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3 août 2020

Chat : la maladie rénale chronique qui cache l'hyperaldostéronisme primaire…

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Coupe sagittale échographique de la surrénale droite d'un chat, présentant une masse (3,57 × 2,71 cm). Les atteintes unilatérales de la surrénale semblent être la majorité, dans les cas d'hyperaldostéronisme primaire félin (Domit Guerios et coll., 2015).
Coupe sagittale échographique de la surrénale droite d'un chat, présentant une masse (3,57 × 2,71 cm). Les atteintes unilatérales de la surrénale semblent être la majorité, dans les cas d'hyperaldostéronisme primaire félin (Domit Guerios et coll., 2015).
 

Décrit pour la première fois en 1955 chez l'Homme, l'hyperaldostéronisme primaire s'est vu rebaptisé du nom du médecin qui l'a découvert : syndrome de Conn. Dans une revue de synthèse sur les cas félins, l'auteur, clinicien à la faculté vétérinaire d'Utrecht (Pays-Bas) rappelle que ce syndrome est à l'origine de 5 % des cas d'hypertension artérielle en humaine, et 11 % lorsqu'elle est réfractaire aux traitements. « Bien que le chat soit considéré comme l'espèce animale où l'hyperadrénostéronisme primaire soit la plus prévalente, l'affection n'est pas souvent diagnostiquée en médecine [vétérinaire] de ville » ce qui, pour l'auteur, constitue une perte de chance pour les animaux.

Dépasser la MRC

Il reconnaît que les principaux signes d'appels du syndrome de Conn, « l'hypertension artérielle et/ou l'hypokaliémie sont fréquemment associés à une maladie rénale chronique » (MRC), l'hypothèse d'un syndrome de Conn n'étant alors pas explorée. « En fait, la MRC peut elle-même être la conséquence de l'hyperaldostéronisme primaire ». Car si la synthèse de l'aldostérone est régulée par l'ACTH, son relargage est sous le contrôle du système rénine-angiotensine et… du potassium, qui ont deux boucles de feed-back négatif sur cette sécrétion. Le premier « maintient le volume sanguine circulatoire constant en favorisant la rétention de sodium induite par l'aldostérone pendant les périodes d'hypovolémie et en réduisant cette rétention lors d'hypervolémie. Les ions K+ régulent directement la sécrétion d'aldostérone, indépendamment du système rénine-angiotensine ». D'où les deux rôles physiologique de l'aldostérone : « 1. Réguler le volume des fluides extracellulaires et 2. Être un déterminant majeur de l'homéostasie du potassium ».

Tumeur unilatérale

Une réduction du volume de sang artériel efficace (insuffisance cardiaque, œdème par hypoprotéinémie) conduira à une hypersécrétion d'aldostérone – hyperaldostéronisme secondaire, par activation du système rénine-angiotensine. L'hyperaldostéronisme primaire sera, lui, associé à une tumeur, ou « à une hyperplasie non tumorale du tissu de la zone glomérulaire » de la surrénale. Cette dernière affection est rapportée comme la cause dominante des syndromes de Conn en humaine (plus de 60 % des cas). Toutefois, « dans la majorité des cas décrits chez le chat, la cause était une tumeur unilatérale de la surrénale, présentant des degrés divers de malignité, depuis les adénomes bien encapsulées aux carcinomes incluant la veine cave, et des métastases à distance ». L'auteur reconnaît toutefois que la rareté des autopsies tend à sous-estimer les cas d'atteinte bilatérale par hyperplasie. Car celle-ci se diagnostique à l'histologie (coloration à l'énolase neurone-spécifique, NSE).

