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16 janvier 2018
Médicaments espagnols. Des éleveurs condamnés pour les « pratiques occultes » liées à ces trafics
L'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 19 décembre 2017 est sans doute l'un des plus justes et des plus réfléchis de ces interminables feuilletons judiciaires sur ces multiples affaires d'importations parallèles de médicaments espagnols. Le premier jugement de cette affaire impliquant deux couples d'éleveurs des Deux-Sèvres a débuté en 2013 sur des faits qui remontent entre 2005 et 2009…
Ce nouvel arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux est une nouvelle étape dans une procédure judiciaire interminable qui a déjà mobilisé successivement le tribunal correctionnel de Niort, la Cour d'appel de Poitiers, la Cour de cassation, la Cour de Justice de l'Union européen (CJUE), puis la Cour d'appel de Bordeaux. Depuis le début, ces éleveurs sont défendus par la même association Audace et son président Daniel Roques. L'historique de cette affaire est le suivant.
Le feuilleton n'est pas terminé. Car les éleveurs condamnés ont à nouveau fait appel devant la Cour de cassation.
La Cour d'appel de Bordeaux reconnaît, à plusieurs reprises, une « carence de l'État français » dans le décret importations du 27 mai 2005 (les articles R. 5141-123-6 et suivants du code de la santé publique). Ce décret n'est pas conforme au droit européen. Car, en France, les éleveurs « n'ont pas accès à une procédure simplifiée » d'importation parallèle pour leurs propres animaux. Alors que le droit européen l'exige « impérativement » selon un arrêt du 27 octobre 2016, de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE).
En France, seuls des établissements pharmaceutiques vétérinaires, comme des distributeurs en gros ou des exploitants, peuvent déposer des demandes d'autorisation d'importations parallèles. Il était donc certain qu'une demande d'importation parallèle déposée par un éleveur lui aurait été refusée.
La Cour d'appel de Bordeaux considère que l'État français exclut les éleveurs — et d'ailleurs aussi les ayants droit — du bénéfice des importations parallèle, ce qui est contraire au droit européen.
La Cour estime même « légitime et fondé que des éleveurs puissent se prévaloir de cette carence de l'État français » pour réaliser par eux-mêmes des importations en parfaite conformité avec le droit européen. Mais la Cour constate que le droit européen n'est pas respecté par ces éleveurs sur les exigences de santé publique.
Pour la Cour, les éleveurs se placent délibérément en infraction avec le droit européen sur trois exigences de santé publique qui figurent aussi dans le droit national.
Plus grave, selon la Cour, les éleveurs ont délibérément caché ces importations à leur vétérinaire habituel. Ils ne l'ont pas consulté avant les importations, craignant sans doute qu'il ne puisse pas ou qu'il ne veuille pas rédiger des ordonnances pour soutenir des importations de médicaments espagnols. Mais ils ne l'ont même pas consulté après, pour qu'il intègre les médicaments importés à un programme de soins cohérent et réalise la pharmacovigilance.
La Cour décrit sévèrement les « pratiques occultes » des éleveurs : « des dérives très préoccupantes » avec un risque « certain » pour la santé publique, « des ordonnances sans le moindre diagnostic, un surstockage et une surconsommation sans aucun contrôle ».
Au final, la Cour d'appel de Bordeaux condamne ces éleveurs qui « prennent prétexte d'une réglementation française en partie incompatible avec le droit européen » pour « importer sans aucun contrôle et en toute opacité » des médicaments.
Les sanctions restent faibles : 1.000 € chacun avec sursis. Les amendes douanières (près de 30.000 €) sont incompressibles et correspondent à la valeur des médicaments importés.
Comme l'avait déjà souligné en octobre 2016 la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), la Cour d'appel de Bordeaux confirme la nécessité de revoir la procédure française d'autorisation d'importation parallèle afin de la rendre accessible aux éleveurs pour leurs propres animaux et, par conséquent, probablement aussi aux ayants droit (vétérinaires, pharmaciens, groupements agréés).
D'ailleurs, la Cour d'appel signale qu'« un nouveau texte est en préparation » à la demande des autorités européennes et aussi pour faire face aux multiples recours et problèmes d'interprétation du décret « importations » de 2005.
D'autres affaires similaires sont encore en cours ou déjà jugées. Dans une affaire impliquant 12 éleveurs du pays Basque, la décision de la Cour d'appel de Pau devrait être prononcée le 1er février 2018.
En Bretagne, l'ancien directeur de la coopérative bretonne UKL-Arrée de Languidic (Morbihan), a comparu le 16 janvier 2017 devant le tribunal de Lorient pour « importation de médicaments vétérinaires sans autorisation », des faits qui remontent à début 2013 (voir ce lien sur un article du Télégramme du 17 janvier 2017). Les importations avaient été découvertes par hasard par les employés de la coopérative à l'occasion d'un changement dans sa direction.
L'association Audace présidée par Daniel Roques est connue pour être à l'origine du non-lieu de Lorient dans l'affaire Albaïtaritza de 2003 qui impliquaient 105 éleveurs. Ces derniers, bretons pour la plupart, démarchés par la société espagnole Albaïtaritza, recevaient leurs médicaments vétérinaires par transporteur avec une ordonnance trilingue signée par un vétérinaire ibérique. Daniel Roques et son association ont depuis toujours défendu les éleveurs qui se livraient à des importations de médicaments depuis l'Espagne.
Cette affaire a conduit à prendre le décret importations du 29 mai 2005 qui interdit aux éleveurs d'importer eux-mêmes des médicaments espagnols. C'est d'ailleurs sur ce point que ce décret, dont la lecture s'avère très difficile même pour un juriste, est aujourd'hui considéré comme incompatible au droit européen. Car le droit national devrait « impérativement » prévoir une « procédure simplifiée accessible aux éleveurs », mais sans rien concéder aux exigences de santé publique.
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