Une durée du QRS supérieure à 80 ms était associée à un déplacement vers la droite du MEA compatible avec un bloc de branche droit, mais aucune différence significative n'a été mise en évidence entre le pourcentage de chiens présentant un bloc de branche droit et la sévérité de l'atteinte (p = 0,29). La fréquence cardiaque moyenne et l'existence d'arythmies atriales ou ventriculaires n'ont pas non plus montré de différences significatives selon la gravité.

Limites de cette étude

Cette étude rétrospective comportait davantage d'animaux atteints de formes graves : d'autres études comparant un nombre similaire de chiens présentant une forme de SP légère modérée et sévère seraient utiles. D'autant que les valeurs de sensibilité et de spécificité des tests diagnostiques varient avec la prévalence de l'affection correspondante (plus la prévalence est élevée et meilleure est la sensibilité). Dans le cas présent, cette prévalence est plus élevée chez les chiens brachycéphales, mais les auteurs n'ont pas réalisé d'analyse discriminante selon que les critères de suspicion de SP étaient à appliquer à la population canine générale (prévalence faible) ou aux seules races brachycéphales (prévalence élevée). De même, les dossiers analysés ne comportaient pas d'indication sur l'état corporel des animaux. Or la maigreur ou l'embonpoint peuvent influencer la morphologie et l'amplitude des ondes électrocardiographiques. Enfin, un monitoring électrocardiographique par Holter aurait permis d'établir la prévalence réelle des arythmies atriales et ventriculaires, mais n'est pas disponible du fait du protocole retenu (étude rétrospective).

En médecine vétérinaire comme en médecine humaine,  il est généralement admis qu'une SP sévère doit faire l'objet d'un traitement médical et chirurgical – même pour les cas asymptomatiques. La justification est le risque élevé de dilatation progressive et de diminution de la performance systolique du ventricule droit, donc d'insuffisance cardiaque droite et de décès. La détection précoce des chiens atteints de SP sévère est essentielle, afin d'identifier ceux pouvant bénéficier d'une valvuloplastie pulmonaire par ballonnet. Cette étude souligne que l'auscultation et un ECG permettent de suspecter avec une précision acceptable les SP sévères.