Plantigradie

Les cas d'hyperaldostéronisme primaire concernent donc des chats « d'âge moyen à élevé ». Les signes cliniques sont « la conséquence de rétention d'eau et de sodium élevées, ainsi que d'une excrétion accrue du potassium ». L'hypokaliémie affecte de nombreux systèmes, mais s'installe progressivement et se traduit avant tout par une faiblesse musculaire (troubles de la polarisation nerveuse et des membranes musculaires), qui peut être épisodique. Elle est associée à une kaliémie < 2,5 mmol/l, mais sans corrélation entre la sévérité clinique et cette concentration plasmatique. Le chat est alors « plantigrade sur les postérieurs, a des difficultés à sauter, et peut présenter une flexion ventrale du cou qui est alors caractéristique ». La mydriase est liée à l'hypertension artérielle. Selon les sujets, l'évolution sera dominée par les conséquences de l'hypertension (cécité) ou de la faiblesse musculaire (paralysie flaccide, hyporéflexivité, hypotonie musculaire, difficultés respiratoires). « Le résultat le plus constant parmi les examens complémentaires de routine est l'hypokaliémie », qui « peut s'accompagner d'hypophosphatémie ou d'hypomagnésémie, ou des deux ».

Kaliémie, activité de la rénine

Le dosage de l'aldostérone fournira une valeur élevée (tout comme ses précurseurs, comme la progestérone) lorsque la cause est tumorale. En revanche, un cas lié à une hyperplasie non cancéreuse pourra avoir des valeurs d'aldostéronémie « légèrement élevées, voire dans les valeurs de référence ». C'est alors « l'association d'une valeur modérément élevée et de l'hypokaliémie qui devraient être considérées comme anormales ». La mesure de l'activité de la rénine plasmatique sera aussi utile, en particulier si l'aldostéronémie est dans la partie supérieure de l'intervalle de référence. Toutefois, la mesure de l'activité de la rénine impose de réfrigérer le prélèvement et dépend de la sensibilité du test utilisé (l'auteur estime que la mesure du ratio aldostérone/rénine peut être utile dans ces conditions). La mesure du ratio aldostérone/créatinine urinaires (pas de besoin de réfrigération) est utile lors d'un test à la fludrocortisone (réduit la sécrétion d'aldostérone chez les chats en bonne santé) : ce ratio diminue de plus de 50 % en 4 jours d'administration quotidienne chez les chats non atteints… Mais l'étude de validation de ce test a porté sur moins de 10 sujets.

« Excellent pronostic »

En l'état et du fait de la fréquence des atteintes unilatérales, l'auteur recommande donc le recours à l'imagerie pour le diagnostic de l'atteinte surrénale. L'échographie ne devrait pas détecter les cas liés à une hyperplasie, mais ceux de tumeur… Le bilan d'extension aux vaisseaux adjacents (scanner, IRM) indiquera dans quelle mesure l'animal peut être opéré. Toutefois, « une tumeur de petite taille peut provoquer un hyperaldostéronisme primaire », et – prévient l'auteur – elles peuvent être trop petites pour être détectées, même par ces examens. Il reste que l'ablation chirurgicale de la glande « est le traitement de choix des affections unilatérales sans métastases ». Sur les premières semaines du post-opératoire, « un apport alimentaire généreux en sodium [est recommandé] pour éviter l'hyperkaliémie » pouvant être engendrée par la lente adaptation de la surrénale restante, mais même sans cette mesure, « le pronostic est excellent ». « La plupart des chats qui ont survécu à l'immédiat post-opératoire ont continué à être asymptomatiques pendant 1 à plusieurs années ». Quelques complications (hémorragies intra-abdominales) ont été signalées et ce risque, apparemment indépendant du type de tumeur, « doit être porté à la connaissance du propriétaire ». Sur les cas non opérables (atteinte bilatérale, tumeur étendue…), l'auteur propose « un traitement médical avec un produit bloquant le récepteur des minéralocorticoïdes, avec une supplémentation en potassium et si nécessaire un anti-hypertenseur ». Le pronostic n'est pas forcément immédiatement mauvais car « l'hyperaldostéronisme lié à une hyperplasie est plus faible, même lors d'atteinte bilatérale, que lorsque la cause est tumorale ».