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21 mars 2024

Soudain, une chienne fait un avortement brucellique dans un avion de ligne…

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Il n'y a pas de réglementation interdisant le voyage en cabine, lors de vols commerciaux, de chiennes gestantes. Pourtant, le risque d'avortement infectieux existe. Une publication américaine vient en apporter la coûteuse preuve (cliché : Ray Devlin, Wikimedia).
Il n'y a pas de réglementation interdisant le voyage en cabine, lors de vols commerciaux, de chiennes gestantes. Pourtant, le risque d'avortement infectieux existe. Une publication américaine vient en apporter la coûteuse preuve (cliché : Ray Devlin, Wikimedia).
 

Il y a des scénarios du pire qui se produisent. Par exemple un avortement brucellique canin pendant un vol commercial international. Une publication américaine retrace la gestion du risque réalisée en urgence par les experts du CDC (centre de contrôle des maladies infectieuses), avec les experts vétérinaires locaux et des praticiens proches de l'aéroport de destination, ainsi que l'évaluation de l'exposition des passagers et du personnel navigant à l'occasion de cet accident sanitaire.

Stress ou maladie infectieuse

La brucellose canine est enzootique dans de nombreux pays d'Europe centrale et de l'Est. Ainsi, parmi les passagers d'un vol reliant Varsovie (Pologne) à Chicago (USA) le 6 octobre 2022 se trouvait une chienne de race de petit format – et son "accompagnant". Pendant le vol, la chienne a avorté, produisant trois fœtus. L'accident a probablement été accompagné de manifestations sonores car le pilote de l'avion a avisé la compagnie à destination, une heure avant l'atterrissage, que l'animal « présentait des signes de douleur et de détresse ». Les autorités compétentes ont été alertées, et ont d'emblée supposé que l'avortement pouvait être « lié au stress du voyage comme à une maladie infectieuse (brucellose ou leptospirose) ». Du fait du potentiel risque zoonotique, une cellule de crise a été mise en place rassemblant des représentants locaux du CDC et des ministères de l'Agriculture et de la Santé de l'état de l'Illinois. Le manifeste a aussi montré qu'une autre chienne, issue du même élevage polonais, âgée d'un an et gestante, voyageait en soute pressurisée sur le même vol. Toutes deux étaient « importées » pour « devenir reproductrices dans des chenils aux USA ».

D'abord les chiennes, puis les passagers

Dès l'atterrissage, le personnel local du CDC est monté dans l'avion pour prendre la chienne “passagère” en charge, mais aussi collecter les avortons et évaluer l'emplacement de l'accident et le niveau de contamination de son environnement immédiat. La chienne voyageant en soute a également été  prise en charge. Les deux animaux ont été « transportés vers une clinique vétérinaire d'urgence ». Les officiers du CDC ont ensuite interrogé le personnel navigant et les passagers, de manière à pouvoir par la suite réaliser leur évaluation du risque d'exposition à un potentiel agent infectieux. Ils ont été particulièrement vigilants à identifier des enfants et des femmes enceintes dans cette proximité. Le manifeste indiquait aussi qu'un autre chien voyageait en cabine, à 12 rangées de sièges de la chienne ayant avorté. Une absence de contacts entre les deux animaux pendant le vol a rapidement été établie. Enfin, les officiers se sont assurés que les matériels souillés par les fluides lors de l'avortement soient incinérés et que l'avion soit désinfecté de manière appropriée.

Euthanasie et retour en Pologne

Entretemps, les chiennes étaient examinées à la clinique d'urgence, et deux des avortons envoyés vers le service d'anatomopathologie de la faculté vétérinaire, après avoir fait l'objet de prélèvements. La chienne “passagère” a expulsé un quatrième avorton ; l'autre était confirmée gestante (échographie), de trois fœtus vivants. Après des prélèvements (écouvillons vaginaux et prise de sang), elles ont toutes deux été placées à l'isolement. La sérologie de la chienne étant revenue positive pour Brucella canis, et l'un des écouvillons vaginaux ayant fourni une Brucella sp. en culture, elle a été euthanasiée huit jours plus tard. Les PCR spécifiques de B. canis réalisées sur des homogénats de foie, rate et cœur des deux premiers fœtus ont également été positives. La bactérie a aussi été isolée à partir d'écouvillons utérins réalisés post-mortem chez la chienne. Toutes les analyses réalisées sur la chienne ayant voyagé en soute étant négatives, elle a été autorisée à entrer sur le territoire des USA. Toutefois, l'état de destination (celui du chenil) a imposé une quarantaine de 12 semaines avant son transfert, avec des analyses sérologiques, bactériologiques et PCR toutes les deux semaines, ainsi qu'à la mise bas. Face aux coûts que cela représentait, « l'importateur a préféré renvoyer l'animal en Pologne ». Il n'y a pas de réglementation encadrant un tel voyage pour une chienne gestante, soulignent les auteurs. Elle a donc repris l'avion, où elle aurait pu mettre bas ou avorter. Mais en l'absence d'obligation réglementaire, elle n'a pas été suivie pour ces aspects.

Bouche à bouche

Les analystes du CDC ont estimé que cinq personnes ont présenté un risque élevé d'exposition à l'agent abortif : deux passagers et trois membres du personnel navigant. Soit ils avaient eu un contact direct avec la chienne, soit avec les matériaux souillés par les fluides, et « un membre de l'équipage aurait réalisé une réanimation bouche à bouche à l'un des fœtus ». Chacune de ces personnes a reçu une recommandation de se rapprocher des services de santé « pour discuter de l'exposition, de la surveillance des symptômes et de la prophylaxie post-exposition » éventuels.

16 500 $ pour deux chiennes

Dans la clinique vétérinaire, deux employées étaient enceintes et il leur a été conseillé de ne pas travailler au contact des deux chiennes. Dès l'arrivée des chiennes, le personnel portait des gants et un masque chirurgical. Lors de l'identification de B. canis, ils se sont équipés en masques FFP2 et de visières. L'occupation du chenil par les chiennes (puis une seule) du 11 octobre au 14 novembre a empêché la structure d'y hospitaliser d'autres animaux contagieux, ce dont le coût a été estimé à 10 000 $ (9 200 €). En plus, « l'importateur a dû payer plus de 16 500 dollars de frais vétérinaires pour les deux chiennes » (15 200 €). De son côté, le CDC a estimé à plus de 22 700 $ (20 900 €) le coût des enquêtes fédérale et locale (soit un peu moins de 50 000 $ au total). Les autorités américaines estiment que 700 000 chiens entrent annuellement aux USA par la voie des airs, mais les cas de brucellose canine sont en général détectés une fois qu'ils sont sur le territoire.

Il n'y avait pas de locaux permettant la mise à l'isolement des chiennes à l'aéroport de Chicago, et les auteurs indiquent que « le CDC s'efforce d'étendre le réseau d'établissements de soins pour animaux agréés, sur l'ensemble des États-Unis ». Car « l'absence d'installations de quarantaine déplace le risque pour la santé animale et publique vers les cliniques vétérinaires locales et les communautés, qui peuvent ne pas être préparées à répondre au nombre d'animaux importés nécessitant des soins ». En parallèle, les auteurs estiment que « les importateurs et les compagnies aériennes devraient éviter de transporter des chiennes gestantes, en particulier en cabine d'un avion où les passagers et les membres de l'équipage pourraient être exposés » en cas de mise bas ou d'avortement. « Toutefois, il n'existe actuellement aucune réglementation interdisant le transport d'animaux de compagnie, même en fin de gestation ».