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25 juillet 2016

Les spot-on ou les colliers APE sont-ils vraiment dangereux pour les enfants ?

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Selon une ligne directrice inédite qui évalue le risque des topiques APE, il n'est pas réaliste de garder un animal traité éloigné des enfants pendant plus d'une nuit ou de 12 heures. Photo Chien-calme.com

Les précautions habituelles pour les APE, du type « traiter l'animal le soir et le tenir éloigné des enfants pendant une nuit ou X heures », n'apparaissent pas démesurées pour protéger les enfants d'une exposition aiguë à des doses proches des valeurs toxiques. La sécurité enfant est même indispensable pour éviter l'ingestion accidentelle.

 
Selon une ligne directrice inédite qui évalue le risque des topiques APE, il n'est pas réaliste de garder un animal traité éloigné des enfants pendant plus d'une nuit ou de 12 heures. Photo Chien-calme.com
 

Pour la première fois, l'Agence européenne du médicament diffuse un projet de ligne directrice pour évaluer le risque pour les enfants et pour l'utilisateur des topiques antiparasitaires pour animaux de compagnie : spot-on, colliers, sprays, shampooings… Jusqu'à présent, il n'existait pas, en Europe, de normes spécifiques à ces topiques. Les Européens se sont donc inspirés des textes de 2012 en vigueur aux États-Unis et spécifiques aux antiparasitaires externes (APE). Toutefois, aux USA, les topiques APE ne sont pas classés comme des médicaments, mais plutôt comme des biocides.

La nouvelle ligne directrice européenne cible surtout le risque pour les enfants. Car ils sont à la fois plus légers que les adultes et, attirés par des contacts très étroits avec leurs animaux — au point de dormir souvent avec eux qu'ils soient ou non traités ou infestés par des puces —. Pour les très jeunes enfants, il n'est pas exclu, que, par accident, ils se mettent à sucer une pipette mal rangée ou à mâchouiller un bout de collier.

Dilemme entre la puce et l'insecticide

À la lecture de ce document, il apparaît que les niveaux potentiels d'exposition aiguë des enfants — selon des scénarios qui sont loin d'être les plus improbables — s'approchent des premières doses toxiques de référence les plus faibles. Les précautions habituelles qui figurent dans les notices des APE, du type « tenir hors de portée des enfants » ou « tenir l'animal traité éloigné des enfants pendant X heures », n'apparaissent finalement pas si exagérées pour protéger les enfants d'une exposition aiguë à des doses proches, voire supérieures, aux seuils toxiques.

Toutefois, ce document ne prend évidemment pas en compte le risque pour l'enfant d'être piqué par des puces si son animal préféré — avec qui il peut dormit toutes les nuits — n'est pas traité par un insecticide.

Une marge de sécurité de 100

La ligne directrice considère que des topiques sont sûrs dès lors que les niveaux d'exposition des utilisateurs et des enfants sont au moins cent fois inférieurs aux valeurs toxicologiques de référence baptisées TRV (toxicological reference values).

Les pires scénarios d'exposition envisagés (worst cases) concernent les enfants dont le poids (12,5 kg) est plus de quatre fois inférieur à celui d'un adulte standard de 60 kg. À 12,5 kg, l'enfant est alors âgé de 2 à 3 ans. En dessous de cet âge, l'enfant ne serait pas suffisamment autonome pour jouer seul avec son animal ou les insecticides.

Au pire, 10 % de la dose serait ingérée

Avant application du topique, l'enfant peut être tenté d'ouvrir une pipette et d'en répandre le contenu sur sa peau, voire de s'en servir comme une sucette. La ligne directrice estime alors que, « dans le pire des cas », l'enfant ne peut pas ingérer ou être exposé à plus de 10 % de la dose contenue dans une pipette, un collier, ou un shampoing.

  • Les sécurités enfant des spot-on expliqueraient que les doses ingérées ne dépassent pas « au pire » 10 % de volume total de la pipette, soit moins de 1 ml, pour des pipettes dont les plus grosses tailles n'excèdent pas 10 ml.
  • Les colliers, compte tenu de leur grande taille, ne peuvent pas être ingérés en totalité. L'enfant peut néanmoins le mâchouiller et, éventuellement, ingérer le reliquat de collier lorsqu'il est coupé pour être ajusté au cou de l'animal. Une fois le collier attaché à l'animal, le risque d'ingestion, même par mâchouillage, deviendrait négligeable. Mais une exposition dermique et orale (par les mains des enfants portées à la bouche) reste possible.
  • Les shampooings, avec leurs excipients, ne sont pas vraiment appétents pour les enfants. Leur ingestion est donc improbable.
  • Pour les sprays, une exposition par inhalation devrait être envisagée

Pendant l'application, il est considéré que seul un adulte (60 kg) manipule le topique. Dans le pire des cas, il peut être exposé par voie cutanée à 10 % de la dose durant cette application.

Enfin post-application, il n'est pas exclu qu'un enfant ou un adulte puisse aussi ingérer du produit, notamment par les mains souillées par le produit et portées à la bouche. Mais, dans ce cas, les quantités maximales sont réduites à 1 % de la quantité totale des pipettes, des colliers ou des shampoings. Le risque est donc plus faible que pour une ingestion accidentelle à 10 % de la dose totale.

L'enfant qui caresse son chien et lèche son pouce

La seconde source d'exposition est le contact étroit, surtout par des caresses, avec l'animal traité. Là encore, le pire des scénarios est celui du jeune enfant de 12,5 kg (âgé de 2 à 3 ans) qui caresse souvent son animal préféré puis qui porte ses mains à sa bouche. D'où une exposition à la fois dermique et orale.

Si ces caresses se produisent moins de 12 heures post-application, l'exposition à des doses plus fortes est considérée comme aiguë mais non répétée dans le temps. Dans ce laps de temps, il est estimé par défaut que 15 % de la dose appliquée peut être disponible à la surface des poils pour être transférée aux mains de l'enfant. Mais ce dernier ne caresse pas toute la surface de l'animal, mais seulement 15 % pour un chien de 10 à 20 kg. Au global, ce n'est donc au maximum que 2,25 % de la dose qui peut se retrouver sur les mains des enfants.

À l'inverse, les caresses faites plus de 12 heures après l'application sont considérées comme une exposition chronique quotidienne (avec des seuils toxicologiques plus faibles). Par défaut, la fraction de principe actif susceptible d'être transférée est estimée à 2 % sur toute la surface de l'animal.

Des équations complexes permettent alors d'estimer des niveaux d'exposition aiguë et chronique par voie dermique (sur les mains) et orale quand les mains sont portées à la bouche.

Elles prennent en compte :

  • La surface de l'animal caressée par les mains de l'enfant (1790 cm2),
  • La quantité de principe actif contenue dans une pipette pour un chien de taille moyenne (10-20 kg soit une surface de 7000 cm2) ou un chat (< 6 kg pour une surface de 2500 cm2),
  • La surface des mains des enfants (270 cm2),
  • La surface des doigts effectivement léchés (l'équivalent de deux doigts soit 7 cm2),
  • Le nombre de fois où les enfants portent leurs mains à la bouche : 20 fois par jour. Mais avec seulement 40 % de ces contacts sont efficaces avec des doigts mis dans la bouche.

Un gant 100 % coton

Les valeurs par défaut de ces équations ont sans doute tendance à surestimer les quantités de principes actifs transférés de la peau de l'animal vers les mains des enfants.

Pour affiner ces estimations et diminuer les niveaux d'exposition « standards », la ligne directrice recommande le test du gant (ou « wipe test »). Ce test évalue plus précisément les quantités de principes actifs qui contaminent les mains lors des caresses. Dans un exemple, ce test a permis de réduire par trois les niveaux d'exposition standards pendant la première phase aiguë (12 heures post-application) puis par quatre pendant la période de rémanence (28 jours) (voir tableau ci-dessous).

Toutefois, les résultats de ce test sont très variables d'un essai à l'autre et dépendent de la méthodologie retenue. Pour limiter cette variabilité, il est recommandé de prendre un gant 100 % coton. Tout l'animal est caressé dans le sens du poil en trois gestes avec le même gant : une caresse sur le côté droit, puis une autre sur le côté gauche et la dernière caresse sur la ligne du dos, de la tête jusqu'à la base de la queue. Le geste inclut les points d'application du spot-on mais ne touche pas aux colliers attachés sur l'animal.

Loin des scénarios extrêmes

Dans cette ligne directrice, les pires expositions envisagées ne sont pas des scénarios extrêmes. Les enfants n'ingéreraient qu'au maximum 10 % du contenu de la pipette (moins de 1 ml) et non la quasi-totalité de son volume (souvent de l'ordre de 1 à 5 ml). Le cas des propriétaires multipossesseurs n'est pas prévu, alors qu'il n'est pas si rare.

L'exposition aiguë ou chronique par les caresses est estimée avec un seul chien de taille moyenne (10 à 20 kg) ou un chat standard (< 6 kg) et non avec des animaux plus grands mais traités par de plus fortes doses.

Pourtant, même avec ces scénarios médians, dans un exemple d'application, les niveaux d'exposition aiguë atteints sont souvent trop élevés par rapport aux doses toxiques aiguës de référence (TRV) (voir le tableau ci-dessous).

Doses toxiques de référence

Les valeurs toxicologiques de référence (TRV) correspondent le plus souvent aux doses maximales sans effet toxique chez les animaux (NOEL ou NOAEL). Elles sont fixées pour les deux voies, orale et dermique, et à la fois en toxicité aiguë et chronique. Pour les sprays, il est aussi utile de fixer une dose toxique par inhalation.

Les niveaux d'exposition devraient être plus de cent fois faibles que ces doses toxiques. Car ces doses découlent d'essais sur des animaux, d'où un facteur 10 pour l'extrapolation à l'homme. En outre, des individus peuvent aussi être dix fois plus sensibles que la moyenne, d'où l'application d'un facteur 10 supplémentaire.

Un exemple sur des pipettes pour chiens

Un exemple de travail (fictif ?) illustre bien cette problématique. Il porte sur une pipette de 134 mg de principe actif pour un chien moyen (10-20 kg) et avec un dosage maximal à 700 mg pour la plus grosse pipette.

Au final, dans cet exemple, les marges de sécurité de 100 ne sont pas toujours atteintes lors d'exposition aiguë. L'ingestion accidentelle de 10 % de contenu de la plus grosse pipette aboutit même à une dose ingérée de huit fois supérieure à la dose toxique aiguë de référence (voir tableau).

Exemple de calculs de niveaux d'exposition et de marges de sécurité

Exemples de marges de sécurité avec un spot-on pour chiens comprenant des pipettes de 134 mg pour un chien de 10-20 kg et de 700 mg pour le plus fort dosage. D'après le projet de ligne directrice EMA.

Comment réduire l'exposition des enfants ?

Cet exemple illustre la nécessité de prendre des précautions pour les enfants, en particulier avec un dispositif de sécurité enfant pour éviter une ouverture et une ingestion accidentelle. Car cette exposition aiguë apparaît comme la plus à risque. Ces précautions ne devraient pourtant pas être systématiques. Lorsqu'elles sont prises, c'est qu'il s'agit de réduire cette exposition à des niveaux plus acceptables avec une marge de sécurité si possible supérieure à 100. Leur efficacité devrait être démontrée. Seules les mesures efficaces et applicables sont retenues comme :

  • Un dispositif de sécurité enfant (conforme à la norme EN14375 pour garantir son efficacité),
  • « Se laver les mains après usage (voire le port de gants) »,
  • « Traiter de préférence le soir »,
  • « Ne pas laisser les enfants au contact des animaux justes traités pendant 12 heures, une nuit ou jusqu'à ce que le site d'application soit sec »,
  • « Porter des gants ou des équipements de protection adaptés »,
  • « Se laver les mains après l'application »,
  • « Administrer les sprays à l'extérieur ou dans une pièce bien ventilée ».
  • « En cas de contact avec la peau, rincer immédiatement à l'eau »,
  • « Ne pas fumer, ni boire, ni manger pendant l'application »,
  • « Jeter immédiatement les reliquats et les pipettes après usage »,
  • « Éviter que les enfants touchent le collier, jouent avec et le portent à la bouche »,
  • « Ne pas permettre aux jeunes enfants d'avoir un contact étroit et prolongé avec un animal portant un collier », etc.

La ligne directrice rejette les précautions suivantes qui s'avéreraient peu applicables.

  • « Toujours se laver les mains après avoir caressé ou manipulé un animal traité ».
  • « Isoler l'animal traité pendant une longue période ».
  • « Garder l'animal traité éloigné des personnes, en particulier des enfants pendant plus de 12 heures ou une nuit ».